Les promesses sont le business du moment (note pour les générations futures : cette chronique a été écrite en pleine période électorale, peu avant le Grand Cataclysme qui a transformé Azeroth la Terre en caillou radioactif).
Des promesses, toujours des promesses. Même les auteurs s’y mettent.
Cédric Cham a la tête sur les épaules, il se contente d’une seule et en plus il la tient. What else? comme dirait ce bon vieux docteur Ross.
La promesse
Cédric Cham
Fleur Sauvage
Samuel Paine est flic. Sa femme Allison meurt assassinée sous ses yeux. Tristounet, il tente de se suicider mais rate son coup. C’est pas son jour, au Sam, et pas de bol, y a des jours tous les jours.
Tant qu’à profiter de ce “miracle”, Sammy se fait une promesse.
Se venger.
Ça va chier…
Bon, tu vas me sortir que ce début, tu l’as déjà lu un paquet de fois ou vu dans 12000 films qui partent de la même base. Tel un lycéen en période de bac, je dis “certes”. La promesse ne décrochera pas l’Oscar du pitch le plus original de l’histoire de la littérature (et quand bien même, les Oscars ne récompensent pas les livres mais les films, donc tintin quoi qu’il arrive).
Après, si tu regardes le détail, le nombre de thèmes en littérature tient sur les doigts d’une main. Retire les histoires de vengeance, d’amour et de chasse au trésor, ne subsistent que l’annuaire et le Bescherelle.
Qu’est-ce qui fait la différence ? Ben tout le reste. Le traitement. Vaste champ des possibles pour tirer son épingle du jeu via les personnages, le décor, le style, la portée et j’en passe.
Tout ça pour dire que La promesse n’est pas qu’une énième histoire de vengeance lambda. J’en ai bouffé de la vendetta, des tonnes de papier, des kilomètres de pellicule. Pas évident de me maintenir éveillé avec cette thématique que je connais par cœur. Cédric Cham l’a fait. Un bon roman, j’ai bien aimé, Cham plaît (je m’en serais voulu de ne pas la placer, celle-là).
Dans cette Promesse, il y a quelque chose de Max Payne (Sam Paine, Max Payne, tu vois ?), d’un Old Boy qui aurait troqué son marteau pour une pince multiprise, d’un John Wick avec un nounours sous le bras, ou encore d’un Charles Bronson (le type qui perd trois ou quatre fois sa femme en cinq Death Wish…). Plus qu’un best-of des meilleurs films de vengeance, Cédric passe le tout à la peau de Cham-ois. En ressort un récit classique dans sa trame mais bien fichu, bourré de trouvailles qu’on n’oubliera pas de sitôt.
“Je vous présente l’arme du crime, claironna l’expert. Un godemiché de quarante centimètres, extérieur cuir cousu main. Du bel ouvrage…”
Eh ouaip, c’est pas tous les jours qu’on croise un type démantibulé à coups de gode (enfin, après, ça dépend des sites oueb que tu fréquentes…).
Hors de son contexte, la citation paraît rigolote, mais en vérité je te le dis, La promesse est un roman noir, très noir. Comme je sais me tenir, je t’épargnerai les formules clichés du thriller “coup de poing” et “sans concessions”. Et tant pis pour le jeu de mot sur Cham-poing.
D’autant que des concessions, on en croise. Sam ne devient pas un monstre absolu, il reste humain. Ok, le Sammy n’est pas à prendre avec des pincettes (vu que c’est lui qui la tient, la pince) et déglingue des mecs en mode Mortal Kombat fatality in your face, mais il reste guidé par son amour pour Allison et capable d’empathie (envers “Jessika avec un k”, par exemple). Perso, je préfère les antihéros qui basculent complètement (sans doute parce que l’empathie et moi, on ne vit pas dans le même corps), mais c’est affaire de goût. Ici, rien à redire en soi, le personnage de Sam tient la route, son évolution et son comportement sont cohérents. Tout lecteur non psychopathe l’aimera, ce type droit dans ses bottes. Enfin droit… il a pété un câble mais garde un certain sens de la mesure justice. J’entends qu’il ne cartonne pas n’importe qui dans la rue pour se passer les nerfs. Réflexe de flic, Samuel ne se focalise que sur les coupables. Alors violent, oui, ça, on le serait à moins. Dans des circonstances pareilles, qui ne se laisserait pas tenter par une bonne vendetta bien rouge et bien noire ?
Et là je dis, chapeau Chami (patapi). Roman violent ne signifie pas bourrinage excessif, surenchère délirante qui te gicle des hectolitres de sang à la figure. Cham se montre économe de mots et d’effets, il sait où s’arrêter et joue de l’ellipse comme Dexter du bistouri. Violence crue mais sans voyeurisme, sensationnalisme ou gore facile. Pas la peine de décrire la torture d’un type sur dix pages quand dix lignes avec des mots bien choisis, ou même une simple suggestion, suffisent. Le meilleur choix pour ce type de roman, gardant la puissance intacte du début à la fin. Parce que sinon, plus t’en dis, plus faut en dire et au bout d’un moment, soit tu te répètes, soit tu dois repousser toujours plus loin les limites au point de de plus rimer à grand-chose. L’un dans l’autre, tu finis par user le lecteur en le noyant sous l’hémoglobine.
La promesse maîtrise le dit et le non-dit, sait expliciter ou faire appel à l’imagination du lecteur quand il le faut. Associé à un style aux phrases courtes, la narration percute du début à la fin. A part peut-être le choix du passé simple qui m’a laissé un peu dubitatif. Je comprends son emploi dans la mesure où Samuel est incapable de tourner la page et garde un pied dans son passé avec Allison. Mais une vengeance comme la sienne tient de la fuite en avant. Tout tourne autour de cet objectif, rien d’autre ne compte : l’instant T constant. J’aurais plutôt vu le présent. Rien de rédhibitoire, cela dit, je pinaille comme j’en ai l’habitude.
Autre point qui m’a plu, la construction. Une histoire de vengeance implique une trajectoire linéaire, très jeu vidéo dans l’esprit : 1 chapitre = 1 stage = 1 boss de fin. Normal vu la thématique, quintessence de la ligne droite vers l’objectif. Pour casser cette linéarité, le roman ne se déroule pas que du point de vue FPS de Sam et offre une vision plus large de la situation, mettant à contribution les policiers, les truands et un type qui se fait appeler Smith (pseudonyme propice à un joli jeu sur les périphrases, soit dit en passant). Bien vu, l’aveugle.
Pour un premier roman, Cham s’en sort très bien alors qu’il ne se facilitait pas la vie. Le thème de la vengeance, très classique, en apparence facile… mais en réalité très casse-gueule pour sortir des codes, scènes attendues et péripéties prévisibles. Sans révolutionner le genre, La promesse sort du lot et se révèle efficace, bien écrit et très prenant. Dur de lever le nez du bouquin… La quatrième le vend comme “un thriller habile” et je confirme : Cham a bel et bien le stylo habile.