La Bible
Dieu, Matthieu, Marc, Luc, Jean et alii
Un livre dont le titre signifie “livre”, voilà ce qui s’appelle un choix d’écriture pertinent !
Le reste est-il à la hauteur ?…
Posons d’emblée les limites du texte : si vous n’aimez pas les gros bouquins, si vous êtes perdu quand il y a beaucoup de personnages, si vous préférez l’ambiance intimiste du huis clos aux grandes épopées tonitruantes, vous n’accrocherez pas.
Le bouquin voit grand, en témoigne la cosmogonie qui ouvre les hostilités. La création de l’univers, rien que ça, c’est dire si d’entrée la couleur est annoncée : l’intrigue sera grandiose ou ne sera pas. La suite ne dépareille pas jusqu’à l’apothéose de la dernière partie – les Révélations –, un final qu’on peut, je pense, qualifier d’apocalyptique.
Entre les deux, du bon et du moins bon. L’auteur s’égare à l’occasion dans des directions inattendues, avec des baisses de régime dans sa narration. Un peu décousu par moments, avec des transitions qui gagneraient à être davantage travaillées, mais dans l’ensemble on parvient à suivre la trame de l’histoire.
Une galerie de personnages très, très fournie , avec beaucoup de noms à retenir – y en a plus que dans Game of Thrones et Le Seigneur des Anneaux cumulés ! – mais c’est le temps long qui veut ça et le parti pris d’une intrigue qui couvre un arc chronologique immense allant de l’aube à la fin des temps, ce que les hellénistes nomment “l’alpha et l’oméga” et que les gens normaux appellent juste “des plombes”.
Du temps, c’est de toute évidence ce que l’écriture a demandé à l’auteur pour accoucher d’un texte aussi long et riche. On le sent à l’évolution du style, notable entre certains chapitres. Il manque au manuscrit une relecture globale avant l’envoi en maison d’édition – ou une direction artistique plus rigoureuse de la part de l’éditeur ? – pour harmoniser au plan formel l’ensemble de cette fresque pleine de bruit et de fureur. En tout cas, on ne manquera pas de souligner des choix d’écriture audacieux, même si pas toujours maîtrisés. Par exemple, dans la seconde partie de l’œuvre, intitulée “Nouveau Testament”, j’ai trouvé intéressante l’idée de raconter la trajectoire d’un protagoniste majeur, Jésus Christ, par le biais de narrateurs différents, chacun avec son point de vue. Le procédé a toutefois le défaut de multiplier les redites en essayant de créer des échos.
Les amateurs de fantasy et d’action seront à la noce ! Des malédictions terribles (les plaies d’Égypte), des prodiges (l’ouverture de la mer en deux pour passer à pied sec), des anges et des démons, des dieux (enfin, un, surtout), des villes rasées par des pluies de feu (Sodome et Gomorrhe), des prophéties, des batailles, des trahisons (Judas), des miracles, des résurrections… On en a pour son argent en matière d’effets spéciaux, mieux qu’à Hollywood ! Seul bémol, l’auteur recourt trop souvent au deus ex machina et j’ai trouvé son approche des antagonismes quelque peu manichéenne. Pour qui aime les grands affrontements entre le Bien et le Mal, l’ouvrage passera pour un incontournable. Les lecteurs et lectrices qui préfèrent les oppositions moins tranchée et les nuances de gris (tant qu’elles ne viennent pas par lot de cinquante) risquent en revanche de rester sur leur faim.
De l’action, mais pas que ! En effet, le texte est tout du long émaillé de réflexions et pensées sur un paquet de thèmes. Trop, je dirais. L’auteur a un message à faire passer, on l’a bien compris. Le texte aurait gagné à être moins frontal sur ce plan, plus subtil, et élagué dans la foulée. Je pense à pas mal d’apartés philosophiques voire mystiques qui se dispersent sur des sujets annexes, voire anecdotiques, et brisent le rythme de l’intrigue pour délivrer leur enseignement, avec en prime un ton moralisateur très marqué, là aussi trop. L’auteur semble considérer son propos comme parole d’évangile et, tout à délivrer son opinion, en oublie que celle du lecteur peut différer de la sienne.
Nonobstant les défauts de jeunesse d’une première œuvre qui essuie les plâtres et se montre à l’occasion maladroite dans ses procédés, le sens de l’image et de la formule est quant à lui indéniable pour offrir un festival interrompu de punchlines. Beaucoup de paraboles ou d’expressions pourraient passer sans peine dans le langage courant tant elles font mouche, simples, parlantes, efficaces.
S’il est toujours difficile de pronostiquer le devenir d’une œuvre – combien de best-sellers assurés se sont plantés en beauté ? combien de “petits bouquins” ont été des succès de librairie inattendus ? –, je me dis que celle-ci, au vu du nombre de phrases marquantes qu’elle renferme en ses lignes, pourrait bien devenir une mine de citations.
Et qui sait, peut-être même un jour devenir un livre culte.