Le Chien de Guerre et la Douleur du Monde – Michael Moorcock

Le Chien de Guerre et la Douleur du Monde
Michael Moorcock

L’Atalante

Couverture Le chien de guerre et la douleur du monde Michael Moorcock L'Atalante

Nous sommes en 1631. La guerre fait rage dans le Saint-Empire romain germanique depuis treize ans, un conflit auquel toute l’Europe participe. Toute ? Non, car un petit village… Ah ben si, en fait, la totalité de l’Europe s’est invitée à cette grande fête qu’on appellera plus tard la guerre de Trente Ans. Certaines monarchies interviennent dans le conflit l’arme à la main, d’autre soutiennent tel ou tel camp en l’arrosant de subsides, toujours est-il que tout le monde est impliqué de près ou de loin, en première ligne ou dans les coulisses.
Tout part d’un événement mineur à Prague – quelques représentants de l’autorité impériale balancés par une fenêtre – et voilà la Bohême en rébellion contre l’empereur. L’Empire contre-attaque et écrase la révolte. Cette victoire et la répression qui s’ensuit à coups de décapitations, exils et confiscations de biens, loin de calmer les esprits, poussent au contraire les princes protestants à la révolte. Parce que le problème est d’abord religieux, protestants versus catholiques, et par contrecoup politique, puisque les princes-électeurs, comme leur nom l’indique, élisent l’empereur. Là-dessus vont s’ajouter rivalités entre grandes familles nobles, velléités indépendantistes sur le pourtour de l’Empire (Bohême, Pays-Bas), appétits territoriaux (le Danemark, par exemple, se verrait bien grandir sur l’Allemagne du nord), ambitions personnelles (on prête au condottiere Wallenstein des vues sur le trône de Bohême), opposition entre modèle féodal et modèle absolutiste, visées économiques et commerciales (la Suède lorgne sur les territoires impériaux bordant la Baltique), retournements de veste (la France catholique est d’abord sur la même longueur d’onde que l’Empire avant de soutenir les protestants pour éviter une hégémonie des Habsbourg, dont les territoires l’encerlent de partout).
En résumé, c’est un foutoir total.

À l’époque, la guerre est d’abord une affaire de mercenaires. On lève des armées en temps de guerre, ça fait des économies en temps de paix (même si on se demande quand les États d’Europe sont en paix au cours de leur histoire…). Le problème des armées mercenaires, c’est de n’être pas des armées nationales qui ont quelque chose à défendre et à perdre. Donc des bandes avec une motivation et une loyauté des plus précaires. T’as ceux qui se battent à l’économie et font durer la guerre à moindre risque tout en se remplissant les poches. T’en as d’autres qui changent de camp au gré du vent et des tractations financières. T’as en majorité des gars pas du coin qui n’en donc rien à foutre de tout pulvériser sur leur passage, troupes ennemies, civils, villes, villages, et dont la seule traversée d’un territoire cause plus de dégâts qu’une bataille contre l’armée adverse. T’as les électrons libres ingérables qui se battent n’importe où n’importe comment sans le moindre plan quant à la conduite des opérations, qui gagnent des batailles sans exploiter les victoires, se lancent dans des sièges interminables pour prendre des villes sans importance, bref des professionnels de la guerre qui n’en ont que le nom vu leur amateurisme en matière tactique et stratégique. Et t’as enfin les grands chefs de guerre qui finissent par devenir plus encombrants qu’autre chose quand ils se retrouvent auréolés du prestige de leurs succès et à la tête d’une armée innombrable capable de faire la loi chez toi, voire de te renverser du trône.
En résumé, c’est un foutoir total (bis), qui conduira après la guerre de Trente Ans les monarchies européennes à revoir à la baisse le mercenariat et à mettre en place des armées nationales permanentes, mais c’est une autre histoire.

Or donc, Ulrich von Bek, le héros (ou antihéros) de Moorcock est un de ces chefs mercenaires, guerrier infatigable surnommé Krieghund, le chien de guerre. Enfin, pas si inusable que ça, parce que le bonhomme a un coup de mou après le sac de Magdebourg, qui voit la plupart de sa population massacrée. En trois jours, la ville est passée de 30000 à 5000 habitants.
Pour s’éclaircir les idées, Von Bek part vadrouiller dans la forêt… et tombe sur Lucifer. Poissard jusqu’au bout, le mec.
Bon, l’Ulrich ne s’en sort pas trop mal, Lucifer est dans un bon jour. En effet, Lulu en a ras la casquette des ces interminables bisbilles avec Dieu et aimerait bien enterrer la hache de guerre avec le Grand Manitou. Il propose donc au chien de guerre d’arranger ses ballons en trouvant le remède à la douleur du monde – d’où le titre, vous voyez ? – et en contrepartie l’âme de von Bek, vouée à la damnation éternelle, sera sauvée.
Et c’est ainsi que le Krieghund se trouve embarqué dans un triple combo de geste d’errance médiévale, de pacte avec le diable et de quête du Graal. Quadruple, même, puisque ce tiercé se trouve intégré au Multivers moorcockien et à sa figure du Champion éternel déjà présents dans le Cycle d’Elric, La légende de Hawkmoon, La quête d’Erekosë, Les livres de Corum, Les aventures de Jerry Cornelius, Le Nomade du temps, dans toutes ses autres sagas en fait.
Après la pure fantasy (Elric, Erekosë, Corum), le post-apo (Hawkmoon), l’uchronie (Le Nomade), direction l’historique… mais pas que, puisque le roman contient de la fantasy, dans une ambiance de fin du monde et que sans être de l’uchronie stricto sensu, c’est pas de l’histoire non plus au sens universitaire. Donc un peu une synthèse de tout le reste de son œuvre, un des meilleurs bouquins de Moorcock. Et sans doute un des mieux écrits côté style, là où d’autres de ses textes ont des airs de torchage à la va-vite pour des raisons alimentaires. On sent l’auteur dans son élément avec cette guerre de Trente Ans dont l’ambiance colle nickel avec ses thèmes de prédilection (héros maudit, monde désespéré, quête mythique). Le texte jongle avec brio entre des opposés qui se marient bien, sombre et flamboyant, gothique et baroque, partagé entre aventure et métaphysique, symbolique de cette époque qu’on appelle la période moderne tout en gardant encore un pied dans le Moyen Âge.
Un must pour les amateurs de Moorcock, un bon moyen de le découvrir pour ceux qui n’ont jamais mis le nez dedans (même si ça me semble mieux de commencer par le classique Elric, plus abordable).

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *