Si l’Histoire a retenu de Napoléon l’Empire, le Code Civil et un nombre improbable de batailles, force est de constater qu’elle a oublié ses aventures au Pays du Soleil Levant. Et pourtant…
Napoléon
Hasegawa Tetsuya
Kami
Ce siècle avait trois ans quand Hasegawa Tetsuya démarre une série intitulée ナポレオン -獅子の時代- (Napoleon – Shishi no Jidai). Quinze volumes paraissent entre 2003 et 2011, qui couvrent la jeunesse de Bonaparte jusqu’à son accession au pouvoir par le coup d’État du 18 brumaire.
En 2011, une seconde série voit le jour intitulée ナポレオン -覇道進撃- (Napoleon – Hadō Shingeki). Toujours en cours de parution, elle compte à l’heure actuelle 10 tomes sur les périodes du Consulat et de l’Empire.
Une belle longévité pour le petit Corse quand on sait que la publication des mangas obéit à la même loi que les séries télé : l’arrêt brutal si l’audience ne suit pas.
Le lecteur plus à l’aise avec la langue de Molière qu’avec celle de Mishima devra s’attendre à une grosse déception. Parus entre 2006 et 2008, les tomes 1 et 2 de la VF abondent en coquilles, erreurs de traduction et transcriptions fantaisistes (inexcusables sur des noms de personnages historiques !) ; les quatre suivants sont déjà plus propres. L’éditeur Kami ayant mis la clé sous la porte en 2010, l’aventure napoléonienne cesse après six volumes aujourd’hui épuisés. Bonne chance pour mettre la main dessus…
Dans l’ensemble, la série est bien documentée au plan historique. Attention, Hasegawa ne se livre pas un travail de thèse universitaire. Il prend “quelques” libertés avec l’Histoire et s’autorise une giga dose de licence poétique. Romance, personnages inventés de toutes pièces, épisodes fictifs greffés à la jeunesse de Bonaparte… Tels les vainqueurs de la célèbre maxime, les mangakas écrivent l’Histoire. Comme ça les arrange, point barre.
J’ai pu lire certaines critiques comme quoi pour apprécier la série, il fallait passer outre le lyrisme, l’exagération, les enjolivements, les bidouillages sur la vérité historique, etc. Non. Juste non. Ce n’est pas le sujet ni le propos de la série. Dans le même esprit, on pourrait reprocher à Plutarque de placer des discours bidon dans la bouche des hommes illustres. On s’en fout que ce soit vrai ou faux, la figure l’emporte sur le reste. L’esprit du bonhomme, sa stature, sa dimension exceptionnelle priment sur les faits. Les “grands personnages” de l’Histoire sont taillés dans le bois dont on fait les héros de romans, faut pas l’oublier.
Hasegawa traite la vie de Bonaparte comme Homère la guerre de Troie : sur un mode épique. Autant dire que l’exactitude historique, hein… La légende napoléonienne aura rarement si bien porté son nom, quelque part entre mythe, panégyrique et hagiographie. L’épopée se déroule à travers un prisme aussi héroïque que cool.
Oui, cool comme Napo, Robespierre ou encore Saint-Just en lunettes de soleil, la grande mode dans les années 1790 (si, si). Et héroïque comme un Bonaparte qui n’a rien à envier à Ken le Survivant en terme de stature. Oubliez le nabot rachitique, le petit caporal a avalé une citerne de stéroïdes. Ancien assistant de Hara Tetsuo, le papa de Ken, Hasegawa a hérité de son maître un penchant pour la distribution de biceps et de mâchoires carrées.
La vision de l’artiste, volontairement partisane, octroie à Bonaparte l’envergure d’un demi-dieu. Héraklès en Ray-Ban à l’école du Bushidō. Une grande figure de l’Histoire, au propre comme au figuré.
Napoléon participe de la légende napoléonienne et doit être abordé sous l’angle d’une version bis de la réalité, comme les mémoires de Coignet. À lire pour découvrir l’image que les Japonais se font de l’Histoire de France pendant les périodes révolutionnaire et impériale.