Dialogues de M. le baron de Lahontan et d’un sauvage dans l’Amérique
Louis-Armand de Lahontan
Desjonquères
Ouvrage dont le titre varie d’un éditeur l’autre selon que soit privilégiée la version courte ou la version longue de l’intitulé, Dialogues avec un sauvage de Lahontan est sans doute le meilleur bouquin sur le sujet du “bon sauvage”.
Le bon sauvage, j’en ai bouffé toutes ma scolarité. Le thème est un marronnier des cours de littérature et de philo, il fait assez vite redite pour n’importe quel élève. Perso, j’ai jamais trop compris le concept de critiquer une société en passant par le biais d’une autre, trop idéalisée et parfaite pour être honnête. La faute aux auteurs. La plupart de ceux qui ont écrit sur la question sont des philosophes de cabinet, pépères au chaud à la maison. Ils n’ont jamais foutu un pied chez les peuples qu’ils décrivent, qui n’existent que dans leur tête. Un peu réels quand même parce que conçus sur la base d’infos glanées çà et là dans les récits de voyage des explorateurs de l’époque, mais pour le reste, c’est de la flûte, voire de la mauvaise foi, avec des traits civilisationnels inventés pour les besoins de la cause et de la critique. Sinon, la satire frontale, ça aurait marché aussi bien plutôt que se planquer derrière un homme de paille pas super crédible.
Lahontan est le seul à m’avoir un peu intéressé au sujet. Certes il n’échappe pas au biais du regard critique qui retient ce qui l’arrange, mais au moins il sait de quoi il parle. Dix ans au Canada entre 1683 et 1694, il a eu le temps de visiter les lieux et d’observer les autochtones. Une dizaine d’années après, il publie plusieurs bouquins relatant ses voyages, dont un où il raconte ses entretiens avec un Huron. Il s’agit d’un des premiers sinon le tout premier ouvrage où un Européen et un indigène tapent la discute sur leurs civilisations respectives. Raison pour laquelle il est le plus intéressant du lot : le bon sauvage n’est pas encore un stéréotype, ni une coquille vide et factice, vectrice à bon marché de la critique sociale dont on l’a artificiellement chargée.
Chez Lahontan, il y a encore de la fraîcheur dans le propos, un authentique choc des civilisations plutôt qu’une posture, et l’essentiel de ce que racontent les deux interlocuteurs est attesté par les historiens. La réflexion philosophique ne se résume pas à un blabla éthéré d’auteur sûr de détenir la vérité parce qu’il se croit plus malin que les autres (genre Rousseau) mais s’enracine dans un vécu concret, une expérience qui donne corps et sens aux idées avancées par Lahontan.
Sur le contenu, on trouve tout ce qu’on retrouvera par la suite : la comparaison de deux sociétés via leurs modes de vie, la hiérarchie sociale, le rapport à la liberté et son exercice, le mariage, la propriété, la justice, la religion, la simplicité versus la sophistication…
Beaucoup d’ironie chez Lahontan, ce qui le démarque de ses très – trop – sérieux successeurs, exception faite de Montesquieu, très satirique dans ses Lettres persanes, lesquelles sortent du bon sauvage stricto sensu tout en procédant du même esprit.
On ne sera donc pas étonné d’apprendre que Dialogues de M. le baron de Lahontan et d’un sauvage dans l’Amérique a été un succès de librairie en son temps et a inspiré une foule d’auteurs du XVIIIe siècle… qui finiront par l’éclipser. Le bouquin tombe dans l’oubli dès les années 1750 et ce jusqu’au dernier quart du XXe siècle, qui le voit exhumé des limbes et réédité, mais surtout comme objet d’étude universitaire, loin de la place qu’il mérite comme œuvre majeure dans la philophie des Lumières.