L’ordre de Cluny – Marcel Pacaut

L’ordre de Cluny
Marcel Pacaut

Fayard

Cluny, un nom que tout un chacun au Moyen Âge avait sur le bout de la langue. Marcel Pacaut nous invite dans sa synthèse de 400 pages à parcourir l’histoire de cet ordre monastique de sa fondation en 909 jusqu’à sa disparition sous la Révolution française.

Couverture L'ordre de Cluny Marcel Pacaut Fayard

S’il n’était pas anachronique de parler de droite au Moyen Âge, c’est ainsi que je qualifierais Cluny : un bon gros ordre de droite mais alors bien comme il faut. Mais bon, on ne peut pas, donc je ne le ferai pas et utiliserai en lieu et place les ressources magiques de la prétérition.
Or donc, Cluny se pose comme un ordre aristocratique, tant dans son discours que son recrutement, et les mecs ne se mouchent pas du coude en se vantant d’incarner la perfection du modèle monastique, ce que leurs concurrents ne manqueront pas de remettre en question.
Mais à la naissance de l’ordre, de la concurrence, il n’y en a pas encore et les Clunisiens vont très vite prendre leurs aises. La donation initiale à l’Église par Guillaume le Pieux, duc d’Aquitaine et comte de Mâcon, d’un lopin pour caser une cahute et douze moines va accoucher d’un ordre tentaculaire étalé sur toute l’Europe au faîte de sa puissance.
Le legs de Guitou est blindé par un arsenal législatif qui soustraie le monastère à toute forme d’autorité autre que l’Église romaine : les moines n’ont de comptes à rendre qu’au pape (et à Dieu aussi, quand même un peu). Outre son indépendance qui lui laisse les coudées franches, l’ordre va aligner pendant ses deux premiers siècles d’existence des abbés compétents, dynamiques et increvables (Odon, Mayeul, Odilon de Mercœur, Hugues de Semur). Ces Highlanders en bure développent l’ordre, les établissements (un millier début XIIe s.), les appuis, les privilèges (comme battre sa propre monnaie).
Au XIe siècle, Cluny rayonne, brasse des tonnes de blé (pas la céréale, le pognon), fait la pluie et le beau temps, est en cheville avec toute la noblesse d’Europe dont beaucoup de cadets atterrissent dans ses rangs et fourre le nez dans à peu près toutes les affaires temporelles du continent.
Cet état de grâce ne pouvait pas durer toujours, la crise finit par pointer le bout du nez. À force de croître et prospérer, de se mêler de tout et de recruter des nobles plus enclins au confort qu’à l’austérité, l’ordre s’est éloigné de ses principes et de la règle bénédictine. Faut reconnaître que quand on regarde Cluny au sommet de son rayonnement, on sent pas trop l’ascèse, le dénuement, le retrait du monde associés au monachisme.
Le XIIe siècle voit l’ordre amorcer son lent déclin, entre difficultés financières, crises de succession, abbés pas bien terribles, concurrence d’ordres qui accusent Cluny de s’être relâché à force d’assouplir la règle (Cîteaux au XIIe, ordres mendiants au XIIIe). Les Guerres de religion au XVIe planteront le dernier clou du cercueil d’un ordre qui se contentera de vivoter jusqu’à l’abolition des vœux religieux et la suppression du clergé régulier par l’Assemblée nationale constituante en 1790, qui marquera la fin de Cluny.

L’ouvrage de Pacaut raconte tout ça en détail et de façon plus académique que moi. Il se concentre surtout sur la période médiévale de l’ordre avec plus de 250 pages consacrées à la tranche 909-fin XVe et même pas une trentaine pour les trois derniers siècles. Outre l’historique de l’ordre, trois chapitres sont dédiés à la vie au sein de l’ordre et son rapport au monde : le monastère (bâtiment, vie quotidienne, hiérarchie, recrutement), l’ordre lui-même (institutions, types d’établissements, effectifs, répartition géographique) et la “civilisation clunisienne” (influence de Cluny sur la religion, les idées, l’art).
De bout en bout, Pacaut est clair et accessible sans avoir besoin d’un bac +12000 en histoire pour comprendre ce qu’il raconte et son travail parvient à trouver le juste équilibre entre la nécessaire synthèse pour faire tenir neuf siècles en 400 pages et la richesse de la documentation. L’agonie de l’ordre s’en trouve expédiée, mais on n’y perd pas grand-chose, le récit détaillé d’une peau de chagrin qui n’en finit pas de rétrécir pendant trois siècles n’aurait rien apporté.

Si vous êtes médiéviste, étudiant en histoire, passionné d’histoire religieuse, le livre de Pacaut est un incontournable.
Si vous êtes rôliste, vous avez là un supplément parfait pour tout jeu de rôle historique médiéval, du simple scénar dans un monastère pompé sur Le Nom de la Rose à la campagne complète avec Cluny comme décor d’arrière-plan, allié/adversaire récurrent, voire terrain de jeu. En médiéval-fantastique, moyennant quelques adaptations au panthéon et à la société de l’univers dans lequel vous jouez, vous avez clé en main un ordre monastique puissant.
Si vous êtes auteur, aussi bien d’historique que d’imaginaire, même topo que les rôlistes.
Si vous êtes fan de la série de romans Cadfael d’Ellis Peters ou de son adaptation télévisée avec Derek Jacobi, c’est une bonne lecture complémentaire. Même si l’abbaye de Shrewsbury n’est pas clunisienne, on trouve assez de traits communs contextuels pour que la fiction et l’histoire se nourrissent mutuellement.

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