Comme dirait mon Manuel de phrases toutes faites pour chroniqueurs à la ramasse, “j’accueille aujourd’hui [nom de l’auteur] qui s’est prêté de bonne grâce au jeu des questions-réponses”.
[nom de l’auteur], c’est Maxime Gillio, qui sort un nouveau roman : Rouge armé aux éditions Ombres Noires. Stendhal et Jeanne Mas s’en frottent les mains.
Un K à part – Je ne te poserai pas les questions tarte à la crème du style “pourquoi écrire ?”, “où trouves-tu l’inspiration ?”, “c’est quoi un bon auteur pour toi ?” et autre “dernier bouquin que tu as lu”.
Maxime Gillio – C’est bête que tu ne me présentes pas la tarte à la crème : “pourquoi écrire ?”, je t’aurais répondu : c’est la seule manière que j’ai trouvée d’être un peu immortel, beau et con à la fois. Mais puisque tu ne me la poses pas…
K – Ok, je vais laisser tomber l’idée d’une interview sérieuse… Tu me parlais off the record, comme on dit chez Guinness, de ton “départ de l’Education nationale pour être un putain de professionnel qui ne se prend pas au sérieux”. J’y suis passé, je connais la maison, et je ne te jette pas la pierre, Pierre. Je dirais même que c’est une belle maxime, Maxime. Parle-nous un peu de ton parcours d’auteur (avant, on s’en fout, ici on parle bouquins pas trajectoire professionnelle).
MG – Mon parcours d’auteur est très classique, en ce sens que chaque ouvrage écrit n’est que le brouillon de celui à venir. Comme le disait Simenon, qui savait quand même de quoi il parlait, il convient de gâcher du plâtre pour apprendre le métier, ce que j’ai fait avec des manuscrits disons… de novice. Mais à la différence de certains collègues, j’ai eu la chance que mon premier enduit, aussi grossier fût-il, ait été publié, en l’occurrence chez Ravet-Anceau, dans la collection Polars en Nord, bientôt suivi de trois petits frères et d’une petite sœur, oscillant entre le sombre et la gaudriole la plus grasse. N’ayant aucune reconnaissance du ventre, je suis ensuite allé voir ailleurs si l’herbe était plus gouleyante, et j’ai publié, çà et là, quelques autres romans, toujours policiers, avec quelques incursions néanmoins en jeunesse, dans le gore, voire dans l’oulipien. Et puis un jour, je me suis dit que je commençais à avoir fait le tour du genre policier, et j’ai eu envie d’essayer autre chose. Ce qui te fait une transition toute trouvée avec ta prochaine question, ne me remercie pas.
K – Bien vu, l’aveugle. Je vais te laisser bosser à ma place en fait. Présente-nous Rouge armé. Sans spoiler et sans paraphraser la 4e…
MG – C’est l’histoire de deux femmes. C’est l’histoire de deux vies. C’est l’histoire de deux errances. C’est une partie – infime – de l’histoire d’un pays. Ce sont deux destins qui se croisent au carrefour de la grande Histoire.
Tu fais chier, dit comme ça, ça ne donne pas envie de le lire. Tu es sûr que je ne peux pas faire un petit spoil (au nez), en disant qu’il y a des morts et du sexe ? Parce qu’il y en a. Aussi.
Allez, sois sympa, copie-colle la 4e de couve !
K – Nan. Avec Rouge armé, tu changes de registre… Enfin, y aura sans doute des glandus pour te le dire. Et c’est vrai, puisqu’on est loin des marrades à la Orcus ou Valmain. D’un autre côté, du noir, t’en as tâté (Anvers et Damnation), voire du très noir (Dunkerque Baie des Anges), c’est pas une révolution dans ta biblio. En fait, tu parviens à rester dans ton domaine tout en te renouvelant ?
(Fausse question typique de journaliste qui entraîne à tous les coups une réponse commençant par un “tout à fait” suivi de banalités affligeantes dont la moitié paraphrase ladite pseudo-question.)
MG – Tout à fait ! En fait, je dirais que je m’étais pas mal frotté au noir, et que, sans faire de révolution, j’avais envie de me renouveler, tout en restant dans mon domaine de prédilection…
Non mais tu es fou ? Tu as lu ce que j’ai répondu plus haut ? “J’ai eu envie d’essayer autre chose.” Tu me décrédibilises complètement, là.
