Cujo – Stephen King

Cujo
Stephen King

J’ai Lu

Couverture roman Cujo Stephen King J'ai Lu

Note liminaire : cette chronique spoile sévère, donc si vous voulez garder intacte la découverte du roman, ne la lisez pas.

Cujo, roman raté et réussi à la fois, encore un tour de force de Stephen King…
Il l’a écrit lors d’une période où il picolait beaucoup et ça se ressent. C’est long, très long, trop long pour ce que ça raconte.
Un gentil toutou mordu par la fameuse chauve-souris enragée de Jean-Marie Bigard tourne fou furieux et fait le siège pendant trois jours d’une bagnole en panne dans laquelle une mère et son fils se retrouvent coincés sous un soleil caniculaire.
Tenir quatre cents bonnes pages sur un sujet qui tient en trois lignes, bonne chance…
Quatre cents pages d’attente. Un peu moins avec tout le blabla annexe qui sert à meubler le background des personnages, balancé à la va-comme-je-te-pousse avec pour résultat de donner à la structure du roman des airs de brouillon.
Une longue nouvelle ou un court roman de moitié moins de volume aurait suffi pour raconter la même chose. Surtout pour raconter si peu au fond : sorti de la grille de lecture immédiate, il n’y a rien, aucun thème n’émerge.

Les personnages sont loin d’être les meilleurs de King. Juste lambda, tout le monde et n’importe qui. Point positif, ces gens ordinaires apportent un caractère réaliste au récit. Par contre, ils ne marquent pas, on est loin de Polly et Pangborn dans Bazaar, des Sept Veinards de Ça, de Paul Sheldon et Annie Wilkes dans Misery, etc.
Pour son héroïne, King a opéré le choix le plus foireux possible : elle a trompé son mari. Alors pourquoi pas, c’est elle que ça regarde et y a plus grave dans la vie. Mais ce trait adultère pose deux problèmes : un à moi, l’autre au fond du texte. Perso, je suis un intégriste de la fidélité, donc pas moyen d’accrocher à un personnage infidèle, homme ou femme. Nous n’avons pas les mêmes valeurs, comme disait le poète Bordeau Chesnel. Fossé trop large entre nous, au revoir et merci d’être passé, on vous rappellera.
Bon, ce point, subjectif à 100%, n’engage que moi.
Par contre, ce choix d’écriture donne une teinte bien-pensante à cette histoire. Le garagiste bat sa femme. Il est buté par Cujo. Puni. Vic Trenton, adultère, se retrouve ensuite aux prises avec le clebs et son fils meurt de déshydratation après leur enfermement dans la bagnole. Punie. Aussi. Ça fait un peu “tu chies dans la colle au sein de ton couple, paf, dans ta gueule”. La sacro-sainte valeur famille doit rester pure, sinon tu reçois un châtiment divin qui ne dit pas son nom par l’intermédiaire d’un ange exterminateur canin. On ne déconne pas avec les Commandements du Seigneur. Cujo résonne in fine comme une histoire de bon père de famille avec pour morale : si tu n’avais pas trompé ton mari, rien de tout cela ne serait arrivé et ton fils ne serait pas mort, mère et épouse indigne. Comme une impression de “quelque part, elle l’a bien cherché” qui se dégage des événements qui lui tombent dessus. C’est là qu’on sent bien que King était bien imbibé à l’époque, parce qu’on sent dans le même temps, à travers le combat de Vic pour survivre, que son intention n’est pas d’écrire un roman de droite pétri de conservatisme et de religiosité vétéro-testamentaire. N’empêche que c’est pourtant sur ce terrain glaireux qu’il atterrit.
Quand on imagine le même roman moins la liaison de Vic, le final gagne aussi en intensité. La mort de son fils, avec un personnage droit dans ses bottes, aurait été le drame ultime. Ici, on se dit : ça aurait pu être évité.

À côté de ça, King a aussi su donner à son roman des qualités narratives.
Le réalisme, tout d’abord. Un univers concret, avec des événements normaux, le tout très bien rendu à travers l’enfermement dans la bagnole, la canicule très bien décrite au point de ressentir la chaleur en lisant, l’ambiance très “ça pourrait aussi vous arriver”. Le fantastique n’est pourtant jamais loin dans la peinture du clébard enragé, qui devient sous la plume de King un monstre, le chien de l’enfer des légendes.
Même si torpillé par ses apartés, flashbacks, introspections pas toujours bien structurés ni bien amenés, Stevie parvient à installer un excellent huis-clos en extérieur, ce qui est une belle prouesse. Une cour, une voiture, un chien. Et hop, enfermé dehors et dedans à la fois.
Dans la voiture, à la fois forteresse et prison, protection contre le mal extérieur et cocotte-minute mortelle à l’intérieur, on peut voir le symbole du foyer et ses paradoxes tels que renvoyés par la femme du garagiste et Vic : le cocon du home sweet home… où tu prends des tartes dans la tronche ; la gentille petite famille… qui t’étouffe et te donne envie d’aller voir ailleurs si l’herbe est plus verte et les tiges plus longues. (Après, il est possible que la voiture ne soit rien de plus qu’une caisse, toute interprétation symbolique relevant de la branlette pure et simple.)

J’avais pris plaisir à le lire étant ado, moins à le relire maintenant. Il aurait pu être bien meilleur, moins en dents de scie. Cujo donne tout son sens à l’adjectif “mitigé”, un roman vandammien en quelque sorte qui assure le grand écart entre un cadre, une ambiance, une action très réussis et des maladresses d’écriture terribles dans son héroïne et la tonalité du propos.
Quant à l’adaptation ciné, elle ne casse pas trois pattes à un canard ni cinq à un saint-bernard.

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