Du feu de l’enfer
Sire Cedric / Cédric Sire
Presses de la Cité
Aux Halliennales, j’avais demandé à Cédric quel était son meilleur bouquin. Du feu de l’enfer, le dernier en date, m’a-t-il répondu. Moi, pas surpris, c’est toujours ce que disent les auteurs, soit parce qu’ils veulent fourguer leur dernier bébé, soit parce qu’ils ont effectivement progressé depuis le précédent.
Là-dessus, on papote, on papote. Cédric évoque l’évolution de ses thèmes d’écriture (de moins en moins de fantastique à partir de L’enfant des cimetières qu’il définit comme la charnière – j’ai eu le nez creux en commençant par celui-là) et de son écriture tout court (moins d’ambiance surnaturelle, moins d’envolées lyrico-poétiques). Il parle de ses références, de ses inspirations, de ses recherches pas piquées des hannetons sur les sectes sataniques, faits divers, profanations de tombes. (Cédric, si ce n’est déjà fait, pense à effacer ton historique de navigation, un jour tu finiras par avoir des problèmes…)
Bref, niveau argumentaire, il en avait à raconter, bien au-delà de la promo bête et méchante.
Je suis venu, je l’ai achetu, j’ai repartu. Maintenant que je l’ai lu, le meilleur ou pas ?
Bonne question… Le bonhomme a écrit huit romans (sans compter un paquet de nouvelles), j’en ai lu deux. Qu’est-ce que tu veux pondre comme classement pertinent sur la base de si peu ? Faudra attendre que je me sois tapé les autres qui trônent sur ma table de nuit.
En l’état de mes lectures, j’ai préféré L’enfant des cimetières, parce que je suis un enfant du fantastique, tombé dedans quand j’étais gamin, incurable. On ne se refait pas. Si on laisse de côté l’imparfait du subjectif et qu’on se penche sur les qualités objectives d’écriture, je confirme le propos de Cédric : Du feu de l’enfer est meilleur.
Cas à part dans la biblio du Sire, ce Feu ne contient aucun élément fantastique. Pour autant, on ne change pas une équipe qui gagne, Cédric reste attaché à son credo, les histoires qui font peur. Il t’embarque ici dans un thriller horrifique qui annonce la couleur dès le prologue : une secte d’adorateurs masqués, une machette, du sang, beaucoup de sang. Entre Eyes wide shut et Vendredi 13.
Le pur thriller, bien vu dans le cas présent, moitié parce qu’elle rend le lecteur actif, moitié parce que ce parti pris renforce l’horreur.
A travers le thème de l’adoration satanique, Cédric garde un pied dans la tombe le Côté obscur de la littérature. Même si le bouquin ne relève pas du genre, tu penses fantastique. Obligé. Invocation de démon, dimension infernale, chiens de l’enfer… Si l’ambiance surnaturelle se crée d’elle-même dans la tête du lecteur, pas la peine de la mettre dans le texte. CQFD.
Pas besoin de ramener l’enfer sur terre ni les Quatre Cavaliers, il y sont déjà. Ici les démons ne sont “que” des humains. Mais chacun sait que l’élève sur deux pattes a dépassé depuis belle lurette le maître serpent. Suffit de voir combien de bouquins mettent en scène le Diable ou un de ses sbires se plaignant de passer pour des amateurs à côtés de l’homo soi-disant sapiens.
Les horreurs que pratique la secte se suffisent à elles-mêmes pour ficher la trouille sans avoir besoin d’une dimension supplémentaire d’horreur par le biais d’un monstre surnaturel. L’humain pire que la Bête colle même encore plus les jetons.
Au-delà de la dimension romanesque, on se pose la question du fond de vérité. Hellfire Club, KKK, Skull and Bones, suffit de voir les sociétés “secrètes” (vu que tout le monde en a entendu parler, vive le secret…) et leurs dérapages. Dès que tu mets ensemble des notables et des cagoules, ça finit toujours très mal. En tout cas pour les autres, eux ça va, ils passent toujours à travers.
Tant dans le fantastique, que le thriller ou l’épouvante, le cinéma et la littérature abondent en cintrés portant masque et robe, adorateurs de Satan, de Cthulhu, de la Vache Qui Rit, de la momie d’Hitler…
Idem les puissants qui commettent les pires saloperies en toute impunité grâce à leur pouvoir politique, leur pognon, leurs relations dans la police ou les médias (toute ressemblance avec des faits réels ne serait pas une coïncidence pour le coup, c’est pas comme si la classe politique possédait un talent inhumain pour passer entre les gouttes et éviter la case prison en touchant quand même au passage les 20000 balles).
Pareil pour les théories du complot à propos des groupes fermés et de leurs rites, où la manie du secret des uns rend fertile l’imagination des autres. Y compris les journalistes très objectifs inventifs qui te transforment deux ados beurrés chopés un soir dans un cimetière en fer de lance d’une secte sataniste néo-nazie… Le jour où tu t’ennuies, tape “franc-maçon” sur Google et passe en revue les thèmes associés, qui vont de manger des bébés aux sacrifices humains en passant par les Illuminati, les rituels sataniques, les partouzes pédophiles… Pas nouveau, on en disait autant avant des communistes, des juifs, des Templiers, et même des premiers chrétiens far far away a long time ago.
