Destin scellé 1, Au-delà de l’Ombre
Olivia Lapilus
Sharon Kena
Même s’il n’y a ni légionnaires ni chèvres dedans, le dernier roman en date d’Olivia Lapilus sent bon le sable chaud.
Quatrième de couverture :
L’Ombre et la Lumière.
Deux peuples auparavant unis qui se déchirent désormais depuis un siècle.
Les Ombreux estiment que les Lumineux les ont privés de leur droit de vivre sous le soleil de Rê. Les Lumineux considèrent les Ombreux comme des barbares, assoiffés de leur sang.
La décision des dieux d’élever Zildéna au rang de Grande Prêtresse des Lumineux l’a livrée à des années de souffrances. Elle a perdu son innocence, sa joie et le peu de raison qu’il lui reste risque de bientôt s’évaporer. Depuis des mois, la voix d’Osiris, son dieu protecteur la pousse à livrer bataille contre les Ombreux, le peuple ennemi, banni dans les souterrains par Rê en punition pour une ancienne désobéissance. Chaque nuit, ces sauvages tentent de percer les remparts de la ville Lumière, protégée par la barrière magique d’Osiris. Si, jusqu’à présent, son dieu lui interdisait de répliquer à l’assaut de l’ennemi, il l’exhorte avec fureur à le combattre, malgré les conséquences.
Après tout, pourquoi Zildéna ne briserait-elle pas l’interdiction d’Osiris ? Pourquoi ne jamais répondre à la provocation de ces adversaires enragés qui effrayent chaque nuit ses sujets ? Si elle écoute sa voix, alors toutes les fautes abjectes qu’elle a commises s’envoleront, tout le chagrin qui la submerge sera balayé. Elle s’apprête à obéir à son commandement, mais est-elle prête à accepter les révélations que son action fera remonter à la surface ?
L’histoire nous embarque dans un monde de fantasy très marqué par l’Égypte antique : une ville avec ses temples couverts de fresques et de hiéroglyphes, un désert en arrière-plan, du soleil au-dessus, un grand fleuve pas loin et des divinités tout autour qui bricolent des micmacs pas croyables.
Bon plan pour l’univers, déjà parce que j’aime bien le contexte. Et puis, c’est bien fichu, parce qu’on est projeté dans une ambiance “maison” qui n’est ni de la fantasy lambda avec trois clichés égyptiens de carton-pâte, ni dans une pure Égypte mythique qui ne serait pas très inventive à recopier le corpus de légendes d’antan. On a ici un bon mix entre la fiction, les inspirations et le réemploi d’éléments historiques et mythologiques. Un lecteur qui aurait déjà des connaissances du sujet sera quand même dépaysé sans pour autant se sentir désorienté. Et quelqu’un qui partirait de zéro se lancera à la découverte des lieux et de ses habitants sans se retrouver noyé d’informations ni paumé par ses lacunes – ce bouquin est d’ailleurs l’occasion pour les lecteurs curieux d’ouvrir une porte vers des lectures parallèles pour en apprendre un peu plus sur l’Égypte ancienne.
Ma crainte initiale concernait les personnages, puisque l’intrigue nous catapulte en pleine guerre entre deux peuples, Lumineux et Ombreux, les uns diurnes, les autres nocturnes, et antagonistes depuis la nuit des temps. Le découpage des camps semble très manichéen de prime abord, mais la réalité est plus finaude qu’un bête matche gentils versus méchants. On croisera des personnages borderline par rapport à leur propre camp, certains qui remettent le conflit séculaire en question, d’autres qui sont paumés et cherchent leur voie, et bien sûr les dieux, qui roulent plus ou moins chacun pour son propre camp.
