Le joueur de croquet
H. G. Wells
Folio
Le plus british des écrits de Wells, plutôt mineur dans sa biblio, Le joueur de croquet en touche une sans remuer l’autre.
Le texte a pour lui le mérite de la brièveté, quelque part entre très longue nouvelle ou très court roman. Wells y compile tout le fantastique anglo-saxon que d’autres ont déjà écrit avant lui.
Plutôt qu’un rapport direct des événements, il joue l’enchâssement classique : un témoin vient raconter son histoire à un tiers, qui fait office de narrateur, de façon à glisser les doutes et interprétations de ce dernier… et orienter la perception du lecteur. Ce témoin est bien sûr une personne honorable et respectable, en l’occurrence un médecin. C’est toujours un médecin, ou l’aristo du coin, des fois. Jamais un prolo. Un Watson bis, donc, mi-enquêteur mi-victime. Le narrateur, quant à lui, est un parfait oisif dont la vie consiste à jouer au croquet et rester dans les bonnes grâces de sa tante pétée d’oseille, aux crochets de laquelle il vit. Bref, le parfait assisté de droite, glandeur, lisse et insipide. Soit un casting très Agatha Christie, dont l’œuvre regorge de lords, bourgeois et notables avec un poil XXL dans la main.
Côté atmosphère, on se tourne vers Arthur Conan Doyle et Le chien des Baskerville. Le récit du toubib porte sur son installation dans un patelin paumé au milieu d’une lande désolée, avec tout le cahier des charges du fantastique champêtre, depuis le marécage de rigueur aux éternelles nappes de brume. Pour l’originalité du décor, on repassera… Celui-ci est éculé depuis le roman gothique.
Le bled soi-disant peinard semble pourtant hanté par un lourd secret – comme dans tous les récits de Lovecraft situés dans la cambrousse. Un mal ancien rôde dans les collines, la folie s’installe chez les habitants. Sans que le lien entre les deux ne tienne la route. Je ne vais pas spoiler ici la nature de ce qui se passe, mais autant je comprendrais que le “problème” foute la trouille aux villages dans une ambiance de peur panique absolue, autant je ne vois pas de quelle manière il susciterait la “folie” à part en recourant à une explication du type “ta gueule, c’est magique”. C’est la grosse faiblesse du roman : ça ne tient pas debout, même pour du fantastique. Faut reconnaître aussi que le thème choisi n’a jamais donné grand-chose de bon (des lovecrafteries très moyennes, Le 13e guerrier, le consternant The Descent, l’hyper-nanar Humains avec Lorànt Deutsch…).
Tout le sujet du roman consiste à deviner si le bon docteur raconte la vérité ou s’il est cintré au dernier degré et affabule tous azimuts. Mais la mayonnaise ne prend jamais vraiment. Wells ne parvient jamais à instiller un vrai doute tant sur la santé mentale du médecin que sur la réalité de ce mal absolu qui rongerait le village. Pas plus de réussite pour instaurer un climat d’épouvante. Le bouquin est trop classique dans sa structure et les éléments qu’il met en scène. Même dans les années 30, quand il a été écrit, tout était déjà au mieux pas original, au pire cliché. La vague gothique a déjà exploité le filon, idem les pulps américains depuis une grosse vingtaine d’années à l’époque.
Après, le bouquin se laisse lire et pourra plaire à celles et ceux qui ne se sont pas déjà enfilé toute la littérature sur le sujet.