Les Thanatonautes
Bernard Werber
Le Livre de Poche
Les Thanatonautes, même combat que Les fourmis : ça se laisse à peu près lire quand t’es ado, beaucoup moins une fois adulte.
En 1990 sort le film L’expérience interdite de Joel Schumacher dans lequel des gens se disent : tiens, si on explorait la mort ?
En 1994 sort le livre Les Thanatonautes de Bernard Werber dans lequel des gens se disent : tiens, si on explorait la mort ?
Faut croire que le thème était dans l’air du temps dans la première moitié des années 90…
Les deux œuvres ont au moins le mérite de ne pas faire redite sur la base d’une idée identique. L’expérience interdite axe son propos sur le psychologique autour de la culpabilité, quand Les Thanatonautes s’oriente vers l’aventure et l’exploration sur fond de spiritualité, dans une ambiance Jules Verne new age. Le film comme le bouquin ont par contre comme point commun d’être beaucoup moins palpitants que ce qu’on pouvait en attendre, trop longs pour ce qu’ils ont à raconter et de proposer un dénouement insatisfaisant et cul-cul la praline sur les bords.
Or donc, l’exploration weberienne de l’au-delà se déroule en trois temps : celui des bricoleurs, puis des pionniers et enfin des professionnels. Soit peu ou prou le même déroulement que la conquête de l’air, en tout cas sur le papier – en pratique, ça reste quand même du bidouillage du début à la fin.
Ce découpage scolaire sur le mode canonique de la dissertation en trois parties est surtout là pour faire joli. En vérité, l’exploration suit son bonhomme de chemin avec les moyens du bord, les chapitre se suivent à un débit de mitrailleuse sans que de grandes phases n’émergent vraiment, à part peut-être une charnière entre la période des expériences secrètes et celle où la thanatonautique est portée à la connaissance du public.
500 pages, 301 chapitres, je vous laisse calculer la longueur moyenne. La narration est charcutée pire qu’un bébé jeté dans un mixer. Weber, dont l’écriture ne s’arrête pas à des concepts aussi triviaux que la construction narrative et le renouvellement, reprend la même (non-)structure que dans Les fourmis : le récit de l’histoire des thanatonautes est entrecoupé d’inserts encyclopédiques. On aura ainsi droit à l’ensemble des visions de la mort de toutes les religions et philosophies du monde depuis l’aube de l’humanité. Alors ça partait peut-être d’une bonne intention, c’est excellent pour la culture générale, mais c’est pas trop le sujet d’un roman. Surtout quand on se contente de les poser là, comme ça, pouf, sans faire le moindre semblant de début d’amorce d’embryon d’effort pour les intégrer à la narration. Pis y en a trop. Genre vraiment trop. Fallait pas tout mettre. Ou dans un volume à part. Le récit s’en trouve haché à faire pleurer de jalousie tous les steaks de la planète. Le rythme de cette exploration en pâtit. On est censé suivre une exploration pleine de mystère et d’aventure, doublée d’une course entre les différentes équipes de thanatonautes pour découvrir l’ultime secret de la mort. Là, on a une histoire en morse qui hoquète sans passionner parce qu’on n’arrête pas de décrocher, comme devant un film entrecoupé de coupures pub toutes les deux minutes.
Ado, j’avais trouvé ces apartés cosmogonico-mystico-philosophico-religieux enrichissants – ils le sont –, mais adulte, avec une connaissance exhaustive du sujet, j’en suis assez vite venu à les zapper. Et c’est là, en ne lisant qu’elle, qu’on voit tous les défauts de l’histoire proprement dite.
Le ton général ne parvient pas à se décider entre le drame et la comédie, l’épique et le burlesque, toujours le cul entre deux chaises sans jamais réussir ni à se positionner sur une tonalité précise ni à bien mélanger les genres, soit une créature de Frankenstein rapiécée de bric et de broc, monstre informe et grotesque. La plupart des personnages sont plus creux que creusés. Les clichés foisonnent. Certaines péripéties baignent dans un WTF total qui ne dépareillerait pas dans Las Vegas Parano. La réflexion sur le rapport à la mort brille par son absence la plupart du temps et le peu de fois où le sujet est abordé, on reste dans la banalité superficielle, le manichéisme naïf, le moralisme simpliste ou la candeur confondante d’un enfant de 6 ans. Un paquet d’éléments sont expédiés alors qu’ils auraient gagné à être développés tant pour étoffer l’aventure que la réflexion sur le sujet.
L’exploration du continent de l’au-delà, loin d’une épopée qui arracherait des “oh !” et des “ah !” admiratifs comme peut le faire Voyage au centre de la Terre suit le chemin d’un jeu vidéo Amstrad, parcours linéaire de niveaux successifs avec à chaque fois son boss, symbolisé ici par un mur coloré. Plus ou moins la même rengaine tout du long : youpi, on a trouvé les sources du Nil ! Ah ben non, en fait ça coule de plus loin, alors on va continuer un peu. Youpi, on a trouvé les sources du Nil, pour de vrai ce coup-ci ! Ah non, tiens… Et ainsi de suite. Avec une trame pareille et une bonne réserve d’adjectifs de couleur pour les murs, tu peux écrire sans te fatiguer un roman de 10000 pages. Bref, le procédé devient vite répétitif de voir les thanatonautes toucher au but avec chaque fois la révélation ultime torpillée un peu plus loin parce qu’il faut remettre dix balles dans le juke-box pour remplir le format du roman. Sans que le tout semble se diriger vers un point précis – à la différence de La divine comédie de Dante –, comme si chaque couche de récit était superposée aux précédentes au petit bonheur et au gré de l’inspiration du moment.
Histoire de clôturer son récit boiteux en beauté, Werber se tire une balle dans chaque pied avec une double fin, la première qui efface tout ce qui précède en mode “ta gueule, c’est magique”, redéfinissant au passage les notions de cliché, de facilité d’écriture et de grosse ficelle ; la seconde se contente d’une pirouette pour évacuer la réponse à la question de l’au-delà et laisse le lecteur insatisfait avec la pire dernière phrase de toute l’histoire de la littérature.
Déjà à sa sortie, à la première lecture, j’avais pas été super convaincu par ces Thanatonautes. J’y avais vu un énorme potentiel qui n’aboutissait qu’à un dénouement frustrant, conclusion pâlotte d’un récit chaotique. Même jeune et con, je trouvais déjà pas ça génial, c’est dire, très loin de ce qu’auraient pu en faire des maîtres de la SF et du fantastique comme […………] ou […………] (remplissez les espaces vierges avec les noms de n’importe quel auteur ou autrice des genres concernés).
Autant dire que maintenant que je suis un grand garçon, c’est une purge. Le fond, la forme, la structure, toute l’écriture est à reprendre (voire à apprendre) dans ce qui est à la fois un petit Nanard et un grand nanar. Ça aurait pu, parce qu’il y a de bonnes idées dans ce bazar, mais voilà, les idées ne font pas tout. Encore faut-il savoir s’en servir…