L’île au trésor
Robert Louis Stevenson
Grands écrivains
Quand on se lance dans une chronique de L’île au trésor, la première question qui vient est : que dire qui n’ait pas déjà été dit un milliard de fois ? Réponse : rien.
Seconde question : que dire tout court ? Pas beaucoup plus.
L’histoire : une chasse au trésor de pirate. Et voilà, on a fait le tour de l’essentiel du sujet.
Le roman du vide, donc. Creux comme un trou de balle à certes raconter quelque chose mais ne parler de rien. Reposant pour le ciboulot, le récit de Stevenson se limite à une histoire qu’on se pose pour suivre en mode le plus passif qu’on puisse imaginer. Ni message ni piste de réflexion, le néant thématique ultime. Raison pour laquelle ce roman est devenu un classique : il a la capacité de parler au plus grand nombre sans perdre les trois quarts des lecteurs en route. Classique au point de peser encore aujourd’hui sur les représentations des pirates en littérature, en BD, au cinéma, à la télé, dans les jeux vidéo, que sais-je encore : le personnage de Long John Silver a enfanté une longue lignée de stéréotypes pourvus comme lui d’une jambe de bois et d’un perroquet sur l’épaule. Idem le topos du trésor enterré sur une île paumée au milieu de nulle part, une pratique pas du tout attestée dans l’histoire de la piraterie. On parle de gens qui mènent une existence pleine de dangers et de violence, entre tempêtes et naufrages, abordages et canonnades, maladie et pendaison… Soit une espérance de vie des plus courtes qui ne pousse pas les flibustiers à thésauriser pour des vieux jours qu’ils n’ont aucune chance d’atteindre. Ce serait comme exercer un métier pénible tout en cotisant pour une retraite dont on ne profitera pas longtemps : ça n’aurait pas de sens. Paraît que la chose se pratique de nos jours dans certains pays, drôle d’idée…
Vide en termes de propos et que des conneries en guise de contenu, on est en droit de se demander comment ce bouquin a pu cartonner à sa sortie et continuer jusqu’à aujourd’hui à conquérir des générations de lecteurs.
Le texte est court. Dans les 250-300 pages selon les éditions, c’est vite lu et on n’a pas le temps de s’ennuyer. Rythmé et bien rempli, il s’y passe toujours quelque chose. Preuve qu’on peut raconter une bonne histoire sans s’embarquer dans une trilogie bavarde à 600 pages le volume.
Bon, avec le recul, tu te dis quand même que L’île au trésor ressemble à l’archétype du blockbuster hollywoodien. Parce que c’est le cas. T’as tous les items du cahier des charges : l’aventure, l’action, la bagarre, le vieux qui claque pour lancer la quête, le jeune héros qui passe de l’enfance au monde des adultes, la carte, le trésor, l’île déserte, les pirates, le naufragé, le traître… Ce qui sauve L’île au trésor et lui évite de n’être qu’une soupe fadasse d’éléments attendus et de clichés, c’est qu’il sort au début des années 1880 et qu’il n’y a pas avant lui trois mille milliards d’œuvres à avoir exploité la recette jusqu’à la vider de sa substance. Même si le roman d’aventures a déjà ses codes, ce n’est pas encore une liste de cases à cocher, peu importe qu’elles aient du sens ou pas. Chaque élément du récit de Stevenson a une raison narrative d’être là, pas un passage obligé plaqué là à grand renfort d’artifices grossiers avec pour seule raison d’être “c’est le genre qui veut ça”. Partant, le récit déroule sa mécanique et ses péripéties sans accroc, comme un plan d’Hannibal Smith, et fonctionne pour t’emmener avec lui.