Les grands cimetières sous la lune
Georges Bernanos
Points
J’avais dû me farcir Les grands cimetières sous la lune en khâgne, en duo avec L’espoir de Malraux, la guerre d’Espagne étant le thème du programme en ces temps jadis qui remontent à la fin du siècle dernier. Les deux bouquins m’avaient barbé bien comme il faut, pour des raisons différentes. Si Dédé s’est contenté de m’ennuyer au-delà de toute mesure, la prose de Bernie m’a quant à elle donné envie de gerber tout du long.
Je me rappelle de notre prof de lettres qui nous tartinait sur Bernanos de longues tirades comme quoi il était un type formidable à avoir écrit un tel pamphlet.
Ah bon ?
On doit pas parler du même Bernanos. Celui que je connais, le franquisme, au début, il trouvait ça plutôt bien. En même temps, il est de droite, ceci explique cela. Et catholique. Et monarchiste. Tout pour plaire, quoi. Enfin, si on aime les fantaisies conservatrices, bigotes et autoritaires.
Bref, Georgie finit par retourner sa veste, un pan en tout cas. Outré par la guerre qui tue. Un génie de l’observation à défriser Sherlock Holmes… Mais sur le fond, c’est bien tout ce qui le dérange. La dictature franquiste en elle-même ne pose pas trop problème. Bah non, un chef unique et tout-puissant, soutenu par l’Église catholique, vu comment ça ressemble à ses propres grandes amours de monarchie de droit divin, où ça le dérangerait ?
In fine, ce qui le choque le plus, c’est que des gens de son bord ont un petit peu déconné en massacrant tous azimuts des civils qui n’avaient rien demandé. Mec, l’Espagne franquiste est une dictature militaire, tu t’attendais à quoi ? Un Caudillo qui règne à coups de bisou ?
Trois cents pages de prise de conscience d’un type qui se croyait malin mais qui ne l’est pas du tout, qui se rend compte que ses idées politiques royalistes antirépublicaines sont merdiques mais qui va quand même continuer à les réaffirmer haut et fort. Avec une touche antisémite en bonus, parce qu’à ce stade, on n’est plus à ça à près. Et le gars n’aime pas trop non plus les homosexuels ni les francs-maçons. Pis il est un chouïa raciste aussi. Une vraie compilation du pire, Bernie la malice…
Trois cents pages d’une révolte très mesurée et qui aura mis du temps à éclore. Georginou découvre la situation politique en Europe avec du retard et la candeur d’un enfant de sept ans. Passons sur le fait que la guerre civile espagnole dure depuis déjà deux ans quand il capte qu’en vrai, ce que fait Franco, c’est pas glop. Ce visionnaire à la petite semaine que d’aucuns ont qualifié d’écrivain-prophète se fend dans la foulée d’une critique à l’égard de Mussolini et Hitler. Tu parles d’une découverte ! Le premier dirige l’Italie depuis seize ans, le second l’Allemagne depuis cinq ans. Pas de nouvelles de première fraîcheur, donc. Faut le temps que l’info monte au cerveau… Alors que pourtant les indicateurs ne manquent pas. À l’été 1933, en six mois de pouvoir, les nazis se sont déjà lâchés sur les exactions avec un paquet de lois antisémites, et quelques autres visant les handicapés. Et on ne parle pas d’opérations secrètes connues de quelques initiés mais de lois : promulguées, officielles, visibles. Mais bon, faut croire que dans la tête à Bernie, juifs et handicapés ne sont pas tout à fait des êtres humains, donc il s’en fout un peu, pas comme les pauvres paysans espagnols, qui eux sont catholiques donc sauvables et méritent qu’on s’indigne de leur sort.
Je sais pas s’il y a de quoi crier au génie à comprendre en 1938 que les années à venir ne s’annoncent pas des plus détendues. D’autant que le réarmement de l’Allemagne est un secret de polichinelle depuis déjà plusieurs années… V’là le visionnaire…
Trois cents pages de vent d’un auteur qui s’écoute parler en jouant les poseurs engagés… Ben mon vieux, t’as honte de rien…
On peut le prendre par n’importe quel bout, le fond, la forme, le propos, les intentions, les idées, ce pensum faisandé pue la charogne. Au moins, c’est dans le ton par rapport aux cimetières du titre.