Frédéric Gaillard m’a contacté tantôt sur Facebook pour me proposer de chroniquer son recueil de nouvelles Infemmes et Sangsuelles. Démarche d’homme de goût ou de vieux fou suicidaire ? Allez savoir…
J’aurais pu accepter pour un tas de raisons – sauver le monde, apporter la lumière à l’humanité, instaurer la République des Lettres sur la terre comme aux cieux… N’ayant pas l’âme d’un Bruce Willis, je me suis rabattu sur deux autres, bien moins triviales. D’une, par narcissisme, je ne refuse rien à un Frédéric. De deux, les 25 bonnes raisons de ne pas lire son recueil m’ont fait marrer.
Infemmes et Sangsuelles
Frédéric Gaillard
Lune écarlate
“De nos jours, se lier à de parfaits inconnus par ordinateur interposé est devenu courant. On s’offre et on fait son choix sur catalogue, aussi facilement que l’on commande une pizza, permettant aux pulsions les plus tordues, les plus inavouables, de s’exprimer sans retenue.”
Je ne connaissais ni le nom ni le travail de Frédéric Gaillard, ce recueil m’a dépucelé. Par chance, son thème ne porte pas sur les camionneurs ou les rugbymen mais sur les femmes. Remarquez, la fréquentation des nanas qui arpentent ces nouvelles n’a rien d’une promenade de santé non plus. Des femmes fatales au sens le plus littéral.
A partir de ce thème, le gaillard livre quinze nouvelles dont le premier mérite réside dans la variété, tout en restant cohérent dans son propos global.
Comme toujours dans un recueil, on n’aime pas tout, mais aucun texte ne m’a paru faiblard. Si je devais monter un podium olympique, mes trois préférés seraient Péché d’argile, L’homme de ma nuit et Un manteau de fou-rire, avec juste derrière Le Diable et la Diva et L’affaire est dans le sac.
L’inspiration des textes emprunte beaucoup au folklore (catoptromancie, pacte avec le Diable…) et aux figures féminines classiques de la littérature fantastique (succube, sorcière, dame blanche…), sans répéter ce qui a déjà été écrit mille fois par les petits et grands noms du genre. Gaillard joue aussi beaucoup sur les stéréotypes, de l’empoisonneuse à la toquée de fourrure. Sans oublier bien sûr le sac à main, artefact qui s’ouvre sur une autre dimension et malmène les lois de la physique (enfin, c’est comme ça que je le conçois quand je vois qu’une nana peut sortir trois m3 de matos d’une besace de rien du tout).
Seul hic de ces sources d’inspiration – je pense surtout au folklore –, peu de nouvelles sont parvenues à me surprendre et j’ai souvent deviné la chute très tôt. Pour le coup, ce n’est pas tant la faute de l’auteur que la mienne. J’ai été élevé à la nouvelle et me suis enfilé les intégrales de Lovecraft, Poe, Dick, King, Matheson, Leiber, Howard… sans compter je ne sais combien d’anthologies pleines de nouvellistes dont les noms rempliraient un bottin. A force de décortiquer les mécanismes, ressorts et astuces, on en arrive à voir où le récit cherche à nous emmener. Là-dessus, depuis tout gamin, j’ai englouti des centaines d’œuvres fantastique (romans, nouvelles, essais, jeux de rôle, films, séries…) qui m’ont transformé en une espèce de Wikipedia du surnaturel.
Lieu commun des boulimiques de lecture : y a des jours où on aimerait bien retrouver notre virginité pour profiter de la force de certains récits.
Résultat des courses, ma connaissance du genre a torpillé l’effet de L’homme de ma nuit et Péché d’argile, alors qu’il s’agit des meilleures du bouquin. Comme quoi la culture générale n’a pas que du bon…
Au moins elle m’a permis de constater que le travail de Gaillard suit sa propre route. Je prendrai deux exemples. Cet indéfinissable charme dégage un parfum lovecraftien. Pour autant, elle ne se contente pas de stagner dans le pastiche, tel un duc de Clarence anisophile. Un manteau de fou-rire se positionne quelque part entre Les Oiseaux d’Hitchcock et certaines nouvelles de Danse macabre de Stephen King, deux maîtres souvent dépouillés par les auteurs adeptes du prêt-à-porter discount. Gaillard taille à son héroïne un costard maison, dans un esprit analogue mais avec une griffe personnelle.
Sur la forme, pas grand-chose à redire. Léger bémol sur l’emploi des adverbes en -ment (oui, je sais, c’est une manie chez moi, mais je les ai en horreur), pas excessif mais y a moyen d’en nettoyer quelques-uns par-ci par-là.
Si le style global donne l’apparence du classicisme, il ne s’agit que d’un vernis. Certains s’y cantonnent et versent dans l’académisme ennuyeux du narrateur “je” qui assomme le lecteur à coups de passé simple. Gaillard au contraire le dépasse pour déployer la richesse de sa langue. La métaphore filée fructo-florale dans Bella donna en donne un très bon exemple. D’un texte l’autre, il sait se montrer poétique sans devenir soporifique, glisser de l’humour noir et des jeux de mot sans passer pour un gros lourd, brosser une scène en équilibrant ambiance et efficacité. Une touche de ci, une touche de ça, un tableau d’ensemble qui fonctionne, chaque texte s’apparente à une toile pointilliste.
Verdict, un bon recueil, une découverte intéressante, je ne regrette pas d’avoir accepté cette lecture.
A noter qu’Infemmes et Sangsuelles est en lice pour le Prix Masterton. Je me dis que des gens qui eu le bon goût de récompenser Kaan et Hauchecorne savent ce qu’ils font.
Pour ma part, j’attends 2017 avec impatience. Avec ce recueil, je tiens une bonne idée de cadeau pour la Saint-Valentin et la Fête des Mères.