Eschatologie du vampire
Jeanne-A Debats
ActuSF
Quand sort Eschatologie du vampire le monde entier saute de joie au plafond à l’idée de retrouver Navarre. Moi non. Déjà, parce que je suis une bille en saut en hauteur. Ensuite, parce que pour le retrouver, l’aurait déjà fallu que je le trouve tout court avant. Jamais mis le nez jusqu’alors dans un texte mettant en scène le susnommé.
Sans doute pas la meilleure porte d’entrée vers le monde de Navarre, peut-être même la pire, parce que t’arrives là comme un touriste, les mains vides, en ne connaissant rien à rien.
Commencer par Eschatologie du vampire avait tout l’air d’une idée de con.
C’est donc ce que j’ai fait.
Juste pour vérifier que j’avais raison.
C’était bien une idée de con.
Et géniale dans les mêmes proportions.
Or donc, Eschatologie du vampire est ce qu’on appelle en langage technique un fix up, sans lien de parenté avec la Patafix. En langue vernaculaire, “recueil de nouvelles” marche tout aussi bien, tout le monde comprend direct de quoi on cause sans avoir besoin de jargonner.
Ledit fix truc se compose de neuf textes, chiffre symbolique s’il en est, qui évoque les commandements de la Bible, les travaux d’Héraclès, les samouraïs de Kurosawa ou encore les mousquetaires d’Alexandre Dumas, auteur qui m’a tout appris en matière de nombres, ceci explique cela.
La première nouvelle s’ouvre sur Navarre, vampire né vers 1450 selon les organisateurs, 1350 selon la police, ce qui n’a aucune espèce d’importance puisque l’histoire concernée se déroule en 1835. Ambiance western pour démarrer, suivie d’un arc-en-ciel de tonalités de l’urban fantasy au post-apo en passant par la bonne vieille nouvelle de Noël – tradition littéraire à laquelle tout auteur ou autrice doit souscrire au moins une fois dans sa carrière, sauf à vouloir prendre le risque de conséquences terribles à base d’essence et de concentré de jus d’orange congelé mélangés à parts égales.
In fine, le Navarre, on le croisera peu, la plupart des nouvelles impliquant d’autres protagonistes que lui. Rencontre express avec le personnage phare de Jeanne-A Debats (phare au sens où il est central dans son œuvre et adoré par son lectorat, pas au sens twilightien de vampire biclassé boule à facettes). Petit regret de ce côté-là d’en avoir eu moins que je m’y attendais à me mettre sous la dent. Après, on n’est pas volé non plus, le casting alignant entre autres un ogre, un djinn taille XS, un fantôme, l’antéchrist, que du beau linge. Le tout dans le même univers que celui où évolue Navarre, donc avec les mêmes codes et la même terminologie.
Et c’est là que l’idée débile de commencer par ce recueil plutôt que Métaphysique du vampire ou la trilogie Testament a donné un intérêt particulier à cette lecture : devoir reconstituer tout un monde et l’histoire qui va avec à partir des bribes égrenées tout du long. Très stimulant intellectuellement.
Eschatologie a été voulu comme un ouvrage à la fois autonome et relié au reste, il m’a quand même semblé, dans le cas des textes impliquant Navarre, très relié au reste et je pense qu’il vaut mieux avoir lu avant Métaphysique et/ou Testament. J’ai dû passer à côté d’un certain nombre de choses, obligé en me pointant la fleur au fusil, mais j’ai au moins saisi les grandes lignes et le plus gros des tenants et aboutissants de l’univers-étendu-de-Navarre-mais-pas-que, sans me sentir largué de la première à la dernière page.
Et ça m’a donné envie de lire le reste, ce qui fait que commencer par là et prendre l’autoroute à contresens n’est pas la pire idée que j’aurai eue dans ma vie. Vérifier, quand j’avais 8 ans, le bon fonctionnement d’une clôture électrique en l’attrapant à pleines mains était beaucoup moins inspiré, par exemple.
Je pourrais passer en revue les nouvelles une par une, catalogue des vaisseaux qui s’annonce aussi long que barbant à crever.
Je vais me contenter d’une : L’ogre de ciment. Elle est parfaite. Alors qu’elle partait pas gagnante. Démarrage sur Yasmin en fuite après un viol, pas trop ma tasse de thé, pour ne pas dire que j’évite le sujet comme la peste.
Y avait 14267 façons de rater cette histoire. J’ai recompté. Deux fois.
J’en ai souvent vu qui s’égaraient en route, absorbés par leur sujet, et perdaient de vue qu’un récit de fiction doit raconter une histoire. Si celle-ci s’efface, ce qui en ressort s’appelle une dissertation (qui siffle sur nos têtes).
L’inverse, courant aussi. Le thème prétexte amorcé pour mieux l’oublier derrière, avec pour résultat un gentil récit qui ne parle de rien.
Ici, l’aède a su, en capitaine de bateau chanteur, éviter tous les écueils et rebondir comme une boule de flipper, qui roule. Sans que l’un ne se fasse au détriment de l’autre, L’ogre de ciment raconte quelque chose ET parle de quelque chose.
Et il le fait bien. En jonglant avec les registres de langue, du littéraire au familier, comme avec la tonalité, dramatique ou drôle selon les passages, toujours avec à-propos. Le mot juste à la bonne place.
Tout le recueil étant du même tonneau que cet exemple, on ne peut que féliciter son autrice (et regretter quelque part qu’il n’y ait pas quand même un texte un peu merdique dans le lot qui m’aurait permis de placer Scatologie du vampire, mais non, pas possible, y a rien à jeter et il faudra recourir à la Très Sainte Grâce de Notre-Dame de la Prétérition pour pouvoir glisser ces quelques grammes de finesse dans un monde de brutes).