Le Corbeau – Henri-Georges Clouzot

Une petite ville, des lettres anonymes et calomnieuses signées “Le Corbeau” et c’est parti pour l’engrenage de la suspicion et de la violence !

Le Corbeau affiche film Henri Georges Clouzot

Ce chef-d’œuvre du cinéma qui fit polémique en son temps. Clouzot fut accusé de donner une mauvaise image des Français. Quel vilain garnement… Le Corbeau a été tourné en 1943. Si mes connaissances en histoire sont exactes, et elles le sont, certains ne l’ont pas attendu et ont pris les devants. État Français, Collaboration, entrevue de Montoire, rafle du Vel’ d’Hiv’, création de la Milice, autant de faits qui donnent une image pas très glorieuse image de la France, tous antérieurs au Corbeau. On a quand même assez déconné à l’époque pour ne passer qu’à deux doigts de finir au coin avec le bonnet d’âne et une force d’occupation alliée. Pis bon, faut reconnaître qu’on est champions du monde quand il s’agit de cafter et on n’a jamais eu besoin de Clouzot pour rafler la médaille.

Passé le générique, la première image est un beau (?) texte blanc sur noir : “une petite ville, ici ou ailleurs”. Pas “une petite ville française” ni “ici ou ailleurs en France”. Le patelin porte un nom, Saint-Robin, parce qu’il lui en fallait un. Il s’appellerait “le village sans nom”, on ne verrait pas la différence. À part savoir qu’il se situe en province, on serait bien en peine de le situer sur une carte. On ne trouvera pas davantage de repère chronologique. Un film atemporel pour une thématique intemporelle (que c’est joliment dit…). Si Clouzot avait été allemand, ses personnages auraient été des Teutons dans la ville de Machintrucstadt, s’il avait été anglais des Rosbeefs à Tartempioncity, etc. Et le même film tourné en 1930 ou en 1950 serait passé comme une lettre (anonyme) à la Poste. D’ailleurs, la première mouture du scénario par Louis Chavance date de 1935, pas vraiment une année-phare dans l’histoire de la Collaboration.
Ironie du sort, La Machine à écrire de Cocteau, inspirée du même fait divers que Le Corbeau – l’affaire du corbeau de Tulle (1917-1922) – aura connu meilleure presse… sauf auprès des collabos et Allemands qui l’ont interdite.
Pour éviter de confondre merle, corneille et corbeau, vaut mieux visionner ce film en oubliant son année de tournage. Les histoires de lettres anonymes, délation et calomnies qui virent au drame prennent une teinte particulière au regard de l’Occupation, mais, et c’est là toute la beauté de l’œuvre, vas-y que je t’esquive les références faciles à l’actualité. Pas de “mon voisin est un juif/résistant/communiste”. En faisant appel aux bons vieux vices de base (Machine couche avec Trucmuche pour l’essentiel), le Corbeau fonctionne dans son contexte et en-dehors. Film universel par excellence, on peut l’adapter à n’importe quel pays, n’importe quelle époque, bien au-delà de ce nombrilisme hexagonal qui a valu l’opprobre à Clouzot.

D’ailleurs, les lettres en soi, on s’en fout un peu. Elles fournissent un prétexte à l’action du film pour aborder d’autres thèmes que le simple “Machin il a dit qu’Untel il avait fait ça” : le sexe (via l’avortement, l’adultère, la séduction), le déchirement de la communauté (qui là aussi prend un sens particulier en ces temps où la France est elle-même déchirée), le portrait de ces notables propres sur eux qui ont tous un squelette planqué dans le placard de la respectabilité… La morale prend cher, malmenée comme un côlon pendant un week-end à La Fistinière. Sexe, drogue, rock’n roll, adultère, vengeance… Pas un personnage qui ne soit épargné. Pas un non plus qui a un moment ou un autre ne se comporte en parfait égoïste, fieffé fumier, ordure de première, aussi bien à titre individuel que collectif (la vindicte populaire l’emporte toujours sur la sagesse populaire).
Un jour quelqu’un m’a dit que tu m’aimais encore voyais le Mal partout. À quoi j’avais répondu : “Mais le Mal est partout !” avec de l’italique plein la voix. Le Corbeau en est la parfaite illustration. Sans doute le meilleur film sur le Côté Obscur du quotidien avec son cortège de mesquinerie, ragots, veulerie, bassesses… Remplacez les lettres par une discussion entre collègues à la cafétéria, en salle des profs, avec votre concierge et vous apprendrez de la même façon que la secrétaire se tape le comptable, Untel pique des fournitures de bureau, Bidule est une grosse feignasse qui glande sur des sites de lolcats…

Que dire de plus ? Les acteurs ? Magistraux. La BO ? Formidable puisqu’il n’y en a pas (je déteste les musiques de fond). On savoure au calme chaque ligne de dialogue pour la petite saloperie qu’elle renferme.

Fidèle à mon habitude, je vais quand même vous spoiler la fin et vous révéler l’identité du coupable :
C’EST LE COLONEL MOUTARDE AVEC LE CHANDELIER DANS LA BIBLIOTHÈQUE.

lettre anonyme corbeau
Oh, le vilain petit débauché…

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