Du feu de l’enfer, c’est un peu de tout ça.
Un choix casse-gueule. Plus un thème a déjà été traité, plus grande est la difficulté de ne pas pondre du bateau vu et revu. En plus, des thèmes, il y en a ici beaucoup qui s’enchevêtrent, le bon plan pour accoucher d’un machin indéfinissable, gloubigoulga de papier qui partirait dans tous les sens en n’arrivant nulle part. Enfin, vu le sujet, je te laisse imaginer la masse documentaire, qu’elle s’ancre dans la réalité ou la fiction… avec le risque de partir dans des exposés longuets ou de balancer des tonnes de références.
Du feu de l’enfer, c’est rien de tout ça.
D’où un très bon roman.
Du feu de l’enfer, roman du feu de Dieu et mine de choix malins. Pas d’adolescentes en vadrouille dans un coin perdu (merci !) mais une thanatopractrice en la personne de Manon. Ça change et en plus, cette profession justifie certaines réactions du personnage (face aux cadavres, par exemple). Manon a aussi le bon goût de rester “normale”, pas comme dans les films d’horreur où la magie du scénario transforme la timide étudiante en lettres en Navy Seal capable de dégommer cinquante sicaires avec une lime à ongles ébréchée.
Même chose pour la secte qui, en dépit de moyens conséquents, ne va aligner 500 bonshommes armés jusqu’aux dents pour courser une pauvre nénette et son frangin.
Beaucoup d’éléments liés à la secte restent dans l’ombre. Tant mieux, on n’a pas besoin de tout savoir à son sujet, de connaître son historique complet, chacun de ses membres, les horaires de réunion et le montant de la cotisation. Les grandes lignes suffisent, d’autant plus que ce qu’on ignore la rend encore plus flippante. Merci de nous avoir épargné le cliché du grand méchant qui se lance dans un monologue de trois heures il-y-a-longtemps-j-ai-fondé-cette-organisation-dans-le-but-de-blablabla et laisse au héros le temps se s’échapper, rentrer chez lui prendre une douche, casser une croûte, lire ses mails et revenir démonter la base secrète pierre par pierre, armé d’une simple cuillère à soupe.
Cédric a eu le sens de la mesure. Enfin, une mesure cédricienne avec son lot de meurtres barbares, hémoglobine et scènes d’horreur… Je veux dire par là qu’il a bien conçu son ouvrage, entre ce qu’il fallait dire et ce qui devait rester de côté. Il a su trier ses résultats de recherches, cadrer son propos, son intrigue et son background. Rien d’un Dan Brown qui se sent obliger de caser et développer à l’envi des exposés qui cassent le rythme de l’histoire et les noix.
A l’arrivée, ça donne un roman maîtrisé, son plus abouti dixit l’auteur “à la chevelure abondante” (épithète piquée à Homère). Certes foisonnant de péripéties, limite too much dans leur enchaînement ininterrompu, mais ce “limite” marque la différence avec les auteurs et scénaristes qui ne savent pas où s’arrêter et accouchent d’un grand n’importe quoi. Je préfère de loin une histoire qui fonce à un train d’enfer, moitié parce que c’est dans le ton, moitié parce que j’ai eu ma dose de films/bouquins qui se perdent en exposition interminable et en rythme dents de scie où tu pionces un chapitre sur deux.
Maîtrise aussi des codes et connaissance des références du genre – sans t’abreuver pour autant de titres de films ou de romans. Le Chevelu d’Occitanie joue à la fois sur l’attendu horreur/thriller (une demoiselle en détresse, des méchants très méchants, des traîtres chez les gentils) et sur l’inattendu (fausses pistes, manipulations, coups de théâtre). Ce qui lui permet de flirter avec les archétypes sans se prendre dans la face le râteau du cliché. Maîtrisé, donc.
Puisqu’on en parle, si on aime les clichés, on qualifiera ce roman de “haletant”, “addictif”, “page-turner” et autre vocable usé sur 90% des sorties littéraires jusqu’à ne plus avoir de sens.
J’ai horreur des clichés.
Je le définirais plutôt comme un roman “petite nuit”. Tu décides de bouquiner un peu avant de te coucher. Sauf qu’à la fin de chaque chapitre, tu te dis “allez, encore un et après dodo”. A cinquante pages de la fin, tu tiens plus en l’air, mais ce serait bête de s’arrêter maintenant. A l’arrivée, t’as lu le bouquin d’une traite, il est trois heures du mat’, tu te lèves à six, tu sens que la journée ne s’annonce pas sous les auspices de la grande forme. Mais tu regrettes pas.
(Ce roman a été récompensé par un K d’Or.)