Girl
Kevin J. Taylor
Kevin Taylor crée en 1990 le personnage de Girl, une métisse à la taille de guêpe et aux seins énormes, strip-teaseuse de son métier et passionnée de sorcellerie pendant son temps libre.
L’histoire de ce personnage pas ordinaire est d’abord sortie dans le magazine espagnol Kiss Comix. Divers albums verront le jour par la suite pour former une biblio touffue.
Du côté des parutions en langue anglaise – qui sont, une fois n’est pas coutume, beaucoup plus cohérentes et suivies que les éditions françaises – il en ressort :
– un premier volet intitulé Girl ;
– un second volet intitulé Girl, Rule of Darkness ;
– un troisième volet en 4 albums intitulé Girl, The Second Coming ;
– au moins deux albums intitulés Girl presents Body Heat, recueils d’histoires courtes qui mettent en scène Girl ou des personnages de son entourage (Jill, Blue, Marty), qui compilent en version longue des numéros de comics plus courts (Girl presents Body Heat et Girl presents Co-Ed Diaries) ;
– un certain nombre d’ouvrages annexes sur lesquels je ne me suis pas penché plus que ça, parce que ce ne sont pas des trucs qui me passionnent (artbooks entre autres) ;
– au moins un spin-off, Jill: Part-Time Lover, centré comme titre l’indique sur le personnage de Jill, dans lequel Girl fait un caméo.
En VF, c’est la misère. Au début des années 2000, l’éditeur BDérogène a sorti trois tomes :
– Nuits torrides, qui reprend le premier album Girl presents Body Heat avec sa compil d’historiettes random ;
– Pacte démoniaque et Conspiration qui éclatent le premier arc narratif de Girl en deux tomes – astuce classique des éditeurs français pour te vendre un bouquin le double de son prix.
En 2010, Dynamite reprend le flambeau en publiant Girl : Body Heat, que beaucoup de sites de BD affublent à tort du numéro 4 en le casant à la suite des publications de BDérogène. Il s’agit en fait d’une réédition de Nuits torrides avec quelques différences de traduction. La suite était annoncée… on l’attend toujours. En même temps, fallait pas s’attendre à un succès de librairie avec cette compilation aléatoire censée nous faire, dixit l’argumentaire de vente de l’éditeur, “découvrir les premiers pas de Girl, l’héroïne emblématique de Taylor”, dont les péripéties se retrouvent noyées parmi celles d’autres protagonistes au sein d’un album qui ne présente in fine pas grand-chose du personnage ni du monde où elle gravite et rien du tout de son intérêt pour la magie noire, donc pas des masses d’intérêt. Perso, tant qu’à introduire la série, j’aurais commencé par Girl tout court, l’arc narratif où on la découvre strip-teaseuse et embarquée dans une sombre affaire de démonologie. Dans cet opus, y avait tout : l’héroïne, sa présentation, son univers, du cul et une histoire susceptible d’accrocher les lecteurs. Le recueil d’historiettes, c’est plutôt le truc que j’aurais publié en dernier pour terminer d’exploiter le filon avec tous les machins qui traînent et qu’on ne sait pas où caser.
Girl
Amerotica
Girl bosse au Kat Kat Club, une boîte de strip-tease. Quand elle ne travaille pas, elle se promène en ville en proie aux regards concupiscents des passants ou elle apprend la sorcellerie, un passe-temps comme un autre.
Après avoir pour invoqué le démon Malachii et passé avec lui un marché pour obtenir l’immortalité, il commence à se passer des choses étranges autour d’elles, comme des mecs qui se mettent à flamber, comme ça, d’un coup. Entre deux numéros dans son club et deux séances de baise au débotté, elle rencontre un chasseur de démons qui va essayer de lui sauver les miches, vu qu’elle s’est fourrée dans un sacré pétrin.
