L’Abécédaire du Japon – Takashi Moriyama

L’Abécédaire du Japon
Moriyama Takashi
Picquier

Couverture L’Abécédaire du Japon Takashi Moriyama Picquier poche
Comme toutes les lectures indispensables, l’ouvrage est épuisé.

Quatrième de couverture :
J’ai voulu vous parler comme je le fais à de nombreux amis étrangers, auxquels j’essaie de faire comprendre tel ou tel trait de mes compatriotes, le pourquoi et le comment de leurs manières d’être, de penser ou d’agir… » Voici, sous forme d’abécédaire, tout ce que vous vouliez savoir sur le Japon. Écrit « de l’intérieur » par un Japonais impertinent, ancien haut fonctionnaire de l’Unesco et voyageur impénitent, il dessine un portrait insolent des Japonais, à la fois fidèle, équitable et intelligible. L’amour, le couple, les enfants, la fonction publique, le travail, la maison, les loisirs, l’information, les tabous, la politesse, l’argent, les vacances, la corruption, la religion… : tout, ou presque, de la vie des Japonais est passé en revue, étudié, décortiqué, analysé, décrypté et présenté au lecteur avec humour, simplicité, irrévérence.

Un petit bouquin écrit il y a un quart de siècle (on y trouve des prix en francs, c’est dire) par un Japonais sur les Japonais pour les Français. Une idée pas bête, parce que si nous avons jadis inventé les Lumières, on nous a coupé le courant depuis un bail niveau ouverture d’esprit et il faut aujourd’hui chercher hors de nos frontières une source d’éclairage capable de dissiper l’obscurité.
Moriyama, qui a vécu à cheval entre la France et le Japon, connaît son sujet et ses interlocuteurs. Il livre ici des réflexions pertinentes pleines d’impertinence, qui parleront au lecteur, même (surtout !) si celui-ci n’a aucune notion sur le Japon.
Constat initial : l’incompréhension dont sont victimes les Japonais. Idées fausses, images d’Épinal, clichés, raccourcis, visions fantasmées, leur nom est légion… et recyclage leur surnom, suffit de voir les manuels de géo qui te pondent chaque année du “Japon entre tradition et modernité” depuis un demi-siècle.
Partant de là, Moriyama explique sous forme de courts articles une foultitude de points de civilisation. Tout y passe, des grands concepts culturels aux détails triviaux des réalités quotidiennes.

Le tour de force de ce bouquin, c’est de trouver le bon équilibre pour rester à portée de son public, de parler des Japonais en s’exprimant “à la française”. Pas question de s’embarquer dans des développements hyper pointus bourrés de termes en VO, l’intelligibilité est le maître mot. Moriyama n’hésite pas à comparer mentalités et usages hexagonaux à ceux du Soleil Levant : dans le genre accessible, on n’a pas trouvé mieux. Au passage, tout le monde en prend pour son grade… Ainsi, l’article sur les Coréens et le parallèle avec l’Algérie (occupation, colonisation, immigration, racisme) n’épargne personne.
Vous les Français, vous faites comme ça. Nous, les Japonais, on voit ça autrement, parce que ceci cela. Et voilà, des explications claires et simples. Derrière, tu saisis qu’au fond on est à la fois très différents et très semblables.
Chemin faisant, il pourfend pas mal d’idées fausses. Même quand il valide certains stéréotypes, il prend la peine de rectifier en les replaçant dans leur contexte. Un cliché peut être une réalité mais pas forcément pour les raisons qu’on imagine de loin. Par exemple, sur la politesse, oui les Japonais sont des machines à déférence. Non, ça n’a rien d’un délire local, d’une lubie ou d’un gène du s’il-vous-plaît-merci. La politesse est le prix à payer quand une population du double de la France doit s’entasser dans un pays moitié moins grand et dont les trois quarts sont inhabitables.

Oubliez les universitaires pontifiants et les journaleux approximatifs, les exposés bateau à base de manga-geisha-samouraï, les visions romantiques de ce Japon éthéré et parfait tel que le conçoivent nos otaku à la française. Même si certaines choses ont changé depuis la parution du bouquin, l’essentiel reste d’actualité, précis, juste, bourré d’anecdotes cocasses. Et drôle. Moriyama aborde son sujet avec décontraction et humour, jamais en reste d’une boutade. On sent le gars conscient que les manies de ses contemporains puissent relever de la science-fiction. Conscient que la réciproque est vraie : les Français passent aussi pour des aliens aux yeux des Japonais.
On sent chez Moriyama la fierté d’être japonais mais sans excès. Derrière, y a tout un peuple, une civilisation, une histoire, un patrimoine… pas rien, quoi. Il reconnaît que sa culture a ses bizarreries et ses failles, même vue de l’intérieur. Jamais il ne se voile la face sur les points négatifs (i.e. la place secondaire des femmes dans la société nippone ou encore une extrême-droite qui ferait passer la nôtre pour un modèle de sympathie). Pas plus qu’il ne se gêne pour égratigner au passage les Français et de façon plus générale les Occidentaux sur leurs travers, à commencer par leur prosélytisme civilisationnel : hors notre modèle, point de salut, one way of life to rule them all!

Ce bouquin, à travers une mine d’informations sur le peuple japonais, propose une vision rafraîchissante. À l’heure des discours de plus en plus nauséabonds, un coup de brise marine[1] fait du bien.
La vision de Moriyama ne cherche pas à établir qu’une civilisation est plus formidable qu’une autre. Quand il compare, il se contente de mettre en parallèle les modes de pensée français et japonais, sans qu’un ait tort et l’autre raison.
L’Abécédaire du Japon, c’est une philosophie de la compréhension, du regard de l’autre et sur l’autre. On est toujours l’étrange étranger d’un autre, ça n’empêche pas de se comprendre… quand on en fait l’effort.

Chirac Guignols Labit Branly
Parfaite fusion de la France et du Japon : masque de démon daté du XVIIIe s. et sosie de la marionnette de Chirac aux Guignols. Et parce que ça ne s’invente pas, il fut transféré cet été du musée Georges Labit (le t se prononce) au musée du quai Branly. Ils le font exprès, c’est pas possible…

[1] Peut aussi s’écrire brise-Marine, même si, la madame n’a pas le monopole de la boule puante ; d’un bord à l’autre, ils sont fort nombreux à se greffer sur le thème du rejet.

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