Enfile tes patins à roulettes, tu pars pour un roller derby post apo ! N’ayant jamais été jamais été foutu de tenir sur ces engins de mort, je te suivrai en courant trottinant marchant chaise à porteurs.
Mortal Derby X
Michael Roch
Walrus
Des fois que tu aurais pris des vacances chez les Lotophages ou sur les berges du Léthé, je te rappelle qu’il a déjà été question de Michael Roch en ces lieux. Kilke, le big boss de La Brigade du Livre, c’est lui.
Le vidéaste, c’est fait, on va s’intéresser à l’écrivain.
Mortal Derby X est le premier bouquin de lui que j’ai lu… et sans doute pas le dernier. Il est sorti chez Walrus, maison d’édition spécialisée dans le numérique.
Walrus fait du numérique, donc… et un peu de papier. Ce qui tombe plutôt bien vu que le numérique et moi, on est moyen copains. Pas par snobisme, par goût surtout. Le contact du bouquin, l’odeur de l’encre, le bruit des pages que tu tournes… un rapport très sensoriel, limite charnel (enfin, dans les limites de la décence, va pas t’imaginer des choses).
Il y a sans doute aussi quelque chose de générationnel : j’ai été élevé au papier. J’ai connu le monde d’avant l’Internet, les temps anciens d’avant l’hyperconnectivité via eTrucs, iBidules et MachinPhones. Non, pas la Préhistoire quand même, on avait l’Amstrad, le Minitel et l’ardoise magique en guise de tablette. Bref, la génération qui a accompagné la révolution numérique. Et qui passe son temps à jongler entre nouvelles technologies et réflexes old school…
Côté livre numérique, la révolution, on l’attend toujours. Le format ne propose pas grand-chose de neuf. Pire, il reproduit les erreurs du circuit papier. Surtout en France, pour ça on est champion. Faut révolutionner, tout changer… mais sans trop bouleverser l’existant.
Le numérique coûte beaucoup moins cher à produire… mais faudrait pas plomber les acteurs du papier. Donc beaucoup ne jouent pas le jeu et on se retrouve avec du poche moins cher que la version dématérialisée. Le choix est vite fait.
Là-dessus, plutôt que s’entendre sur un standard, chacun y va de son format propriétaire, avec les problèmes de compatibilité que l’on imagine sur tel ou tel matériel. Le tout bardé de DRM, qui font que toi, tu n’es propriétaire de rien, même pas du bouquin que tu as acheté. Tu ne peux pas le copier, l’imprimer, l’annoter ou le prêter comme tu veux. Parfois, le verrou est tel que tu ne peux pas le lire du tout.
Le numérique s’est enfermé dans “des solutions toujours moins pratiques, plus compliquées et plus fermées”, dixit Walrus. Seul avantage indéniable au final, l’encombrement dérisoire. Ma bibliothèque papier tiendrait sur une clé USB au lieu d’occuper 3 m3 et peser 2 tonnes – un régal lors des déménagements…
Enfin, grosse erreur, s’être contenté de reproduire le papier au lieu de proposer un produit qui tienne compte des spécificités et des possibilités de l’informatique. Constat que dressait Walrus, encore, dans un article du mois dernier (qui n’est plus disponible depuis que la boîte a fermé). En caricaturant, tu as juste un pdf hors de prix et limité qui n’exploite pas le millième de son potentiel multimédia. Nan, on va pas se casser la tête, monomédia, ça ira. Trop de boulot de jouer sur l’animation, l’image, le son, la vidéo, ou je ne sais quoi, on va se contenter du texte brut.
Après, tout n’est pas à jeter, pour deux raisons. D’une, tu peux trouver du numérique pas cher, sans DRM, capable de tenter des innovations. C’est le cas chez Walrus. Vu que les gros freinent des quatre fers, comme d’hab’, faudra aller farfouiller chez les petits éditeurs (liste non exhaustive dans la vidéo de La Brigade du Livre consacrée à la lecture numérique – et parce que je suis gentil, j’ai calé le chrono pile au bon endroit). De deux, le terrain à défricher reste immense et les éditeurs qui auront le courage de s’y attaquer pour de bon ont pas mal de cartes à jouer.
Pas conquis par le numérique en l’état, mais je ne demande que ça. Soyez créatifs, les gars.
