Désolation / Les régulateurs – Stephen King / Richard Bachman

Désolation / Stephen King
Les régulateurs / Richard Bachman

J’ai lu

Deux histoires sur la base d’un tronc commun ténu pour parvenir à des résultats qui n’ont rien à voir entre eux.
Deux bouquins sortis le même jour pour le prix de deux, c’est loin d’être l’affaire du siècle.

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Désolation

Dans une petite ville paumée au fin fond du Nevada, un shérif possédé par une entité maléfique enferme des gens. Ces derniers tentent avec plus ou moins de bonheur de s’échapper et de se débarrasser de ce représentant de la loi qui redéfinit la notion de violence policière à faire pleurer de jalousie tous les flics de France.

Désolation, c’est un condensé de King. Enfin, condensé, c’est beaucoup dire quand la version poche pèse plus de 600 pages. Mais bon, t’as un peu tout King dans un seul bouquin : l’entité maléfique séculaire (Ça, Bazaar), la possession (Shining), l’affrontement manichéen du Bien contre le Mal (Le Fléau, Bazaar), un personnage d’écrivain qui est une projection de l’auteur (La part des ténèbres), un enfant avec des super-pouvoirs (Charlie, Shining, Carrie), un final pyrotechnique où on fait tout péter (Carrie, Charlie, Bazaar, Salem, Shining, Le Fléau, plus ou moins les trois quarts de sa biblio…).
Par contre, tout ça, tu l’as en pilote automatique. Là où j’ai été marqué d’une façon ou d’une autre par chacun des autres titres de King que je viens de citer, Désolation ne m’a pas laissé un souvenir impérissable. Un peu trop King, peut-être, avec des airs de déjà-vu du début à la fin, sans que rien ne ressorte pour donner à l’œuvre une identité propre au-delà de la simple compilation. Un récit mécanique où chacun fait sans étincelles ce qu’il est censé faire, l’auteur comme les personnages. Pas de fresque ample et ambitieuse comme dans Ça ou Le Fléau, un grand méchant et son incarnation beaucoup moins marquants que Grippe-Sou, Christine, Randall Flagg ou Leland Gaunt, des gentils qui te donnent beaucoup moins envie de les accompagner que le Club des Paumés (Ça) ou les survivants de la super-grippe (Le Fléau), aucune dimension tragique dans les protagonistes à la différence d’Arnie Cunningham, Jack Torrance, Nadine Cross ou Carrie White.

L’écriture de Désolation est correcte, ce n’est pas un mauvais roman dans sa structure ou son récit, il est juste fade par rapport aux titres antérieurs de King, qui propose la même chose mais en moins goûtu que ce qu’il a déjà écrit.
Faut dire qu’à cette date (1996), King a déjà publié plus d’une trentaine de bouquins en l’espace d’une vingtaine d’années et une bonne partie de ses titres sont considérés comme des chefs-d’œuvre et des classiques. Le revers de la médaille, c’est qu’avec son rythme frénétique de publication, il a fait plus ou moins le tour du fantastique, de l’épouvante, de la SF. Au bout d’un moment, il devient difficile de se renouveler et de faire mieux que soi-même. Suffit de voir ce qu’il sortira la décennie suivante (Dreamcatcher et Cellulaire, hum…).

Ce qui fait de Désolation un plutôt bon King quand on n’en a pas lu d’autres ou très peu mais un roman dispensable si on s’est tapé toute sa biblio antérieure.
Beaucoup trop long, comme souvent, pour ce qu’il a à raconter, le roman aurait gagné à se voir raccourci d’un tiers.
Trop manichéen, il ne laisse aucune place à la moindre zone de gris qui apporterait un peu de nuance.
La lutte contre le Mal se limitera in fine à n’être qu’une échauffourée contre un démon sous le regard de Dieu, ce qui limite sa portée. Quand t’es pas chrétien, les innombrables bondieuseries de Désolation ne te concernent pas et deviennent vite lourdingues. Autant ça passait dans Carrie, la bigoterie fanatique de la mère de l’héroïne étant un des socles de l’histoire ; idem dans Bazaar dont le thème était le pacte avec le diable. Autant là, ça gave, en plus de n’être pas super bien mené, trop deus ex machina, littéralement. Les gentils ont Dieu de leur côté, qu’ils l’emportent ne fait aucun doute. Alors que dans Le Fléau, les gentils avaient aussi Dieu de leur côté, mais c’était pas gagné pour eux, ils avaient encore tout à faire eux-mêmes, à commencer par des choix. Dans Désolation, le libre arbritre des personnages est trop canalisé par la main divine et celle de l’auteur : ils font ce qu’on attend d’eux, ce qui leur retire tout mérite dans le combat qu’ils mènent. Avec Dieu dans sa poche, c’est un peu trop facile…
Tout ça pour arriver à un final bourrin comme King les aime, on crame tout, là encore dans une ambiance très religieuse de purification par le feu, certes très symbolique mais aussi un peu cliché sur les bords, surtout que King a déjà pas mal utilisé cette image qui sent, dans tous les sens du terme, le réchauffé.

