En soi, Delta Force n’a rien de terrible. Ok, Chuck Norris joue dedans ou, à défaut de “jeu”, fait acte de présence devant la caméra. Mais on est loin d’un monument nanar comme Invasion USA.
Menahem Golan a vu grand avec un métrage de deux heures qu’on pourrait aisément réduire de moitié. Une intro rapide rappelle un fait authentique : la foirade de l’opération Eagle Claw visant à libérer des otages américains en Iran. Ensuite, le film se divise en deux grandes parties d’une petite heure chacune. Je conseille de passer la première qui se révèle d’un ennui mortel et d’une lourdeur insoutenable. En résumé, des terroristes détournent un avion. Et quand je dis détourner, je n’invente pas : au lieu d’un Athènes-Rome-New York, ils font quand même le trajet Athènes-Beyrouth-Alger-Beyrouth (???). Comme dit le proverbe, tout les chemins mènent à Beyrouth… Long, lourd, chiant. Dégoulinant de pathos au point d’en devenir ridicule… bourré de clichés lamentables… On a droit à des caricatures de terroristes arabo-musulmans plus antisémites que des nazis. Le scénariste n’ayant peur de rien, il confie la chasse aux juifs à une hôtesse de l’air allemande, véritable prototype aryen avec sa blondeur platine. Fallait oser. J’ai rarement vu évocation de la Shoah plus minable, à la limite de l’insulte. Si les points Godwin avaient existé en 1986, Delta Force en aurait accumulé assez pour tenir mille ans et dominer le monde.
Deuxième partie, la Delta Force intervient. Enfin ! Commence alors un festival nanar réjouissant plein de de faux raccords, de phrases qui tuent tombant à plat, de Chuck Norris, de coups de feu tirés par Chuck Norris, de terroristes tués par Chuck Norris, de motos customisées pilotées par Chuck Norris. Bref du Chuck Norris.
Delta Force, 50% navet, 50% nanar, 100% demi-teinte. Vaut mieux lui préférer un autre métrage de la filmo du grand Chuck… ou Argo dans un autre genre.
Pour autant Delta Force n’est pas dénué d’intérêt cinématographique. Pas au plan artistique, bien sûr, mais comme objet d’étude sur les représentations idéologiques. Un film bien de son époque, inscrit dans le foutoir au Moyen-Orient. Celui d’alors – révolution iranienne de 1979 et guerre civile au Liban à partir de 1975 –, pas celui de maintenant. Inscrit aussi dans la fin d’une époque, celle du match USA-URSS. Quand sort Delta Force, l’odeur du sapin commence à se faire sentir pour la guerre froide. Pas encore enterrée mais pas loin. Dès l’arrivée au pouvoir de Gorbatchev en 1985, la détente s’amorce et la figure récurrente de l’ennemi communiste deviendra vite anachronique, mis à part quelques soubresauts occasionnels lors de tensions entre les deux superpuissances. Rambo III se voyait déjà taxé en 1988 de véhiculer un message dépassé avec ses Russkofs caricaturaux. Delta Force, sorti en 1986, fait donc partie de ces films de transition d’un ennemi juré l’autre et participe de la construction d’une image fictive et propagandiste.
Hollywood a besoin d’un nouvel adversaire et ça tombe bien, il en a déjà un qui traîne en coulisses. Dès le milieu des années 70, la figure du terroriste arabe avait pointé le bout du nez sur les écrans. Restée dans l’ombre du grand frère russe qui régnait en maître sur le club des grands méchants, elle se trouve catapultée au premier plan pour prendre la relève. L’ennemi héréditaire change de visage : les méchants Russes et autres séides communistes cèdent la place aux méchants Arabes et autres terroristes extrémistes barbus. La construction de la figure s’appuiera sur le même modèle que pour les communistes, à grand renfort de traits marqués (accent à couper au couteau, barbe, visage qui respire le sable chaud et les palmiers) et de panoplie carnavalesque (turban, keffieh, lunettes noires, l’éternelle AK47).
Comme quoi le 11 septembre n’a rien inventé, le cliché, l’amalgame facile et le délit de sale gueule existaient depuis un bail et avaient atteint des sommets depuis une douzaine d’années. Le film Couvre-feu (1998) en est le “parfait” exemple. Sa date de sortie, 1998, illustre on ne peut mieux l’existence d’une image aussi stéréotypée que négative de l’Arabe à Hollywood avant le 11 septembre. Tristement prophétique puisque après, les autorités comme le public ont réagi exactement comme dans le film. Preuve que la construction idéologique était assez ancienne et ancrée dans les esprits pour provoquer des réflexes pavloviens.
Trente ans après Delta Force, ce mythe idéologique reste d’actualité et continue de couvrir les écrans de moult terroristes posant leur millième bombe ou détournant leur énième avion avant de se voir pulvériser par un éternel héros américain blanc et invincible.