Les deux pieds dedans !
François Legay
Lajouanie
Quatrième de couverture :
On peut très bien découvrir un cadavre dans une salle de bains. On peut très bien être engagé par quelqu’un qu’on n’a jamais vu afin de procéder à l’échange d’un objet dont on ignore tout avec des gens qu’on ne connaît pas. On peut très bien rencontrer un concessionnaire automobile qui est un obsédé sexuel (ou l’inverse). On peut très bien faire l’amour avec une dame le jeudi et l’entendre vous dire qu’elle aime passer le dimanche avec son mari. On peut très bien prendre une raclée à chaque fois que l’on croise le sosie de David Douillet. On peut très bien être amoureux des femmes en général et d’une commissaire de police, en particulier. On peut très bien avoir de graves ennuis et continuer à en chercher. On peut très bien essayer de trouver le point commun entre toutes les infos précédemment énoncées. Et tout ça sans perdre de vue qu’on peut aussi très bien avoir une voisine qui bronze les seins à l’air, avoir un grand-père peintre, un oncle inventeur et vivre dans la campagne normande entouré de toute une ribambelle de bestioles improbables. Oui, on peut très bien se retrouver au centre de tout ce bordel. À condition, toutefois, de s’appeler Augustin Kerr, d’être détective privé, et de ne pas pouvoir résister, quand l’aventure se présente, à mettre les deux pieds dedans.
Cette interminable quatrième se prolonge par une présentation de quelques lignes citant Les tontons flingueurs, OSS 117 et Le magnifique avec Belmondo. Elle est assortie de cinq extraits sur le rabat intérieur de la couverture, qui donnent un aperçu du ton global du roman. La dédicace, enfin, cite Frédéric Dard et parle de “bâtir des cours de récré”.
À moins d’être vraiment très très con – y en a, on en connaît – le lecteur aura compris dans quoi il met les pieds. Loin du polar qui lave plus noir que noir et prend un malin plaisir à anxyogéniser le lecteur, Les deux pieds dedans ! suit les traces décontractées d’Audiard, San-Antonio et consorts pour proposer une histoire colorée, dans l’esprit annoncé par la couverture qui l’est tout autant. C’est vert mais juste, disait en son temps l’empereur Septime.
À ce prestigieux cortège de références, j’ajouterais Louis-Ferdinand Céline, le maestro du registre scatologique. Quand Legay (luron) présente son détective dans une situation où il y a du caca partout, il ne flotte pas qu’un parfum de napalm ou de victoire. D’aucuns diront que le caca, beurk, c’est sale. Ce qui n’est pas faux, reconnaissons-le. En même temps, quand tu vois l’ouverture à la mode dans le thriller en ce moment… Un prologue mettant en scène un meurtre le plus gore possible, avec un corps éventré, démembré et carpaccisé avec force détails anatomiques, de la mare de sang taille océan Pacifique (le mal-nommé…), une lourde insistance sur la souffrance de la victime, bref la flatterie XXL des bas instincts voyeuristes du lecteur, est-ce beaucoup plus propre qu’étaler son caca sur les murs ? Je ne crois pas.
Telle une pêche, le ton est posé d’entrée de jeu. À l’image d’Augustin Kerr, on se retrouve avec les deux pieds dedans. La suite t’embarque dans une aventure truculente et rocambolesque, pleine de jeux de mot, de traits d’esprits et de punchlines, bourrée de clins d’œil, allusions et références, parfois un peu trop. Écueil de ce type de récit comico-parodique, ainsi que des premiers romans et des bouquins “dans l’esprit de” : vouloir tout caser, tout citer. Donc parfois too much mais pas indigeste non plus. Au moins, on se marre et c’est le but de la manœuvre. Niveau humour, Legay en met un bon coup. On se fend la pipe, dirait son homonyme Thierry Leguay, auteur d’une Histoire de la fellation.
Les puristes du roman policier ultra logique fondé sur une enquête millimétrée au poil de fion risquent de sauter au plafond en lisant les péripéties d’Augustin. Voyons le bon côté : ils nous assurent une belle moisson de médailles aux JO dans la discipline du saut en hauteur. De l’abracadabrant, de l’hénaurme, du capillotracté, oui. Mais c’était annoncé dès le départ : une cour de récré, qu’il a dit le François en tête d’ouvrage. Soit une forme de licence poétique rigolarde et décomplexée, riche d’une ambiance délirante, de personnages décalés, de situations improbables et de son style fleuri. Tout foufou que soit le récit, il reste maîtrisé et bien ficelé comme un mollet dans un bas résille trois tailles trop petit. Barré mais pas nawak.
Est-ce que ça porte bonheur de mettre les deux pieds dedans ? Aucune idée, on en reparlera si je gagne au Loto dans les jours qui viennent. En tout cas, le bouquin tient ses promesses récréatives. Avec Les deux pieds dedans ! on rigole beaucoup, la bonne humeur est au rendez-vous.
Si vous aimez Audiard, San-Antonio, Les Disparus de l’A16, toute la frange comique de la littérature policière, plongez les deux yeux dedans (ou un seul si vous êtes borgne). Si vous avez envie de vous offrir un vent de folie slash une bouffée d’oxygène slash un bol d’air frais (ou autre expression toute faite aérée), histoire de changer des polars où tout est noir et gris et où tout le monde il est moche et méchant, suivez le guide et laissez-vous porter par Legay dans l’espace détente.