Le fascisme en action – Robert Paxton

Le fascisme en action
Robert O. Paxton

Seuil

Le fascisme en action Robert Paxton Seuil

Qu’est-ce que le fascisme ? C’est la question à laquelle se propose de répondre Paxton à la suite de tout un tas d’autres historiens. L’intérêt de ce bouquin – et aussi sa limite – est de partir d’un angle d’attaque pratique : le fascisme “en action”, en actes, ou comment un parti fasciste conquiert et exerce le pouvoir.
Ce choix d’une démarche basée sur les faits – et les faits sont là, y a qu’à se baisser pour les ramasser – a le mérite de proposer une définition concrète, moins éthérée que les abstractions idéologiques. Mais. Ce faisant, l’étude ne peut que se limiter aux fascismes qui ont réussi, pour l’essentiel en Italie et en Allemagne. Et à trop mettre de côté les discours et minimiser la dimension idéologique du fascisme, Paxton oublie parfois que le discours est pourtant essentiel, tant par le contenu (les arguments de vente qui séduiront les masses et permettront ensuite les actes) que le contenant lui-même (le discours comme arme de séduction massive, faute d’avoir comme d’autres -ismes, le dogme d’un théoricien auquel se référer comme point de départ – i.e. Marx chez les communistes, Bakounine chez les anarchistes).
Cette réserve mise à part, le bouquin est très bon (et devient excellent mis en parallèle avec des ouvrages davantage portés sur l’étude de l’idéologie fasciste, histoire d’avoir la théorie et la pratique en vis-à-vis).

C’est la Première Guerre mondiale qui rend possible l’émergence du fascisme. L’Europe avait bassiné le monde pendant des plombes avec sa rhétorique du progrès pour in fine mettre la planète à feu et à sang dans un conflit d’une ampleur inégalée par son échelle, les moyens humains et matériels engagés, les pertes et un niveau de violence apocalyptique. Violence légitimée par les belligérants au motif qu’il faut bien gagner la guerre. Un moyen comme un autre – une leçon que les futurs fascistes ont bien retenu. Ajoute là-dessus l’exacerbation du patriotisme et du nationalisme, l’embrigadement des masses pour les faire adhérer à la cause et, au sortir du conflit, la perte des repères d’une Europe qui se croyait meilleure que le reste du monde et s’est révélée en dessous de tout. Plus la crise de la démocratie, entre institutions qui ont un temps de retard (ça ne gêne pas la République de mobiliser toute la société pendant la guerre, mais après on sera encore loin du suffrage universel dans beaucoup de pays), scandales politiques, scandales financiers, peur de la révolution communiste… Un terreau sur lequel tout peut pousser…
Sans vrai programme, le fascisme ratisse large en jouant sur les “passions mobilisatrices”, en promettant tout et son contraire (de la révolution sociale à l’anticommunisme – la première, personne n’en a jamais vu la couleur, le second mis en œuvre avec beaucoup de zèle), en ralliant tout le monde et n’importe qui sur la base du contre. Contre le capitalisme, contre le communisme, contre l’ordre établi, contre le parlementarisme, contre la décadence… L’attrape-tout par excellence. Donc susceptible de parler sur un point ou un autre à n’importe qui parmi les masses de l’électorat, qui fournissent les voix, et parmi les élites, avec lesquelles composer des alliances indispensables pour l’accès au pouvoir.
Le génie du fascisme est d’avoir su parler à la foule, là où les élites traditionnelles continuaient à la prendre de haut, en oubliant que ladite foule avait fait tourner les usines d’armement à plein régime et fourni la chair à canon pendant plus de quatre ans. Tout un tas de gens que personne n’écoute ou qui ont l’impression que personne ne les écoute et auxquels le fascisme va s’adresser (d’où l’importance du discours, n’en déplaise à Paxton) pour s’enraciner. Sur le sujet, je recommande la lecture d’Une petite ville nazie de William Allen Sheridan pour suivre pas à pas la progression du NSDAP dans un patelin comme un autre, ni meilleur ni pire, et qui montre bien le nazisme en parlotes et en action.
Mais l’électorat n’est pas tout, si le fascisme parvient à accéder au pouvoir et à le garder, c’est aussi grâce à ses alliances, surtout chez les conservateurs et les capitalistes, pas toujours super emballés par les fachos bourrins mais à laquelle ils trouvent à s’entendre sur le nationalisme et l’anticommunisme. Ainsi que la promesse d’usines qui vont tourner à plein régime. Surtout dans le domaine de l’armement. Parce que quand t’as pas de programme, donc pas grand-chose à mettre en place une fois au pouvoir, il ne reste que la guerre pour t’occuper et te maintenir.

“On peut définir le fascisme comme une forme de comportement politique marquée au coin d’une préoccupation obsessionnelle pour le déclin de la société, pour son humiliation et sa victimisation, pour les cultes compensatoires de l’unité, de l’énergie et de la pureté ; ses militants, des nationalistes convaincus encadrés par un parti fondé sur la masse, collaborent de manière souvent rugueuse mais efficace avec les élites traditionnelles ; le parti abandonne les libertés démocratiques et poursuit, par une politique de violence rédemptrice et en l’absence de contraintes éthiques ou légales, un double objectif de nettoyage interne et d’expansion externe. (…)
[À propos des “passions mobilisatrices” :]
– un sentiment de crise d’une telle ampleur qu’aucune solution traditionnelle ne pourrait en venir à bout ;
– la primauté du groupe, envers lesquels les devoirs de chacun sont supérieurs à tous les droits, individuels ou universels, et le subordination à lui de l’individu ;
– la croyance que le groupe d’appartenance est une victime, sentiment qui justifie n’importe quelle action, sans limtations légales ou morales, menées contre les ennemis, internes ou externes ;
– la peur du déclin du groupe sous les effets corrosifs du libéralisme individualiste, des conflits de classe et des influences étrangères ;
– le besoin d’une intégration plus étroite, d’une communauté plus pure, par consentement si possible, ou par la violence exclusiviste, si nécessaire ;
– le besoin d’une autorité exercée par des chefs naturels (toujours de sexe masculin), culminant dans un super-chef national, seul capable d’incarner la destinée historique du groupe ;
– la supériorité des instincts du chef sur la raison abstraite et universelle ;
– la beauté de la violence et l’efficacité de la volonté, quand elles sont consacrées à la réussite du groupe ;
– le droit du peuple élu de dominer les autres sans contraintes de la part d’une loi divine ou humaine, la loi étant décidée sur le seul critère des réussites du groupe dans un combat darwinien.

Selon cette définition, le fascisme (et les comportements correspondant à ces sentiments) existe encore aujourd’hui ; il existe au niveau de la première étape dans tous les pays démocratiques.
(pp.373-375)

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