Faut pouvoir rentrer dans le style de Taylor, qui mélange old school épuré des années 30, comics et enfin cartoon dans son penchant pour la démesure (qui tendra par la suite à se rapprocher du trait propre à la caricature). Idem ses influences et sa narration, la première piochant de tous les côtés, la seconde partant dans tous les sens. Un peu de noir années 40-50 avec ses gangsters et sa femme fatale, du fantastique avec son invocation démoniaque, une touche de comics de super-héros avec son sorcier chasseur de démons luttant contre les vilains cornus venus de l’enfer, et au milieu de tout ça du cul.
La narration souffre à l’évidence de la parution en magazine qui oblige l’auteur à découper son récit en tranches, ce qui donne une histoire hachée dans son rythme, avec des bouts rallongés pour remplir le nombre de pages requis en délayant, d’autres raccourcis pour tenir dans l’espace disponible quand il aurait fallu les développer, et des morceaux qui partent à droite à gauche dans des directions qui ne mènent nulle part. Le résultat quand on met tout bout à bout dans un album de 140 pages fonctionne moyen, comme une suite de sketches qui essayent de former tous ensemble une histoire sans y parvenir tout à fait.
La publication à long terme n’aide pas non plus à structurer un récit en béton, avec un taf rendu en allant, de l’impro, des idées amorcées puis abandonnées parce que tu ne sais plus quoi en faire, des nouvelles inspirations qui te viennent en cours de route…
Le ton de la revue impose du cul dans chacun desdits épisodes, donc à tire-larigot à l’échelle de l’histoire complète, y compris à des moments improbables. Là aussi, le concept a du sens sur un format revue, beaucoup moins en album.
Au final, les aventures de Girl à travers ce premier gros time auront été une découverte intéressante. En général, dans la BD érotique et pornographique, je suis plutôt porté sur le style réaliste. Ici, on en est loin dans le trait comme dans les proportions (et ce n’est qu’un début, les publications ultérieures de Taylor verront les poitrine passer de F à Z et les braquemarts de 30 cm à 50). Mais ça passe, vu l’ambiance générale, et sortir de sa zone de confort ne fait pas de mal de temps en temps.
Reste que la narration souffre de pas mal de défauts et que cette histoire aurait pu tenir en moitié moins de pages, davantage concentrée sur son fil narratif de pacte faustien et de chasse au démon, en s’épargnant des excroissances dispensables de cul pour le cul. Il serait resté assez de boulard dans la trame principal pour contenter le chaland.
Girl, Rule of Darkness
Amerotica
Girl revient et elle est désormais la patronne du Kat Kat Club. C’est plus ou moins la seule info intéressante qui ressort de cet opus très moyen.
On a droit à un classique du tome 2 : la revanche. Un type sorti de nulle part veut se venger d’un truc pas clair et ça tombe sur Girl. Insipide et peu inspiré, ce volume se traîne sur ses deux premiers tiers à ne rien raconter de spécial, tout en se montrant beaucoup plus chiche côté boulard que le premier volet. Le dernier tiers en arrive enfin à cette fameuse vengeance qui ne rime à rien et la dernière ligne droite n’est pas plus intéressante que ce qui précédait.
Pas bonne du tout, cette suite ne s’imposait pas.
Girl, The Second Coming (4 volumes)
Amerotica
Girl rerevient ! Au menu, sorcellerie, voyage dans le temps, membres de la taille de mon avant-bras, couleurs baveuses et criardes, vampires, Girl enfin dotée d’un prénom (Jaleira) mais pourquoi maintenant, longueurs narratives interminables… un vrai gloubiboulga !
Ce Second Coming peine à convaincre. Le récit part dans tous les sens au point qu’on a du mal à saisir la trame principale. On ne sait pas trop où elle cherche à nous emmener ni ce qu’elle essaye de raconter de toute façon. C’est long, c’est mou, c’est imbitable… Tout ça pour revenir au point de départ en ramenant dans le quatrième tome les alliés de Girl lors de sa toute première aventure, alors qu’on n’en avait plus entendu parler ni dans Rule of Darkness ni dans les trois premiers épisodes de Second Coming.