Bon, soyons sérieux deux minutes. Je n’ai rien inventé. Une grande partie de Rouge armé est inspirée directement de la vie de la mère de mon beau-frère (je précise que ce dernier est allemand. Personne n’est parfait…). Quand il m’a raconté, un beau jour d’été, à l’apéro, l’histoire de sa mère, j’ai eu les poils pubiens qui se sont dressés sur mes avant-bras. C’était incroyable, la vie de cette femme (que j’ai interviewée ensuite), épousait l’histoire de leur pays depuis 1945. La petite histoire dans la grande (tiens, un lieu commun, c’est cadeau), avec son lot de drames, de révélations. C’était de l’or en barre ! J’ai donc tout de suite eu envie de la raconter, parce que je savais, au fond de moi, que sa vie ne pouvait pas laisser indifférent. Mais sous quelle forme ? Un récit purement biographique ? Le sujet était casse-gueule (la vie d’une fille de réfugiée sudète qui a connu le Mur et la vie en Allemagne de l’Est, c’est quand même assez précis et restrictif, comme niche…).
Tout mon génie (disons les choses comme elles sont) a été, comme tu l’as justement souligné, de rester dans mon domaine du noir (j’ai le malheur de penser qu’une dose de suspense et de mystère donne plus envie de tourner la page que la description sur dix paragraphes du clocher de l’église Saint-Sébald de Nuremberg).
En fait, la vie de cette dame était déjà si romanesque, il ne me restait qu’à la romancer. J’ai donc essayé de raconter l’histoire de mes deux héroïnes, ainsi que l’histoire de leur pays, tout en ménageant une tension et une progression vers un dénouement que l’on devine funeste.
(Et là, j’ai envie de le lire !)
K – Le background historique est conséquent, le travail de recherche d’une extrême précision. On sent que tu aimes ton sujet, aussi pénible soit-il vu le cortège de saloperies validées par l’Histoire. Ta fascination pour l’Allemagne, ça vient d’où ? Nostalgie du bon vieux temps Travail Famille Poterie ?
MG – Bon, soyons clairs, j’aime l’Allemagne, depuis que j’ai pris teuton en LV1 au collège. Et je suis plus souvent allé outre-Rhin dans ma vie qu’en Aquitaine. Après, comme expliqué plus haut, le mektoub a fait que ma sœur se soit maquée à un Allemand, et que sa famille ait grandi à l’Est, dans des conditions… Bon, je vais pas non plus tout dire, faut lire le bouquin.
Après, mon beau-frère eût-il été d’origine tamoule, je ne suis pas certain que tu serais en train de m’interviewer…
Mais il est clair que de m’être documenté sur ce pays (et encore, uniquement sur son histoire récente) n’a fait que conforter ma fascination – et mon respect – pour cette contrée. Mais encore une fois, je n’ai vraiment rien prémédité, tu sais. Ma sœur vit en Allemagne depuis une quinzaine d’années, et je n’avais pas prévu, a priori, d’écrire sur ce pays. C’est arrivé comme ça, après un rosé-pamplemousse sur une terrasse en Bretagne.
K – C’est-à-dire qu’avec un beau-frère tamoul, je ne vois pas comment j’aurais pu mener une interview sérieuse comme maintenant. Tu vois le champ de mines à calembours ?…
En tant que romancier, on peut te considérer comme un homme à femmes. Stella dans Batignolles Rhapsody, Virginia Valmain dans Les Disparus de l’A16. Tu as travaillé à quatre mains avec Sophie Jomain sur Les anges ont la mort aux trousses (cross-over Orcus Morrigan/Felicity Atcock). Dans Rouge armé, d’Inge à Patricia en passant par Anna, on ne croise pour ainsi dire que des nanas. Quelle drôle d’idée, comme dirait Hubert Bonisseur de la Bath.
MG – C’est pourtant vrai, ce que tu dis… Franchement, je ne saurais te l’expliquer. Je dois avoir ce côté midinette, une part féminine exacerbée…
(Pourquoi est-ce que quand je te réponds ça, je sais pertinemment que personne n’y croira, et surtout pas moi ?)
En fait, c’est bassement marketing. C’est depuis que j’ai réalisé que 9 éditeurs sur 10 sont une femme, et que 8 lecteurs sur 10 aussi.
K – A propos de femmes, j’ai noté une manie pathologique de la grossesse dans Rouge armé. Un fantasme inavouable ? Je te conseillerai quelques sites après l’interview…
MG – C’est encore vrai… En fait, si je voulais répondre à une question que tu ne m’as pas posée, à savoir, “quel est le vrai thème de Rouge armé ?”, je ne répondrais pas l’Allemagne, ni le terrorisme, ni l’errance. Je crois que je répondrais “la maternité”.
Je t’aurais bien donné une réponse super chiadée et émouvante de sincérité, mais outre que j’ai une réputation à entretenir, tu m’as dit en off : “C’est la dernière question, donc ou tu finis sur un truc rigolo, ou je m’en charge”. Donc :
Pourtant, je t’assure que lorsque je vais sur xHamster, je ne visionne jamais les vidéos avec les femmes enceintes, je trouve ça dégoûtant.
Interview sympathique, merci à toi et à Maxime Gillio (à quand le prochain Orcus ?!).
Bonne question pour Orcus… Pourtant ce n’est pas faute de le tanner pour qu’il s’y mette.