Faites chauffer la DeLorean, on part pour le VIe ou le XXVIe siècle avant JC (selon qu’on se réfère à Jésus Christ ou John Connor). Histoire, fantasy, batailles épiques, bienvenue dans l’empire perse !
Tomyris et le labyrinthe de cristal
Oksana et Gil Prou
Midgard
Entre deux néologismes, j’avais empletté Tomyris et le labyrinthe de cristal ainsi que L’outre-blanc aux dernières Halliennales. Coup double pour découvrir Oksana et Gil Prou dans leurs œuvres, même si, en bon cinéphile, je connaissais bien sûr la miss.
Binôme peu commun, bibliographie couvrant des genres très différents, thématiques pas piquées des hannetons… En lecteur éclectique amateur d’inattendu, j’étais curieux.
Je n’ai pas été déçu du voyage.
Tomyris nous catapulte sous le règne de Cyrus II le Grand qui occupe le trône perse entre 559 et 530 av. J.-C. En trente ans, il monte un “petit” empire qui va de l’actuelle Turquie à l’Indus. A la fin de son règne, tout le Moyen-Orient est occupé. Tout ? Non, déjà, parce qu’il manque des morceaux (Egypte et péninsule arabique) et que ses conquêtes débordent aussi sur l’Asie centrale. Ensuite, parce qu’un petit royaume résiste encore et toujours à l’envahisseur selon un refrain bien connu. Ce sont nos ancêtres les Gaulois les Massagètes, dirigés par la reine Tomyris.
Roman historique, donc, tu l’auras compris. Mais pas que. La fantasy s’invite à la fête. Et ça fonctionne.
Sur le volet historique, je connais un peu la Perse antique, très bien la zone couverte pour avoir étudié Alexandre le Grand (les frontières de son empire épousent à peu près celles de Cyrus II). J’ai lu les auteurs anciens (dont Hérodote qui relate la mort du big boss achéménide dans ses Histoires), les noms et la localisation des patelins et des régions n’ont plus de secret pour moi. Bref, je suis antiquisant. Et donc bien placé pour voir qu’Oksana et Gil ont potassé le sujet.
Les faits relatés sont aussi précis que possible, les royaumes et les villes à leur place sur la carte. Quand il est question de l’armée et de l’administration perses, de religions et divinités, de mœurs et coutumes, on ne navigue pas dans le brouillard de l’approximation mais éclairé par le phare de la rigueur documentaire. (Quelle belle métaphore, hein ?)
Si tu n’as pour passe-temps d’apprendre à situer la Bactriane ou la Sogdiane, rassure-toi, tu ne seras pas perdu. Les auteurs ont eu le bon goût de faire figurer une carte en tête d’ouvrage et les équivalents géographiques modernes sont donnés via un mini-lexique et quelques notes de bas de page. Quant aux informations historiques, elles sont distillées dans le texte, intégrés à la narration et aux dialogues, sans donner lieu à de longs apartés-exposés-pensums.
Comme quoi on peut écrire de la fiction (avec de la fantasy en plus !) dans un cadre historique sans faire n’importe quoi avec l’Histoire.
La fantasy, parlons-en. Bonne idée d’en mettre. Jette un œil aux mythes antiques, on y croise magiciens et sorcières (Circé), des dieux et déesses en goguette parmi les hommes, les super-héros de l’époque (Ulysse et sa super-intelligence, Héraklès et sa super-force), des objets magiques, des quêtes (les douze travaux, Gilgamesh et l’immortalité). La fantasy cadre avec l’Antiquité : elle y est née. En plus ça change du contexte médiéval vu et revu.
Une fantasy qui a le mérite de ne pas occuper tout l’espace et de s’insérer avec intelligence. Elle apparaît assez tard dans le roman, créant ainsi un décalage avec le début très historique. On accroche ou pas, on peut reprocher le glissement d’un genre l’autre. Pour ma part, le procédé ne m’a pas choqué, je l’ai même trouvé approprié, la magie étant par définition une rupture avec la réalité.
Pour autant, les boules de feu et pluies de pierres ne fusent pas à chaque page. Un sens de la mesure bienvenu, surtout que je reste méfiant devant les débauches d’effets spéciaux. En littérature, c’est comme au cinéma, la poudre aux yeux sert souvent à camoufler la maigreur du scénario. Pas le cas ici, la fantasy apporte une vraie touche en plus et a un intérêt autre que cosmétique. Le merveilleux s’alchimise avec l’aspect historique sans le torpiller, il parvient dans le même temps à dépasser le cadre du décorum creux.
“C’est quand même bien fait, hein”, pour citer Benoît Poelvoorde en extase devant un autre genre de baguette magique.
L’impression d’ensemble qui se dégage de Tomyris est celle d’une fantasy littéraire. Moins facile d’accès que la soupe urban fantasy vampires-lycans-lolilol, mais d’un autre côté, la lecture est une activité censée mobiliser les neurones.
Le côté historique peut rebuter, au motif que “oh la Perse, j’y connais rien, je vais rien comprendre”. Et les Terres du Milieu, c’est enseigné en histoire-géo peut-être ? Oksana et Gil rendent le contexte intelligible même sans doctorat en histoire. Si tu n’y connais rien, tu seras dépaysé comme sur Arrakis. Quant aux personnages, nombreux, avec des noms à coucher dehors (d’ailleurs, ils dorment souvent à la belle étoile, quand j’y repense), tu as vu combien il y en a dans un seul volume du Seigneur des Anneaux ou du Trône de Fer ? Si le thème de l’onomastique dans la littérature de l’imaginaire t’intéresse, sache que j’organise un colloque la semaine prochaine et que tu peux venir en t’acquittant d’un droit d’entrée de 272,87 €. On y parlera de quelques noms imprononçables mais bien connus, Drizzt Do’Urden, Fafhrd, le panthéon lovecraftien… Et les noms les plus courts ne sont pas les plus faciles à retenir, cf. La Horde du Contrevent. Après, si tu te perds dès qu’on sort des Léo, Théo, Léa, Chloé, Lilo, Lila, Lilou, et autres prénoms économiques qui tiennent sur les doigts d’une main, que te conseiller si ce n’est d’apprendre à compter avec ton autre paluche ?
Le style offre aussi une richesse de vocabulaire qui manque à pas mal d’auteurs du genre. Dans la foulée, Oksana et Gil épargnent au lecteur les clichés habituels : on ne trouvera pas dans chaque paragraphe un personnage qui lève les yeux aux ciel, se passe la main dans les cheveux, se prend la tête entre les mains, ou dont le cœur manque un battement. Ma seule réserve concernera une surcharge d’épithètes qui donnerait le tournis à Homère lui-même. Ici, c’est mon tour de ne pas vomir du lieu commun pour dire que “ça se lit bien” ou “se laisse lire”. Les deux comparses proposent une plume ciselée, taillée avec élégance. Un style littéraire et travaillé, qui porte la marque des auteurs classiques, que ce soit ceux du genre (Tolkien, comme style bien littéraire, se pose là) ou de la période (Homère, Hérodote, Xénophon ou Justin).
De la bonne fantasy avec du boulot derrière et des résultats au bout. Un esprit et un souffle qui m’ont rappelé les films 300 (2006) et Conan le Barbare (1982).