Bilan, on dirait un remake de Girl passé à la moulinette du bling-bling, tant dans son récit que dans son style graphique. Resucée ratée qui n’en finit pas d’avancer, cette mini-série se contente d’empiler des bribes de trucs et de machins sans trop savoir où aller pendant deux tomes, se décide pour une histoire de vampire au troisième et se termine plus ou moins comme l’aventure initiale de Girl. Rien de nouveau mais en moins bien.
Girl, Body Heat 1 & 2
Amerotica
Le premier tome, qui s’appelle en VO Girl: Body Heat 1: The Erection Collection, a été traduit en VF chez BDérogène sous le titre Girl, Nuits torrides et chez Dynamite sous celui de Girl, Body Heat.
J’ai lu les trois versions. Comme ça, pas de jaloux.
Au propre comme au figuré, le personnage phare de Taylor est un fourre-tout. Dans les premières histoires de Taylor figurent une miss Lane qui interviewe des super-héros en leur pompant le dard, une Jaleira qui fait l’école buissonnière parce que trop occupée à être prise par tous les trous, une sorcière qui s’enfile les incarnations des signes du Zodiaque, autant de facettes qui fusionneront en un seul personnage : Girl (de son vrai nom Jaleira Lane, comme on peut le voir par exemple sur une VHS dans The Second Coming).
À côté de ça, on croise d’autres protagonistes qui grenouillent plus ou moins dans son univers, par le biais d’un caméo de Girl, ou sinon c’est elle qui présente leur histoire par un petit mot sur la première page (l’artifice d’écriture à deux ronds pour relier des éléments sans rapport).
Ces histoires n’ont aucune autre vocation que mettre en scène du gros boulard qui tache entre des partenaires insatiables, les unes pourvues de poitrines très volumineuses, les autres de mandrins qui leur arrivent à hauteur des genoux.
Dans Body Heat 2, on est toujours sur de la compil, tout en couleurs cette fois. Et c’est moche. Trait et style graphique à l’avenant, qui ressemble moins à du travail fini qu’à de l’ébauche. Girl, Jill, Blue, les mêmes personnages que dans le premier Body Heat, dans les mêmes situations, avec les mêmes teubs format étalon et les mêmes boobs taille pastèque. Si on a déjà lu Body Heat premier du nom, ça tourne en rond sans rien apporter de plus au Taylorverse qui ne sort pas grandi de cet opus.
Jill, Part-Time Lover
Amerotica
Jill, personnage qu’on a pu croiser dans quelques histoires de Body Heat 1 et 2, revient dans un livre dont elle est l’héroïne. Son opus dédié, avec ses aventures à elle toute seule (ou presque, l’auteur établissant un vague lien avec l’univers de Girl par un caméo de dernière minute dans les pages finales).
Bon point pour Jill, elle ne chôme pas. Pour une amante à temps partiel, ainsi que l’annonce le titre, elle est quand même très occupée et n’arrête pas de distribuer du love à un rythme qui ressemble plutôt à du temps complet augmenté d’un paquet d’heures sup.
Ce sera le seul point positif de la BD.
L’album se veut une mise en images du journal intime audio qu’enregistre Jill. Je sais pas si ça vaut vraiment le coup de tenir un journal pour raconter chaque jour la même chose : baise, baise et rebaise. Comme une boucle temporelle à la Un jour sans fin sauce Dorcel.
Au plan graphique, le parti pris est très cartoon, simple voire simpliste. On hésite entre un choix stylistique ou de l’amateurisme, vu le niveau du dessin. Annoncé à sa sortie dans les années 2000 comme le premier album tout en couleurs de Taylor, je suis bien d’accord là-dessus : ça sent le premier jet. Comme quelqu’un qui découvrirait les feutres, la gouache ou je ne sais quel outil de coloriage sans trop savoir comment s’en servir. Sur certaines planches, ratage complet, mieux aurait valu en rester au noir et blanc.
Pas bien jojo et n’ayant rien à raconter, cet album centré sur Jill ne propose qu’une lecture à temps partiel et un intérêt carrément au chômage.