La chambre des morts – Franck Thilliez

“Tout est relatif”, disait Bébert en son temps. Oui, tout, à commencer par la paternité de l’expression qui revient à Auguste Comte.
La chambre des morts est un bon roman… plus ou moins bon selon comment on l’aborde. Bienvenue dans la théorie de la relativité littéraire.

La chambre des morts
Franck Thilliez
Pocket

Couverture La chambre des morts Franck Thilliez Pocket Thriller

Dans l’absolu, voici un bon roman qui n’a pas volé ses critiques élogieuses.
À commencer par le tableau qu’il brosse de ch’Nord. Thilliez peint la réalité sociale d’une région en crise, grise et pauvre, sans tomber dans le cliché misérabiliste qui fait la part belle aux pédophiles consanguins, immigrés délinquants et autres anciens mineurs alcooliques échappés de Germinal.
Vigo et Sylvain (les deux qui roulent dans la quatrième citée supra) ne sont pas des héros ni même des antihéros, juste des mecs lambda. Je n’ai pas eu trop de mal à m’identifier aux deux compères. Ayant été informaticien, chômeur et nordiste comme eux, ça crée des liens.
D’entrée la situation implique le lecteur et lui pose la grande question “tu aurais fait quoi, toi ?”. Question d’une complexité infinie qui mêle éthique, Bien et Mal, valeurs morales personnelles, intérêt particulier, situation générale des protagonistes et le hasard de l’instant T. Réponse simple : un gros tas de pognon balaie bien des scrupules… et, tel l’or du Rhin, entraîne un gros tas d’emmerdements.
Sur ce plan, le roman n’est pas bon mais carrément excellent. Réaliste, crédible, d’une grande justesse.
Deuxième point fort, le jour où le noir sera coté en bourse, Thilliez se positionnera en bonne place au CAC 40. Avec un taux de glauquitude d’environ 87% par page, il ne se contente pas de mettre la barre très haut, il la catapulte dans la stratosphère. Là encore, en procédant avec maîtrise. Ok, y a du gore, du malsain, mais sans démesure malvenue. Pas de surenchère dans l’horreur juste pour le plaisir de choquer le lecteur, ni d’excès caricatural dans le noir foncé. Comme Leblanc, c’est juste.

Tout ça, c’est bien joli, mais… Car il y a toujours un mais.
À la sortie de La chambre des morts, d’aucuns ont comparé Thilliez à Grangé. Les d’aucuns en question le pensaient sans doute en bien, mais la comparaison fonctionne aussi dans le moins bon. Comme Les rivières pourpres, La chambre des morts pèche sur la fin, trop vite expédiée. Alors que le roman prenait son temps comme il faut pour s’installer et progresser, le dernier quart part à tout berzingue. J’entends bien qu’en termes narratifs la résolution implique de passer à la vitesse supérieure pour clore l’intrigue en beauté. Mais là, pouf, on bondit de 70 à 180 km/h. Clic clac boum, au revoir, messieurs dames. Il me sera difficile de développer sous peine de spoiler le dénouement (mais je peux vous dire que le coupable n’est pas le colonel Moutarde avec le chandelier dans la bibliothèque).
Dubitatif aussi je fus (Yoda, sors de ce corps) vis-à-vis de Lucie Hennebelle, la Walkyrie de ce Rheingold nordiste. Dans l’ensemble le personnage est bien construit et intéressant. Mais – et là encore, va falloir flouter pour éviter le spoil – il y a “des choses” dans son “Côté Obscur” qui “gagneraient à”. Soit développer, soit élaguer. Et là, on rejoint mon intro sur l’absolu et le relatif. Dans l’absolu du roman, on patauge dans le nébuleux face à certains détails. Bilan, bof, parce qu’on reste sur sa faim. Trop de questions, aucune réponse. Je veux bien que le lecteur puisse/doive faire travailler son imagination, mais pour le coup, il manque d’éléments pour nourrir ses méninges. Lucie réapparaîtra dans des romans ultérieurs (i.e. La menace mémoire fantôme), ce qui permettra d’en apprendre davantage. J’ignore si Thilliez avait déjà prévu de l’utiliser comme personnage récurrent. Si oui, je comprends mieux la démarche de distiller les infos au compte-gouttes sur plusieurs bouquins plutôt que claquer toutes ses munitions d’emblée. Si non… Dans un cas comme dans l’autre, l’ami Francky a quelque peu foiré son coup sur La chambre des morts. Maladroit.

Notez que ces défauts de jeunesse doivent être portés au crédit de l’auteur qui a su les gommer avec le temps (et du travail, vu que le temps n’efface rien tout seul). Parce qu’il faut replacer La chambre des morts dans son contexte. Ce n’était jamais que le troisième roman de Thilliez. Un jeune auteur, donc, plus un néophyte mais pas encore un briscard blanchi sous le harnois.
Bon roman dans l’absolu. Meilleur relativement à son époque. Et moins bon maintenant que Thilliez affiche une belle biblio aussi bien par le nombre que la qualité. En comparaison de ce qu’il peut pondre aujourd’hui, La chambre des morts relève du “c’est bien, mais c’est pas son meilleur”.
Au-delà de ses qualités intrinsèques, La chambre des morts présente un cas intéressant dans la démarche d’approche d’une œuvre. Que ce soit en termes critiques ou pour le plaisir de la lecture, kif-kif, la démonstration vaut dans les deux cas.
Il me paraît difficile de faire l’impasse sur l’un ou l’autre aspect sans perdre une dimension de l’œuvre. Un roman forme un tout en soi, à prendre d’abord comme un absolu. Un tout qui n’est qu’une partie d’autres touts plus vastes, comme la biblio de l’auteur, l’ensemble du genre, les ouvrages d’autres auteurs qui ont traité un thème analogue, etc.
Un absolu relatif.

Albert Einstein relativité

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