L’année dernière ressortait La souris qui rugissait, un titre satirique dont la précédente édition en VF remontait à… 1955 ! Ce serait dommage de ne pas en profiter.
La souris qui rugissait
Leonard Wibberley
Éditions Héros-Limite
L’histoire, en gros…
Minuscule principauté alpine, le Grand-Fenwick vit encore comme au Moyen Âge. Pour faire face à une situation économique de moins en moins viable, cette petite souris déclare la guerre aux États-Unis. Avec pour objectif de perdre et ainsi de bénéficier des largesses du vainqueur. L’armée du Grand-Fenwick – trois chevaliers et vingt archers – se lance à l’assaut de New York. Sauf que les choses ne vont pas se passer comme prévu.
Tu l’auras compris, La souris qui rugissait se pose là dans le genre loufoque. Le roman enquille les situations fantaisistes et s’autorise de gros délires… avec le plus grand sérieux.
À la fois fable politique, satire, conte philosophique, l’œuvre se situe quelque part entre Voltaire et Terry Pratchett. Un monde imaginaire avec beaucoup de réalité dedans. Par son ton et ses situations farfelues, le bouquin s’adresse aux amateurs des Annales du Disque-Monde, des Croisés du Cosmos, de Sacré Graal ou encore de Docteur Folamour (d’ailleurs Peter Sellers a aussi joué trois rôles dans l’adaptation ciné de La souris qui rugissait).
La dédicace mentionne “toutes les petites nations qui, au cours des siècles ont fait de leur mieux pour obtenir et sauvegarder leur liberté”.
Propos bien de son temps puisque nous sommes en 1955.
Avec la fin de la Seconde Guerre mondiale, un nouvel équilibre s’est mis en place… avec tout ce que la notion implique d’instabilité funambulaire. Deux puissances impérialistes, USA et URSS, régissent le monde chacune à la tête d’une bande de féaux qui leur mangent dans la main. Toutes deux disposent d’un prodigieux stock de flingues XXL et garantissent la paix grâce à la terreur nucléaire (faut pas chercher de logique…). Dans le même temps, aux Nations Unies – un nom qui me fera toujours rigoler – cinq États font la pluie et le beau temps. Les autres n’ont qu’à suivre le mouvement, en silence et avec le sourire, s’il vous plaît.
Le concert des nations… Un duo de solistes (sic) qui gueulent très fort pour couvrir la voix de l’autre, une poignée de trompettistes dont on entend une note par-ci par-là, et un plein de orchestres de violonistes à qui on a piqué les archets.
Mais des irréductibles ruent dans les brancards en mode David contre Goliath. Des “petits” comparé aux mastars américains et soviétiques, ou aux empires sur lesquels le soleil ne se couche jamais (mais où, paradoxalement, les Lumières ne brillent pas des masses). Ces rapports du faible au fort marquent le début de la fin pour les puissances coloniales (i.e. guerre d’Indochine entre 1946 et 1954), ainsi que l’émergence du mouvement des non-alignés (idée qui germe fin 1953).
Comme dans une fable, ces souris se montreront capables de mettre à mal les éléphants.
Wibberley met en scène une de ces souris qui parvient à rugir comme un lion. Bon, pas exprès, parce que le ton est comique. Mais justement, son idée est de montrer l’absurdité d’un ordre mondial où certains ne se font entendre que sur un malentendu. Sans quiproquo, on ne les écouterait pas, parce qu’ils n’ont pas de bombe A, pas de droit de veto à l’ONU, pas de capacités économiques leur permettant de clientéliser des satellites.
Amour des petites nations qui survivent contre vents et marées, mais pas que. Critique aussi. À la base, le Grand-Fenwick veut perdre la guerre pour profiter d’une reconstruction aux frais du vainqueur, sur le modèle de l’Europe arrosée par le plan Marshall. Cette manne aurait un impact sur la souveraineté grand-fenwickienne, mais c’est le prix à payer. Jusqu’où aller pour préserver son indépendance ? Où se situe le point idéal qui ménagerait à la fois l’État, l’économie, le peuple ? Comment gérer la dépendance ou l’interdépendance commerciale entre États, l’intensification de la concurrence à l’échelle du globe, la mondialisation ?
Autant d’interrogations sérieuses derrière la farce.
La souris qui rugissait questionne aussi sur la notion de grain de sable. Les petits terrassent parfois les grands. Ici, le grand se plombe en quelque sorte tout seul. Si le roman, plus de soixante ans après sa parution, reste d’actualité pour moquer et faire réfléchir sur la diplomatie mondiale, il est on ne peut plus pertinent sur la notion de colosse aux pieds d’argile. Mine de rien, la vie des grandes puissances ne tient qu’à un fil. Suffit de voir ce qui s’est passé après 1955. Exit les empires coloniaux, le bloc soviétique a éclaté, et surtout les grosses économies peuvent se viander du jour au lendemain. Un pet de travers et paf, une drisse financière de tous les diables te cloue sur un trône qui n’a plus rien de glorieux. Et tout l’arsenal atomique du monde ne te sauvera pas.
Wibberley ne s’y est pas trompé, il prône un désarmement nucléaire total.
Même si le contexte Guerre froide a vieilli un chouïa, à peu près tout dans La souris qui rugissait fait encore sens à l’heure actuelle. Suffit d’allumer les infos pour s’en convaincre. Le roman a le mérite d’être beaucoup plus drôle que l’IRL, bien barré dans ses situations et très intelligent dans son propos.
Je doute qu’on ait droit en vrai au même épilogue. Je nous sens plutôt partis pour voir la souris et l’éléphant crever sur un caillou aride. On l’aura bien cherché.