Bilbo le hobbit
J. R. R. Tolkien
Le Livre de Poche
Quand on est pour s’atteler à une chronique du Hobbit vient une question : qu’est-ce que je vais bien pouvoir raconter qui n’ait pas déjà été dit depuis bientôt neuf décennies que le bouquin est sorti ? À moins d’être un monument de prétention qui croit pouvoir réinventer la roue en se croyant novateur, la réponse est rien. Que dalle. Nib. Nada. Peau de balle.
On ne va donc pas s’enquiquiner avec le versant analytique des qualités objectives d’écriture du roman pour se contenter du subjectif. J’adore ce bouquin (et à la limite, je pourrais arrêter la chronique ici, parce qu’en vérité, j’ai dit tout ce que j’avais à dire).
Conçu comme un récit de littérature jeunesse, Le hobbit a le mérite de rester valable à l’âge adulte. Même en le relisant maintenant que je bordure le demi-siècle, pas l’impression de lire un truc qui n’est plus de mon âge. L’oeuvre est bien plus pérenne à l’échelle d’une vie humaine que du Grimm ou du Disney, dépassés dès qu’on a franchi le cap des dix ans.
J’accroche toujours autant à cette ébauche des Terres du Milieu, sans doute davantage qu’à la version ultra développée qu’elles deviendront après Le Seigneur des Anneaux, Le Silmarillion et le reste des écrits de Tolkien qui les étofferont jusqu’à les étouffer, à vouloir in fine tout dire de cet univers, au point de ne plus laisser des masses de place à l’imaginaire du lecteur et aux questions qu’il peut se poser. Si j’aime la version finale du projet pour la richesse du monde bâti par Tolkien, je n’en préfère pas moins le premier jet, plus propice à imaginer soi-même des tonnes de développement derrière les allusions rapides.
J’aime Le hobbit pour sa simplicité de ton. Alors oui, le Silmarillion, c’est super abouti, mais ça reste une cosmogonie et un livre d’histoire. C’est bien à lire, mais ce que ça raconte ne m’a pas emporté. Le Seigneur des Anneaux, c’est super aussi, avec son ampleur, son souffle épique, ses enjeux de fin du monde et de lutte contre le Mal. Par contre, faut quand même reconnaître que c’est très, très long, parce qu’émaillé de passages descriptifs interminables et barbants (pensée pour Jeanne-A Debats, qui ne s’est toujours pas remise des fougères, et je la comprends). Pis c’est très grave, très sérieux, et si ce ton colle à l’ambiance, il manque le fun qui m’avait emballé dans Le hobbit. Le SdA est désespérant à crever : tu sens que quoi qu’il arrive, quand bien même les gentils l’emporteraient à la fin, ce sera une victoire à la Pyrrhus. Les nains, c’est plus ce que c’était. Les elfes, c’est plus ce que c’était. Les hobbits, ça n’a jamais été grand-chose. Dans le genre crépusculaire et déprimant… Dans Le hobbit, tout est encore possible, rien n’est plié, le monde n’est pas condamné à court terme à n’être plus peuplé que d’humains sans grand intérêt.
C’est sans doute le plus plu dans Bilbo le hobbit : le parfum d’aventure. Si le SdA est une aventure, il tient avant tout de la mission de la dernière chance, ça passe ou ça casse, et tout ce qui peut arriver entre le point de départ et l’objectif ne relève que de la péripétie pure. Dans Le hobbit, les péripéties sont l’aventure. Si la mission du SdA foire, fiasco total, peu importe ce qui a pu advenir en cours de route, ça n’aura servi à rien. Alors que si à la fin du Hobbit, la fine équipe de Blanche-Neige aux pieds poilus et sa cohorte de nains ne trouvait pas le trésor, leur odyssée ne serait pas vaine pour autant. L’important, ce n’est pas la destination, c’est le voyage, comme on dit. Même principe que dans L’île au trésor de Stevenson : si Jim Hawkins ne mettait pas la main sur la magot, il resterait tout de même quelque chose de son aventure, dont il sortirait en ayant grandi, mûri, appris une foule de choses et tissé des liens profonds avec ses compagnons de galère.
Le fait d’avoir lu Bilbo le hobbit avant de m’attaquer au Seigneur des Anneaux, au Silmarillion, aux contes du premier âge, du deuxième et du troisième joue beaucoup aussi sur la préférence que je lui accorde. Mon premier Tolkien. Et les premières fois, c’est toujours quelque chose.
En tous les cas, toujours un plaisir de remettre le nez dans cette œuvre, qui demeure un classique indémodable de la fantasy. D’ailleurs, si vous n’avez jamais mis le nez dans de la fantasy, que l’expérience vous tente, mais que vous ne savez pas par quoi commencer vu la pléthore de titres disponibles à l’heure actuelle, Le hobbit est un des meilleurs choix possibles comme porte d’entrée dans le genre, à égalité avec les aventures de Conan de Robert E. Howard, dans un autre style. Un modèle du genre, accessible sans être simpliste pour autant, prenant de la première à la dernière page, une aventure avec un petit bonhomme et un grand A. Incontournable.
(Ce roman a reçu le K d’Or 2025.)

