Les yeux du dragon
Stephen King
Pocket Terreur
Les yeux du dragon, c’est le roman du compromis.
Qu’est-ce qu’un compromis ?
Vouloir contenter le plus grand nombre pour au final ne satisfaire personne et frustrer tout le monde.
Le mélange contes de fées, fantasy et épouvante fonctionne dans le texte et c’est bien la seule affaire qui roule. Le cocktail n’avait rien de compliqué, ces trois tonalités se marient bien par essence.
Le reste laisse plus dubitatif.
Première hésitation, on ne sait pas trop qui est visé par ce texte. Écrit à la base pour sa fille de 13 ans, Les yeux du dragon contient quelques passages bien trop matures pour cet âge. À l’inverse, un lecteur adulte risque de ne pas trouver son compte dans la simplicité de l’intrigue, de l’univers et des personnages proposés par Stephen King.
Le simple vire même au simpliste, la faute à la longueur du texte. Défaut récurrent de King de s’étaler comme un malade une page après l’autre (le même qui donne pourtant comme conseil dans Écriture : mémoire d’un métier de sabrer un bon tiers entre le premier jet et la version finale d’un manuscrit). Un matériau réduit ne peut alimenter qu’un récit court, le format idéal d’un conte de fées, soit dit en passant, un détail que Stevie a oublié en cours de route. En format long, on quitte le conte de fées pour basculer dans le roman de fantasy : le simple vire au simpliste. On n’a qu’une fantasy basique à se mettre sous la dent, réduite à une poignée de poncifs : royaume fictif, méchant sorcier, malédiction. Et c’est tout. Soit pas grand-chose.
King semble méconnaître la fantasy et en avoir une vision très basique, limitée un genre pour les gamins, où personnages, univers et histoire sont réduits à leur plus simple expression tout en clichés.
D’autant que ce qu’il raconte a déjà été traité, vu et revu, en mieux, et depuis longtemps, à travers les mythes, le vieux corpus de contes, la fantasy classique Les passages sur Theoden sous l’influence de son conseiller Gríma dans Le Seigneur des Anneaux valent mille fois Les yeux du dragon.
Ça ne sert à rien de réécrire ce qui a déjà été écrit.
Respecter les codes du contes de fées, juste histoire de dire d’en écrire n’a aucune espèce d’intérêt. Parce que si on les suit à la lettre, on accouche d’un conte qui existe déjà. Il aurait été plus intéressant de détourner ces codes, de proposer un changement dans tel ou tel élément (à commencer par le décor, tout plutôt qu’un énième royaume médiéval lambda…).
La palme de la foirade revient à Randall Flagg. Terrifiant dans Le fléau, il se retrouve ici ravalé au rang de méchant de foire, caricature de sorcier maléfique qui balance des brouettes de ricanements déments en se frottant les mains de la réussite de son plan machiavélique. Le super-vilain le moins effrayant de toute l’histoire de la littérature d’imaginaire, et sans doute un des plus ridicules.
Au-delà du contenu, un conte peut faire mouche à travers son conteur. Même une histoire nase, ou qu’on connaît par cœur, peut être agréable à écouter si celui qui la raconte parvient à t’embarquer dans son délire.
Bon ben là, c’est raté.
Le talent de conteur de King, pourtant capable de faire passer certains pavés comme une lettre à la poste, est aux abonnés absents. La faute à un texte trop long pour ce qu’il a à raconter, truffé d’allers-retours et d’effets d’annonce au mieux inutiles, au pire contre-productifs. À quoi ça sert de nous dire “ça, je vais pas vous le raconter tout de suite mais plus tard” ? C’est le genre de teasing qui tue le suspense sur ce qui vient après tout en cassant le rythme de ce qui passe maintenant, en plus de susciter de barbantes redites et redondances.
Déjà que le fond ne casse pas trois pattes à un canard, entre l’univers famélique, l’intrigue linéaire, les gentils tout lisses et le méchant de carnaval, avec ce bavardage logorrhéique en prime, le résultat devient indigeste, pour ne pas dire laxatif.
Au format nouvelle, plus inspiré et mieux raconté, Les yeux du dragon aurait pu être un chouette petit conte horrifique pour petits et grands. En l’état, c’est une purge.