La Vallée des Rois
Otto Neubert
Robert Laffont
Si vous cherchez un bon bouquin d’égyptologie, passez votre chemin. Déjà à l’époque de sa parution, dans les années 50, les égyptologues sérieux l’estimaient tout nase, faute du moindre embryon de début d’amorce d’un semblant de démarche historique scientifique, sans parler d’un paquet d’erreurs quand l’auteur n’inventait pas carrément des trucs à sa sauce pour combler ses lacunes. Autant dire qu’avec trois quarts de siècle dans le nez, au cours desquels la recherche a beaucoup progressé sur l’Égypte ancienne, ce torchon foireux n’a plus comme intérêt que celui d’être une curiosité.
Otto Neubert est à l’égyptologie ce que je suis aux claquettes : personne. Le gars se dépeint lui-même comme un aventurier baroudeur qui a bourlingué de ci de là – un Otto mobile, dirons-nous – avant de s’intéresser à l’Égypte et de s’accrocher aux basques des archéologues et historiens qui bossent dans le coin. La plupart des égyptologues de son temps n’ont jamais entendu parler de lui et aucun de ceux qui le connaissent ne considère comme un pair ce pique-assiette qui les fréquente par la bande. Parmi eux, Howard Carter ne mentionne jamais Neubert dans aucun des trois volumes de The Tomb of Tutankhamun, récit ô combien détaillé des fouilles, de la découverte et de l’exploration de la dernière demeure du pharaon Toutankhamon. Neubert était pourtant censé être présent à l’ouverture des chambres intérieures du tombeau, faudra donc se contenter de sa parole.
Ça pose la pointure dans son domaine : taille zéro, un genre d’anti Berthe au grand pied.
Tant qu’à empiéter sur les plates-bandes de l’égyptologie, Otto la Malice se dit qu’il serait dommage de s’arrêter en si bon chemin et décide dans la foulée de faire caca sur l’historiographie et d’en étaler partout. Ainsi naît La Vallée des Rois, ouvrage de vulgarisation d’histoire de l’Égypte destiné au grand public.
Seul point positif qui ressort de ce bouquin, on ne peut nier à Neubert un certain talent rédactionnel pour rendre la lecture prenante. Dommage que l’essentiel de ce qu’il raconte soit de la connerie en branche.
Les erreurs et approximations historiques sont légion, dans la graphie des noms, la chronologie, les faits relatés… Replacé dans le contexte des connaissances de son époque, le contenu de La Vallée des Rois fait figure de mauvaise copie d’un étudiant en égypto qui n’a pas révisé grand-chose avant son examen. Quand il lui manque des éléments, soit parce qu’il n’est pas spécialiste du sujet donc avec beaucoup de lacunes, soit parce qu’il s’agit d’inconnues dans une discipline à trous, Neubert ne se casse pas la tête : il invente. Alors, inventer représente une part non négligeable du métier d’historien et la démarche ne dérange personne du moment qu’elle est menée de façon sérieuse et scientifique, avec précautions oratoires, guillemets et conditionnel de rigueur. Avancer des hypothèses, qu’on appelle ça dans le métier. À la sauce ouanegaine de Toto, c’est juste du nawak, une mauvaise histoire mal romancée. Pire, il trompe son public de non-spécialistes en lui servant ses fredaines comme des vérités scientifiques.
Comme si raconter n’importe quoi ne suffisait pas, Otto Fléau-du-Nil va aussi le raconter n’importe comment. L’art d’enfoncer le clou porté à son plus haut niveau, à l’évidence avec un maousse marteau à faire pleurer Karl Franz de jalousie. L’angle d’approche sera celui d’une histoire morale. Grandeur et décadence des empires anciens, dont la valeur de la civilisation se mesure à la vertu de son peuple et de ses élites, dans une vision simpliste de la marche de l’Histoire. Faute de rigueur scientifique dans l’exposé comme dans sa documentation, on n’osera qualifier cette prose de “démonstration”. On peinera tout autant à y voir de la philosophie de l’histoire : à tout tordre pour aller dans le sens du propos, l’ambiance est plutôt celle du bistro du coin, dans une version exotique qui sent bon le sable chaud et pue la mauvaise foi dans les mêmes proportions.
La Vallée des Rois se situe donc très au-delà des libertés que peut s’autoriser un vulgarisateur. La communauté scientifique admet que pour s’adresser au grand public, on puisse simplifier un peu, prendre quelques raccourcis, jouer sur l’enrobage accrocheur (les phrases choc, le tragique, le dépaysement, l’exotisme…). Être compréhensible par un lectorat qui n’a pas un doctorat en poche, ni vingt ans d’exercice du métier, ni une connaissance approfondie de tous les articles spécialisés sur le sujet, demande des aménagements. C’est permis. Tant que le socle reste rigoureux dans son approche et sa documentation, le propos correct d’un point de vue scientifique.
La Vallée des Rois, c’est tout l’inverse, une imposture de bout en bout de Neuneubert, qui mêle superficialité, lacunes, approximations, erreurs, sources puisées dans des ouvrages dépassés, interprétations fantaisistes ou biaisées, inventions de l’auteur pour dresser in fine un portrait de l’Égypte d’une rare fausseté.