J’ai lutté pour me procurer la version papier de Mortal Derby X. Bon, comparé à un réfugié Syrien qui doit slalomer entre les obus de mortier, traverser la Méditerranée sur ce qu’on appellera faute de mieux un “bateau”, esquiver les tirs “non mortels” hongrois, et la liste des chausse-trappes est encore longue, “lutter” est peut-être excessif…
M’enfin, bonjour l’odyssée… Sur le site de l’éditeur, pas de page pour lui commander le bouquin… Mon libraire : “ça va être compliqué”. Pas une référence, lui, même du Hachette, il a du mal et patine dans le yaourt… La Fnac, pas proposé… Amazon, soi-disant en stock, 10 jours plus tard, ta commande n’a pas bougé du “nous ne sommes pas en mesure de vous dire quand l’article sera expédié”. En clair, on l’a pas même si on affirme le contraire, on va le commander en loucedé chez l’éditeur et on chie dans la colle bien comme il faut.
J’ai dû m’adresser à je ne sais plus quel distributeur basé à New York, qui a relayé à son antenne en France, qui a transmis à l’éditeur, qui a imprimé le bouquin puis l’a envoyé à l’antenne, qui me l’a expédié. Moralité, la ligne la plus courte entre A et B passe par cent vingt-huit lettres.
Le système de distribution n’est pas au point et gagnerait à s’améliorer (sans blague ?). Moins d’intermédiaires, moins de délai, plus de clarté sur les stocks réels, dire d’emblée au client que l’impression à la demande prend plus de temps plutôt que lui faire miroiter du 48 heures impossible à tenir (n’est-ce pas Amazon ?).
Je l’ai eu, mais fallait vraiment en avoir envie !
Alors, il dit quoi ce Mortal Derby X ?
Premier bon point, pour des gars pas habitués au papier, Walrus a fait du beau boulot. L’objet livre est chouette, classe même – un comble pour du pulp. Design de couv’ simple et percutant, mise en page propre, aérée juste ce qu’il faut. L’édition papier est un peu chère – 12€ – mais rien de scandaleux pour de l’impression à la demande qui ne coûte pas le même prix que le tirage en gros. Ça les vaut. Si tu fais partie des 5-9 millions de Français qui vivent sous le seuil de pauvreté (chiffres variables selon la police ou les organisateurs), tu peux toujours te rabattre sur la version-numérique-universelle-sans-DRM à moins de 3€ achetable via le site de l’éditeur.
MDX appartient à la collection pulp de Walrus. Pulp ? Vu que le principal intéressé m’a mâché le travail, hop, je glande un petit quart d’heure.
Le texte est court, 80 pages, mais dense, on en a pour son argent. Je laisse le soin aux maniaques du classement de le ranger où il faut entre court roman, nouvelle et, si on aime les appellations fantaisistes, “novella”.
Là, tu vas me demander ce que l’auteur a le temps d’installer en si peu de pages. A la fois peu et beaucoup.
Le Grand Effondrement a bousillé la société telle que nous la connaissons. Seul le Cocon a subsisté, une tour de civilisation au milieu du chaos. Il abrite une société policée jusqu’à l’extrême, où certains comportements et émotions te valent un bannissement à coups de pompe dans l’oignon. A l’extérieur (sur)vivent les Reclus dans un bidonville anarchique et ultraviolent. Ces deux entités que tout oppose ont un point commun : une forme hyper bourrine de roller derby.
Voilà pour les grandes lignes du monde MDXien. Si le texte donne quelques détails supplémentaires, dans l’ensemble, il se montre assez peu disert sur cet univers post-apo. Par exemple, aucune tartine de description du Cocon, de son gouvernement, de la société qui y vit. Je trouve le parti pris intéressant, à rebours des auteurs qui, dès lors qu’ils ont imaginé un univers, se croient obligés de TOUT décrire par le menu, y compris des choses dont le lecteur n’a rien à secouer ou qu’il pourrait déduire tout seul. Les grandes lignes de MDX s’appuyant sur des canons connus du grand public, Roch a bien raison d’y aller à l’économie. Il en dit beaucoup avec très peu, ce qui lui permet d’éviter les clichés et les longueurs. Par exemple 2 le retour, les guiboles cybernétiques greffées à Molly permettent de capter que le Cocon dispose d’un très haut niveau technologique et d’une médecine de pointe sans baratiner cinq pages d’histoire des sciences. La répression des émotions, le Quad DerbyTM comme exutoire, des termes comme Réquisiteurs, tu vois tout de suite que le Cocon relève du régime puritano-totalitaro-réac’.
