Le triomphe de la République (1871-1914)
Histoire de la France contemporaine, vol. 4
Arnaud-Dominique Houte
Seuil
Je mentirais en disant que la IIIe République me passionne. Elle aurait plutôt tendance au mieux à m’endormir, au pire à me donner des envies de napalm – anachronique pour la période mais bien plus efficace que les bombinettes à la poudre noire.
Vieux traumatisme hérité de ma période estudiantine au siècle dernier…
Arnaud-Dominique “Bill” Houte (il est de ch’Nord) a réussi le tour de force de m’intéresser à ce qu’il raconte.
Je ne vais pas m’étaler sur la partie proprement historique, pas tant pour éviter de spoiler – on sait comment ça finit en 1914 – mais parce qu’il n’y a rien à (re)dire. Tout est dans le bouquin, conforme aux souvenirs que j’avais de la période. Le gars connaît son affaire, il a tout bon sur les noms, les dates, les chiffres, les faits, qui sont de toute façon connus depuis un bail. N’empêche que tout établies que soient les données de base, elles méritaient d’être revisitées… et pour certaines nuancées voire réinterprétées.
L’originalité de cette synthèse… ah non zut, je suis en train de recopier la quatrième… Note qu’elle met dans le mille, la quatrième. Et c’est là que réside l’intérêt principal de ce bouquin : il tient son pari et renouvelle la lecture de ce “triomphe” qui ne partait pas gagnant.
Houte questionne beaucoup, répond dans les mêmes proportions en intégrant les travaux les plus récents de ses pairs. Faut reconnaître que certaines références ou approches dataient un peu, idem certaines appellations tenues pour acquises ou auréolées d’une image quelque peu épinaleuse (la Belle Epoque ne l’est pas pour tout le monde…). “Il n’est pas inutile de sortir de cette belle imagerie sépia”, dit-il à raison dans sa conclusion.
Le but de ce bouquin, c’est de faire le tour des acquis, de les dépoussiérer, de les remettre à la fois en question et à la page. Le tour aussi des nouveautés, parce que la recherche n’a pas chômé.
Renouveler l’approche aussi, moins centrée sur Paris, plus précise dans la vision de la province, qui ne forme pas juste un bloc appelé “la province”. Une approche qui ne passe pas que par les yeux des historiens mais aussi beaucoup par les yeux des contemporains. Sur ce point, si le “triomphe” paraît évident après coup, on voit que sur le moment, c’était coups de flips et compagnie, sans couronne de lauriers ni descente en char romain sur la via machinchose. On trouvera donc dans ces pages autant d’histoire des mentalités que d’histoire politique, économique et sociale. Et ça, c’est bien (sinon, quand il n’y a que les trois dernières, je m’endors).
Autre bon point dans l’approche, les petits. Bien sûr que tous les bouquins sur la période te parlent des journaliers qui tirent la langue dans les campagnes et des ouvriers pauvres. Mais Houte ne se contente pas de les mentionner histoire de dire “ça, c’est fait”. Il s’intéresse manifestement à leur sort, te parle aussi de populations absentes de bien des manuels (apaches, mendiants, forains, exclus, marginaux…) ou éclusées à la va-vite (les femmes).
Au bout du compte, la glorieuse et triomphante IIIe est présentée pour ce qu’elle est, avec du bon et du moins bon. Pas le machin formidable que le roman national nous vend à grand renfort de nostalgie, d’approximations et/ou de mauvaise foi. On parle quand même d’une France coloniale, riche d’inégalités et de tensions politiques et sociales (la Belle Époque, ben tiens…).
Houte dresse un portrait fidèle d’une république “qui n’a pas inventé tout ce que la mémoire nationale lui attribue” mais qui ne s’est pas non plus tourné les pouces. Tout honni que soit aux yeux de certains le régime impérial qui l’a précédée, elle en est l’héritière et c’est comme ça. L’Histoire n’est pas un CV d’où on peut évacuer les expériences qui font tache (ou perçues comme telles). Houte fait assurément de l’Histoire, pas de la fiction ou de la réécriture malhonnête.
400 pages paraissent presque peu pour couvrir une période aussi riche. L’ouvrage ne prétend pas à l’exhaustivité, il balaye l’ensemble – ce qui n’est pas la même chose que survoler. Rapide mais précis, sans tomber dans le travers de l’érudition aride qui t’assomme à grands coups de dates/chiffres. Si besoin, tu as de quoi approfondir avec l’abondante bibliographie (35 pages, bon courage !).
Je me suis tapé assez de manuels sur la question pour affirmer que celui-ci se situe dans le haut du panier. Une base pour les étudiants en histoire, mais pas que. Un ouvrage grand public, “accessible” pour reprendre la quatrième.
Sur ce point, Houte tire encore son épingle du jeu. Le reproche que j’adresse à beaucoup d’historiens, c’est d’être ennuyeux, soporifiques, pour ne pas dire chiants (ah ben, perdu, je l’ai dit…). Jargon universitaire, construction pseudo-littéraire alambiquée et ampoulée, forme poussiérieuse déjà vieillotte au XIXe, dans le genre palpitant, on a vu mieux. Pour moi, bien écrire doit faire partie de la panoplie de l’historien. Parce que la recherche, c’est bien joli, mais à un moment, faut en rendre compte. À ses pairs, aux étudiants (dans enseignant-chercheur, les deux termes ont une importance égale), à un public plus ou moins large de gens que le sujet intéresse. En un mot, transmettre. Ce qui en implique d’autres, de mots, qui se doivent d’être intelligibles.
Ici triomphent propos clair, style alerte, sens de la formule, citations et exemples éclairants. Houte se montre compréhensible. Et agréable à lire, ce qui ne gâche rien, bien au contraire.