Les régulateurs

La banlieue de Wentworth est paisible. Jusqu’au moment où une entité maléfique vient y foutre un merdier total à coups d’ultraviolence et d’altérations de la réalité.

J’aimerais qu’on m’explique. Pourquoi les auteurs valides fantasment à ce point sur les personnes handicapées ?
Si la première place revient sans conteste à Dean R. Koontz pour La maison interdite, King s’accapare tranquille la seconde marche du podium. Dans Le Fléau, Nick Andros, muet, et Tom Cullen, qui souffre d’un retard mental mais reçoit en contrepartie des visions de Dieu. Dans La ligne verte, John Caffey a le développement intellectuel d’un enfant et des pouvoirs divins de guérison. Dans Dreamcatcher, Duddits, un trisomique possède le don de télépathie. Liste non exhaustive… Faut arrêter avec cette représentation. Elle part peut-être d’une de ces bonnes intentions dont l’enfer est pavé, mais le résultat est pire que mieux.
On sent bien que l’idée part du concept biblique des “simples d’esprit” bienheureux, qui gagnent un ticket gratos pour le royaume des cieux, donc un lien privilégié avec le grand patron. Par contre, je me souviens pas du passage de la Bible où les handicapés reçoivent en prime un pouvoir psychique. Et perso, étant athée, ça me parle moyen la béatitude divine. Alors que le handicap, ça je connais, c’est mon quotidien, à gérer sans connexion directe avec Dieu pour me filer le mode d’emploi, sans talent qui ferait de moi un candidat de choix pour rejoindre les écuries de Marvel et DC.
Là où la représentation littéraire pose problème, c’est qu’à l’arrivée, on se retrouve avec des personnages dont le handicap est systématiquement compensé par un super-pouvoir. Comme si sans, le perso n’aurait eu aucun intérêt, ou pire n’aurait pas été complet, un genre de demi-être humain pas fini. La personne handicapée n’est pas considérée en tant que telle, ce n’est pas elle qui a de l’importance, c’est le pouvoir qui l’habite. Lequel pouvoir ne lui appartient pas en propre la plupart du temps, puisque c’est Dieu qui lui a refilé. Soit des handicapés qui ne sont que des réceptacles et de simples outils. Avec en prime le sous-entendu que s’ils arrivent à faire quelque chose de leurs dix doigts, ce n’est pas parce qu’ils en sont capables par eux-mêmes mais parce qu’ils bénéficient d’un coup de pouce divin, ce qui leur retire tout mérite à surmonter certaines situations.
Faut vraiment que les auteurs arrêtent avec ça…
Donc là dans Les régulateurs, ça tombe sur un autiste. Pour le coup, il ne dispose d’aucun pouvoir. À la place, son handicap lui vaut d’être possédé par une entité maléfique pas assez puissante pour envahir un esprit valide. La vache… Belle maladresse de King… Donc le handicapé doit se contenter des miettes et d’un démon de seconde zone, là où un valide aurait droit à une bestiole au top. Bravo… Pis alors le coup de l’esprit malade plus facile à posséder, merci, ça fait plaisir, l’autiste que je suis apprécie (ou pas). Être neuroatypique n’est ni une tare, ni une faille, ni une faiblesse, ni un trou par lequel peuvent s’engouffrer toutes les saloperies imaginables de ce monde ou d’un autre… J’aurais même tendance à dire que c’est l’inverse : une psyché autistique me semble impénétrable, même pour un démon, là où celle d’un neurotypique est facile à décrypter, parce que classique et conventionnelle, typique quoi, donc un gruyère où les trous ne manquent pas pour que s’infiltrent tous les esprits malins du pandémonium. Encore un auteur qui démontre sa méconnaissance totale du sujet et une vision des autistes au mieux fantasmée, au pire à côté de la plaque…
D’autant qu’il choisit un enfant. Ben ça suffisait, non ? L’entité aurait pu se dire que l’esprit d’un gamin est plus malléable que celui d’un adulte, et hop, invasion en bonne et due forme. Et ça aurait marché sans ajouter une couche foireuse de trope du handicapé qui serait forcément un faible et une victime. Donc un autiste qui aurait aussi bien pu ne pas l’être. Le handicap comme variable d’ajustement, un oripeau décoratif pour susciter le pathos et la pitié. Combien de lecteurs ont dû se dire “oh, le pauvre” ? Arrêtez aussi avec ça, handicapé et pitoyable ne sont pas synonymes. On n’est pas plus des accessoires tragiques que des Power Rangers ou des prophètes, juste des gens qui font ce qu’ils peuvent avec ce qu’ils ont, comme tout le monde (c’est juste que pour nous, c’est souvent plus compliqué que la moyenne).
Et tout ça pour quoi ? Se focaliser sur je ne sais combien de personnages principaux et secondaires quand le personnage autiste doit se contenter de la portion congrue. Parce qu’on n’en a rien à foutre, en vrai, et que l’auteur ne sait pas quoi en faire. Ce qui a au moins le mérite d’être raccord avec la façon dont nous sommes considérés par la majeure partie de la société : des silhouettes qui traînent aux marges et qu’on ne sait pas trop où caser, donc qu’on ignore et invisibilise faute de pouvoir s’en débarrasser (éthiquement, ça pose des problèmes et en plus ce serait du plagiat, d’autres ont déjà essayé).
Le pire personnage autiste qu’il m’ait été donné de lire, il est là, dans Les régulateurs.

