Sur ce blog, on parle beaucoup de mots à travers les livres, où on les trouve rassemblés par énormes paquets au mépris de toute précaution élémentaire de distanciation sociale. Mais un mot existe aussi seul, en lui-même.
Fort d’un génie que toutes les lampes à huile m’envient, je me suis dit qu’il serait intéressant de se pencher sur le cas de certains mots et aborder par ce biais des questions liées à la sémantique, à la philologie, à la linguistique, à l’étymologie et à plein d’autres termes à rallonge en dix lettres ou plus.
Aujourd’hui, nous allons parler de la cravate et établir une filiation directe entre la cavalerie de Louis XIII et les vaisseaux spatiaux de Star Wars.
S’il y a bien un sujet qui divise la société moderne, c’est le port de la cravate. Cet accessoire vestimentaire aussi moche qu’inutile déchaîne les passions et on se demande bien pourquoi. Les députés portent des cravates, les banquiers portent des cravates, les patrons portent des cravates. Du coup (ou du cou), je ne vois pas trop où il y a matière à se disputer, puisqu’il s’agit à l’évidence d’un artefact portant la marque du Mal à l’état pur.
D’après le sociologue Clint Estbois, le monde se divise en deux catégories : ceux qui trouvent que cet immonde bout de tissu est synonyme de grande classe et de sérieux, et ceux qui pensent à juste titre qu’il donne l’air con. Cette querelle ayant déjà occasionné beaucoup de victimes du côté des porteurs de cravates vu qu’on peut les étrangler avec, je ne prendrai pas parti pour éviter de remettre de l’huile sur le feu et me contenterai d’une citation neutre, dont l’auteur est moi-même : “la seule cravate à mériter autre chose que l’opprobre est celle du notaire”.
Or donc le terme est une déformation du mot “croate”, dont la prononciation malmenée remonterait au XVIIe siècle. Pendant longtemps les linguistes du dimanche ont associé l’étymologie de la cravate à l’infante Anne d’Autriche (1601-1666), dont les penchants fétichistes pour la strangulation se sont exprimés à travers le jeu du foulard dans sa version dite “à l’autrichienne”, qui se pratique sans autre vêtement que ledit foulard. Cette coquetterie est passée à la postérité dans l’exhortation “serre, beau Croate”.
Mais c’était sans compter les linguistes du lundi, qui ont fini par rétablir la vérité, frais et dispos qu’ils étaient grâce au repos dominical. Une citation valant mieux qu’une paraphrase, voici leur conclusion telle qu’elle figure sur Wikipedia : “La cravate moderne est un attribut vestimentaire particulier d’un régiment de hussards croates créé sous Louis XIII, et dont l’uniforme comprenait une écharpe blanche dont la mode gagnera la cour de France. Ce régiment de cavalerie légère recevra de Louis XIV, en 1666, le nom de Royal-Cravates.” Pour passer de croate à cravate, le Roi-Soleil devait avoir sur la langue un cheveu de la taille d’une brique…
On passera sur cette drôle d’idée de partir à la guerre dans une tenue pareille. Pourquoi pas un nœud papillon tant qu’on y est ?… Les gars, ça ne les gêne pas de monter au casse-pipe avec tous les risques que comportent les clowneries meurtrières sur un champ de bataille. Choper une balle, pas grave, mais on ne rigole pas avec le port du cache-nez. Ce serait dommage d’oublier sa petite laine et de s’enrhumer.
Des siècles plus tard, un certain George Lucas remettra au goût du jour ces fameux “guerriers cravates” en les transposant dans sa langue à lui, où guerrier se traduit par fighter et cravate par tie. Ainsi naquirent les célèbres TIE Fighters.