Y a pas besoin de plus. Parce que tout ça, on le connaît déjà. Roch en donne assez pour tracer le cadre de son monde à lui. Au lecteur ensuite de se baser là-dessus pour combler les blancs, d’aller chercher dans ses références (Rollerball bien sûr, 1984, Brazil, Mad Max, Akira, Gunnm, Running Man, Silo…). Une lecture participative. Donc stimulante. J’adore ce genre de bouquin qui ne te plante pas en spectateur amorphe, où tu dois mettre du tien.
De quoi apporter dix-sept brouettes de grain à moudre dans les débats sur la propriété d’une œuvre : appartient-elle à l’auteur qui l’a écrite ou au lecteur qui la reçoit ?…
Alors oui, Roch aurait pu écrire un “vrai” roman plein de pages, il ne manque pas de matière ni d’idées. Mais qu’est-ce qu’il aurait raconté de plus ? Le Cocon ? On s’en fout, le gros de l’action se passe à l’extérieur. La vie de Molly Pop de A à Z, son enfance, ses joies, ses peines, ses amours ? Pareil, il campe très bien le personnage à travers ses actes. L’époque couettes et soquettes, on s’en balance, elle n’apporterait rien de plus. D’autant que Molly est une sportive, quelqu’un à qui on demande d’être là à l’instant T, pas de se perdre en rêveries et séquences souvenirs. 150 pages de plus, ç’aurait été du baratin, des intrigues secondaires inutiles, des développements superflus, des personnages supplémentaires qui passent juste pour meubler. Bref, du vent.
L’histoire avance donc à un rythme rapide, qui colle très bien au roller derby – discipline peu propice à la glandouille. Toujours plus vite, plus haut, plus fort, comme disait le gars qui faisait d’une pierre deux coubertins.
Dès lors qu’on fait l’effort de s’impliquer dans une lecture constructive, ce bouquin n’a rien de frustrant. On apporte son manger et on se tape un gueuleton virtuel avec l’auteur (ce qui tombe plutôt bien, j’ai cru comprendre qu’il était friand de boustifaille).
Le style se montre à l’image du propos et de la démarche, rythmé et dynamique. Très propre aussi. Dans ces 80 pages, on trouve moins d’adverbes en -ment et de verbes introducteurs que chez certains foutriquets en une dizaine. Une lecture très fluide et agréable, voilà ce qu’on gagne à virer les scories. Michael, pour ça, je t’adresse un gros poutou baveux.
Un style inventif aussi, je pense à l’argot de Tob. Et pas avare de notes d’humour dispatchées avec mesure pour ne pas tourner au guignol. De Molly Pop “ne risque pas de partir en sucette” à l’équipe des Conan Dolls, je constate avec plaisir que monsieur aime les jeux de mot à deux ronds. Quant à la dernière phrase du bouquin, je me suis tellement bidonné que j’ai failli faire pipi sous moi.
Au final, un seul regret. Le thème esquissé de la liberté factice des Reclus aurait pu donner un axe de réflexion très intéressant. En soi, rien d’une critique, l’objectif du bouquin – pulp et fun avant tout – n’est pas là. Mais un petit regret, parce que je suis habitué à La Brigade du Livre et aux nombreuses questions et pistes cogitatoires balancées par Kilke. Je pensais donc trouver davantage de développements de fond. Mais bon, ça reste une attente très personnelle.
Depuis un moment déjà, je voulais découvrir Michael Roch écrivain. C’est fait et je n’ai pas perdu mon temps. Il apporte sa pierre à l’édifice du pulp, normal avec un nom pareil (et que tu le prononces roc ou roche, le calembour fonctionne, bravo moi). Je compte bien jeter un œil au reste de sa biblio, voir comment il se débrouille avec d’autres genres et d’autres formats. En espérant que ce soit aussi excellent, pour le comparer à un auteur majeur. Alors je pourrai dire qu’à côté de [grand nom de la littérature], Roch voisine.
Penche toi sur Moi, Peter Pan… Tu ne devrais pas être déçu. 😉
Je dois rédiger mon avis d’ailleurs.
Il me fait bien envie Peter Pan (enfin, on se comprend…). Je lirai ton avis avec attention. 😉