Les dieux et déesses sont d’ailleurs un poème dans ce roman, très humains dans leurs réactions, très turbulents aussi. Caractérisées à merveille par l’autrice dans leurs attributs divins, attitudes, dialogues, alliances et oppositions, chacune des divinités correspond à son modèle mythologique original et à l’image qu’on s’en fait. Quand tu vois Bastet dans le bouquin, elle colle avec la Bastet qu’on imagine d’après les mythes. Mieux que ça, elle est même encore plus vivante que dans les légendes, où le côté vieille histoire très sérieuse et pétrifiée dans l’ambre a tendance à figer et désincarner les protagonistes. Là, Bastet, elle vit, elle est ! Et ce que je dis à son propos est le valable pour le reste du casting.
Côté narration, on ne s’ennuie pas. Il me semble que la série est prévue en deux tomes, format qui oblige à aller à l’essentiel sans se perdre dans dix mille sous-intrigues à l’intérêt relatif. Au-delà de l’Ombre pourrait même presque être un one-shot, puisqu’il propose un arc narratif pour ainsi dire complet. Les enjeux de ce tome sont résolus à la fin et on ne reste donc pas sur la sienne, de faim. Après, d’autres enjeux plus globaux devront attendre leur réponse dans le tome suivant, mais c’est un peu – beaucoup même – le principe d’une série. En tout cas, la balance est équilibrée entre le “ça, c’est réglé” et le “la suite au prochain épisode”. Assez pour ne pas se sentir frustré tout en donnant envie de lire le tome deux.
Donc la narration, disais-je, avant de digresser sur la construction sérielle. Intéressante par ses choix d’écriture malins. Olivia fait preuve d’astuce. De la vraie astuce, j’entends, pas des bidouillages à deux ronds cinquante, facilités d’écriture et autres grosses ficelles. On citera par exemple l’utilisation du on-dit pour que la narratrice passe au lecteur des infos que tel ou tel personnage n’est pas censé connaître dans le détail. Ou lors d’une série d’épreuves, là où beaucoup d’auteurs auraient tout raconté pour accoucher d’un roman dans le roman, ben ici on n’a pas toutes les épreuves par le menu avec force action, description, et tout, et tout pendant cinq cents pages. Les bonnes ellipses au bon moment. Et des petits contournements d’obstacles narratifs là encore malins. J’ai toujours pensé qu’une bonne écriture, ce n’était pas de savoir quoi raconter, mais de savoir quand ne rien dire. Au-delà de l’Ombre en est un très bon exemple, le récit sait quand glisser sur certaines péripéties qui ne feraient que rallonger la sauce sans rien apporter de consistant au fond. Parce que les péripéties, un peu comme les vieux dans les rapports de Perceval à la Table ronde, c’est pas le tout d’en mettre, faut savoir quoi en faire. Et quand je vois le nombre d’auteurs qui te déballent le catalogue intégral, sans trier, juste pour en mettre, ben non, on fait pas ça. Péripétie égale temps fort pour les personnages, tournant de l’histoire, moteur de l’intrigue, souffle épique, si possible tout ça à la fois, sinon elle ne sert à rien, donc elle n’a pas lieu d’être, merci, au revoir. Ici, quand une péripétie arrive à un personnage sans plus marquante que ça, elle ne donne pas lieu à un chapitre complet de récit aussi détaillé qu’inutile, elle est évoquée en deux mots et la vie continue. Et l’intrigue ne perd pas son fil rouge. Et le lecteur ne s’ennuie pas à se farcir des actions ultra secondaires. Et c’est comme ça qu’on écrit un récit propre, efficace et rythmé.
Une part de mon plaisir de lecture, c’est là que je l’ai trouvée : dans le rythme du récit, qui avance pour de vrai, pas qui s’agite beaucoup pour camoufler qu’il fait du surplace, et qui sait quand détailler, quand résumer, quand prendre le temps, quand sauter les étapes dispensables.
Univers bien balancé entre inspirations égyptiennes et création personnelle… personnages vivants, bien rendus, creusés… action, tension, émotion… écriture affûtée… un premier tome qui ne se contente pas d’une interminable exposition mais qui raconte une histoire… en prime une couv’ qui en jette. Pour moi, c’est tout bon, Destin scellé démarre en force !
(Ce roman a été récompensé par un K d’Or.)