Les hommes-machines contre Gandahar – Jean-Pierre Andrevon

“Doués pour l’exploit, les hommes ont rapidement transformé leur très jolie planète bleue en trou du cul du diable (grâce notamment à l’invention de la guerre, de la religion et de l’argent).
Il va de soi qu’un sphincter n’est pas un endroit très agréable à habiter.”
René Laloux, préface de Gandahar

La première fois que j’ai mis les pieds au royaume de Gandahar remonte à la fin des années 80. Le voyage se fit par le biais non pas du papier mais de l’écran, à travers le long-métrage d’animation réalisé par René Laloux. Depuis sa sortie en 1987, j’ai bien dû le voir une demi-douzaine de fois avant de mettre le nez dans le bouquin et autant après.
Cette chronique vaut autant pour le roman que pour le film, le second étant une adaptation fidèle du premier.

Gandahar
Jean-Pierre Andrevon

Folio SF

Couverture Gandahar Jean-Pierre Andrevon Folio SF

Gandahar le film est à voir. Pas exempt de défauts, à commencer par son animation rigide et ses visages peu expressifs, il n’en reste pas moins très bien fichu, avec une âme bien à lui, une ambiance, une patte graphique inoubliable que l’on doit à Caza. Le scénar est à quelques détails près celui du roman, donc parler de l’un revient à parler de l’autre.

Affiche film Gandahar René Laloux Caza

Or donc, Gandahar, le roman…
Il est paru en 1969, une année phare pour toutes les personnes de goût. Le contexte de la société gandaharienne s’en ressent, très baba cool. Ce royaume a tourné le dos aux machines et à l’industrialisation pour vivre en harmonie avec son environnement. La technologie existe mais sous une forme fonctionnant en symbiose avec la nature. Un monde utopique, d’où sont bannis exploitation, destruction, prédation. Idyllique mais pas parfait, on le sent dans la description initiale de cette société ensuquée dans les plaisirs, avec pour conséquences le désintérêt envers à peu près tout et tout le monde, l’absence de curiosité, l’oubli, l’inertie pour ne pas dire l’immobilisme.
Les Gandahariens se la coulent douce sous la houlette de la reine Ambisextra, patronyme qui donne à l’imagination du grain à moudre quant aux mœurs libérées de son peuple – ce bouquin n’est pas sorti en 69 pour rien…
Pacifiques et pacifistes, les Gandahariens se retrouvent de fait très vulnérables. Le jour où l’envahisseur frappe à leur porte sous la forme d’une armée de robots humanoïdes, les voilà bien démunis pour ne pas dire grave dans la panade. Va-t-en déglinguer Terminator avec un pauvre lance-pierres… Le royaume se retrouve sens dessus-dessous, aussi la reine fait-elle appel à Lanvère pour remettre la situation à l’endroit. Le chevalier Sylvin Lanvère, genre de Perceval new age, part enquêter sur cette mystérieuse et invincible armada de ferraille.

Gandahar est un roman tout public, plein d’aventures, au rythme enlevé, parfois linéaire dans son intrigue mais toujours dynamique dans ses péripéties. On y trouve des éléments hyper classiques mais offrant des sujets de réflexion toujours d’actualité, plus que jamais même (les traditionnelles oppositions homme/robot et nature chaleureuse/froideur des machines ; l’éternelle quête du pouvoir absolu via la science, dévoyée du progrès pour être mise au service de la guerre…). S’ajoutent des trouvailles inattendues et bien vues comme l’emploi du passé-futur au lieu du présent (“j’étais-serai” pour “je suis”). Ce jeu de conjugaison renvoie à la dimension polychronologique de l’intrigue, qui contient un paradoxe temporel. Sans trop spoiler, l’intervention de Sylvin, présentée comme conséquence de l’invasion (dans le présent) en est aussi le déclencheur (dans le futur, où le présent est donc devenu le passé).
Riche, onirique, empreint d’un fort symbolisme, parfois un peu vieilli, mièvre ou kitschouille avec le demi-siècle de recul depuis la rédaction, oscillant entre simplicité des oppositions binaires et complexité des paradoxes temporels, Gandahar, c’est beaucoup de choses à se mettre sous la dent et plusieurs grilles de lecture selon l’âge auquel on met le nez dedans.
Un chef-d’œuvre ? Un classique ? Bonne question. Je dirais que, comme tout ce qui touche à l’étiquetage, on s’en fout. Gandahar est une œuvre qui en a marqué plus d’un – surtout le film, pour le coup – et qui a encore des choses à dire. Donc à lire, à voir, tant en version papier que sur pellicule (et plutôt dans l’ordre roman=>film que l’inverse).

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