Sinon, le reste du bouquin… Bon ben, c’est du Bachman, donc du King. Une touche de western dans l’Amérique des banlieues résidentielles, un gamin, une entité malfaisante, une ribambelle de personnages secondaires qui permettent de logorrhéiser avant de les faire crever… King en petite forme, qui n’exploite pas grand-chose de ses protagonistes, ne développe pas des masses de thématique, et se traîne quelque peu en longueur alors que le bouquin pèse deux cents pages de moins que son frangin Désolation. Drame de s’être étalé sur 450 pages au total pour une histoire qui tenait sur la moitié et aurait pu être percutante sans les longueurs. La folie qui s’empare de la banlieue de Wentworth promettait un récit déjanté, qui pouvait tout s’autoriser grâce aux manipulations de la réalité. À l’arrivée, ce tourbillon délirant fait long feu, trop délayé pour conserver son punch sur la durée, avec un King qui profite de son alter-ego Bachman pour jouer au grand-guignol jusqu’à la caricature de violence gore gratuite étalée à foison sans, au fond, raconter quoi que ce soit.
Et tout ça pour dire quoi ? Que les dessins animés rendent violents ? que la télé diffuse du caca ? Bah merci de l’info, fausse dans le premier cas, pas révolutionnaire dans le second. La critique de la TV la plus basique de l’univers, simpliste, maladroite aussi dans l’absence totale de recul du texte. Si tu veux dénoncer la violence des programmes télévisés par le biais d’un texte qui met en scène l’ultraviolence, faut qu’on sente un recul, une dérision, une distance, un second degré, une autre grille de lecture, un sous-texte, sinon on peut en dire autant de la littérature que tu produis : de la violence avec rien derrière, du spectacle vain sans remise en question.

Désolation / Les régulateurs

Chacun sous le nom d’une des facettes de Stevie la Malice, les deux romans sont sortis le même jour, présentés comme deux approches différentes sur une base commune.
Un coup d’épée dans l’eau.
La base commune n’existe que dans l’argumentaire du projet. En vérité, Désolation a été inspiré par la traversée d’une ville déserte pendant la promo du soporifique Insomnie ; Les régulateurs vient d’un vieux scénar de film que King avait proposé à Sam Peckinpah. Dix ans entre les deux idées et zéro rapport.
D’une œuvre l’autre, on ne retrouve in fine que Tak, l’entité malfaisante venue du fond des âges. Elle porterait un nom différent, ce serait pareil. Du côté des humains, certains personnages portent des patronymes identiques, mais leurs incarnations dans les réalités de Désolation et Les régulateurs n’ont rien à voir entre elles à part ce lien onomastique artificiel.
Faute d’éléments communs profonds, les deux titres se répondent à peine et l’exercice de style fait pshit. L’astuce aurait pu marcher avec davantage de points communs et de contrepieds. Il aurait aussi fallu raccourcir chaque récit pour que tiennent en un seul volume deux romans courts. Là on aurait eu un diptyque en béton, avec deux visions assez parallèles pour créer un écho et assez dissemblables pour éviter la redite. On se contentera à la place de ces deux pavés qui vivent leur vie chacun de son côté comme si l’autre n’existait pas. Un titre moyen, l’autre très moyen, un duo qui n’existe que sur le papier, on est loin du compte.

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