Dernière fenêtre sur l’aurore
David Coulon
Hélios (ActuSF)
Pendant que le monde entier chronique Je serai le dernier homme, moi non. Pas pour faire mon cake, c’est juste que je n’ai pas encore acheté le petit dernier du père Coulon. J’ai trois bonnes raisons :
– Dernière fenêtre sur l’aurore traîne depuis un bail dans ma BAL (“Babel à lire”, la pile XXXXXL comme ma b… ma barbe) et je me connais assez pour savoir que j’aurais encore repoussé sa lecture si je m’étais lancé dans les aventures de l’ultime gonzier.
– J’aime bien aller à peu près dans l’ordre de la biblio d’un auteur, ça permet de voir l’évolution de son écriture. Note qu’en ayant commencé par Le village des ténèbres, c’était cuit pour respecter la chronologie, mais bon.
– Un mot d’excuse signé des parents (voir photo ci-dessous).
Dernière fenêtre sur l’aurore en est aussi une sur l’horreur, de fenêtre. Le qualifier de roman noir tient de l’euphémisme, on part bien au-delà, dans du noir foncé mais en plus sombre encore.
En littérature comme en café, le noir super noir, j’accroche de moins en moins. La faute à des auteurs qui en font des caisses dans la surenchère, transformant une atmosphère sombre en délire qui ne ressemble à rien.
Pas le cas ici. C’est super noir mais bien fichu, l’auteur maîtrise sa créature. Après, faut aimer l’oppressant, le sordide, l’horrible, le macabre. Si je me lançais dans un inventaire à la Prénoir (c’est comme du Prévert mais en moins rigolo), je citerais jalousie, vengeance, traque, pédophiles, mafieux corses, étudiante égorgée, torture, folie… Un contexte du pire, où chaque personnage perd les pédales, soit une ambiance très Apocalypse Now dans l’esprit. L’aurore, l’aurore… Ben y a pas grand monde qui en verra la lumière ni les doigts de rose.
Dernière fenêtre sur l’aurore ne plaira pas à tout le monde, c’est rien de le dire. Je t’épargne les clichés “à ne pas mettre entre toutes les mains” et autre “âmes sensibles s’abstenir”, tu vois l’idée.
Le roman est court et tant mieux, il en ressort d’autant plus percutant. Pas besoin de tartiner 400 pages quand 250 suffisent. En plus, on peut assez vite deviner qui est le coupable (spoiler : il ne s’agit pas du colonel Moutarde avec le trombone à coulisse dans la chambre de bonne). Donc même si l’intérêt de l’histoire ne réside pas en premier lieu dans l’enquête et sa résolution, vaut mieux éviter de faire traîner pour ne pas perdre en punch ou en intérêt du lecteur. Coulon a pris le parti de ne pas noircir du papier juste histoire de dire, il a eu raison.
Il y aurait beaucoup à raconter sur les personnages. Mais à moins de révéler tout ou partie de leurs agissements, motivations, secrets honteux… et donc de dévoiler la moitié du bouquin, ça va être compliqué. Toujours est-il que Coulon a l’art de croquer des protagonistes dévorés de l’intérieur.
L’ensemble est servi par un style qu’on qualifierait de “coup de poing” si les livres avaient des petits bras musclés et si on n’est pas trop regardant sur les formules clichés dans les chroniques. Rapide, concis et haché, il colle à la frénésie qui imprègne cette histoire de fous. Seul point qui m’a gêné, les changements de points de vue qui sautent parfois de la troisième à la première personne pour parler d’un même personnage au sein d’un même chapitre. Ça passe pour impliquer le lecteur dans l’ambiance où personne ne sait où il en est, mais je ne suis pas fan du procédé. One POV to rule them all! (Dans un autre domaine, ça ferait un bon slogan pour Brazzers…)
Du bon, du beau (enfin, façon de parler…), du beau né, voilà un premier roman réussi. Du noir qui pique avec puissance et finesse à la fois (celui-là, de slogan, je le vendrai à Maison du café).