Les Terres Bannies, T.4 Fureur
John Gwynne
Éditions Leha
Parce que j’ai ce qu’on appelle dans le métier de chroniqueur “la putain de flemme” de me répéter, je vous renvoie pour les grandes lignes de la saga des Terres Bannies à mes envolées sur les tomes précédents : Malice, Bravoure et Ruine.
Avec Fureur, quatrième volet qui n’est pas une biographie d’Adolf Hitler, l’heure est venue de clôturer la série.
Au menu, de l’action.
Mais genre vraiment beaucoup.
Trop, je dirais.
Gwynne s’est retrouvé prisonnier de son énorme casting et ça se ressent. Il a voulu apporter à chaque personnage l’aboutissement de sa destinée, louable intention, et de ce point Fureur fait ce qu’est censé faire tome de fin : il conclut et boucle tout pour tout le monde.
Le hic, c’est que ce destin passe pour à peu près tout le monde par les armes. Il y aura donc beaucoup de combats. Mais genre vraiment beaucoup. Alors on ne peut pas trop reprocher à un volume dédié à l’affrontement final de proposer des affrontements finaux, n’empêche qu’au bout du dixième duel à l’épée, avec plus ou moins le même déroulement, les attaques, les parades, Machin qui tombe par terre, lâche son arme, roule sur lui-même, la récupère et c’est reparti pour une succession d’assauts jusqu’à ce qu’un des deux adversaires morde la poussière… Rien ne ressemble plus à un combat à l’épée qu’un autre combat à l’épée. Sur ce point aussi Gwynne se retrouve prisonnier. De son style, cette fois, très détaillé dans les duels. Un choix qui fonctionne tant que les bagarres restent occasionnelles, moins quand elles couvrent les trois quarts d’un roman de 600 pages. Il se passe toujours quelque chose, certes, mais bagarre, duel, bataille, baston, castagne, tatane, il souffle comme un petit vent de redite d’un chapitre à l’autre.
Moins de dialogues, en tout cas de ce que j’ai ressenti, j’ai pas le compté le détail. Un choix qui se tient pour s’orienter à fond sur l’épique bataille finale. Choix qui n’en est pas un, imposé de toute façon par le découpage des différents tomes. Perso, j’aurais raccourci l’énorme baston de clôture, supprimé quelques scènes déjà vues (i.e. la course au draig, il y en avait déjà une dans le tome précédent), et combiné Fureur avec Ruine.
Ce que j’avais aimé dans les trois premiers tomes, c’étaient les personnages, ou plutôt – parce qu’il s’agit d’archétypes qu’on connaît par cœur, pas renversants en soi – la façon dont Gwynne les mettait en scène, construisait des liens entre eux d’alliance ou d’antagonisme, et faisait évoluer chaque membre de son casting.
Or ici, à avoir renvoyé à part la seule scène de clôture, il n’y a plus d’évolution possible des personnages, puisqu’ils sont rendus à leur terme. Chacun a, au cours des trois tomes antérieurs, fait son chemin et ses choix, appris ce qu’il devait apprendre sur lui-même et sur les autres, acquis les compétences dont il aurait besoin pour la suite. Chacun est dans Fureur identique à la dernière page à ce qu’il était à la première. On a affaire à des blocs monolithiques qui n’évoluent plus et se limitent à tout défoncer sur leur passage ou mourir en essayant. Certes, c’est plus ou moins l’ambiance attendue d’un tome de conclusion et l’idée générale est annoncée dans le titre, mais ça ne fait pas tout. L’action, y en a, plein, et c’est juste de l’agitation. Déjà parce que le résultat, on le connaît d’avance, on sait qui va gagner la guerre, donc l’intérêt de faire durer un suspense qui n’existe pas sur des chapitres et des chapitres, mouais, pas convaincu. Ensuite, parce que si on retire l’action, il ne reste rien. Alors qu’il devrait. Certains passages auraient pu être mis à profit pour creuser les personnages, les remettre au cœur du sujet. On ne voit qu’eux, et en même temps, ils ne sont pas vraiment présents, juste un corps actif qui fait des trucs – taper pour l’essentiel – avec un nom, mais ça pourrait être un autre – et ce le sera au chapitre suivant, un autre qui tapera à son tour – que ça ne ferait pas grande différence. Il y avait pourtant matière. Je pense par exemple à Maquin, guidé par plusieurs serments de vengeance et, quand il vient à bout d’un de ses grands buts dans la vie, il se contente d’un “voilà, c’est fait” et passe à autre chose. Pas plus content ni satisfait que ça. Pas des masses ému. Pas de sensation de vide de se retrouver avec une motivation majeure en moins.
Je suis donc resté un peu sur le bord de la route à voir tous ces gens s’étriper pendant 600 pages, à tomber l’un après l’autre, chaque mort perdant en intensité à force de les accumuler, ce qui fait que certains personnages importants ont cassé leur pipe sous mon œil indifférent, blasé d’avoir déjà vu x autres protagonistes se faire dézinguer. D’autant plus que ceux qui meurent sont ceux dont on s’attend à ce qu’ils meurent, on y était préparé et l’émotion s’en trouve diminuée d’autant. C’est le drame de la fantasy classique, et de tout genre ou œuvre qui s’inscrit dans le classicisme, on sait dès le départ qui va mourir parmi les archétypes convoqués (i.e. dans Star Wars, le grand méchant Palpatine, le mentor Yoda, le renégat Vador, y a des professions comme ça dont tu sais que leur incarnation ne verra pas le bout de l’histoire) et plus ou moins dans quelles circonstances vu que ce sont toujours un peu les mêmes scènes et les mêmes topoi. Et là, on les a tous, jusqu’au cavalier qui se prend une flèche, tombe de cheval et se fait traîner à travers le champ de bataille par sa monture avec un pied coincé dans l’étrier, cliché vu dans trois mille films, séries et romans.
Après, en dépit de choix d’écriture discutables, Fureur fait son taf et propose une fin satisfaisante en tant que terminus. Le tome est censé terminer l’histoire, il conclut son récit. Il est censé mettre en scène l’affrontement final, il raconte la bataille ultime. Il est censé offrir de l’action, il en déborde. Il est censé apporter à chaque protagoniste le terme de sa trajectoire, on saura ce qu’il advient de chacun (y compris des personnages mineurs dont le sort aurait pu se régler en une ellipse). Il fait ce qu’il est censé faire, donc il remplit son contrat auprès du lecteur. Ce sera au niveau des attentes annexes (intrigue, personnages, rythme, originalité…) que chacun y trouvera ou pas son compte à l’arrivée. Soit une conclusion honnête pour la saga, pas la conclusion telle que j’aurais voulu la voir écrite, mais comme disait Mick Jagger, “you can’t always get what you want”.