Le tueur des contes de fées – Jess Kaan

Le tueur des contes de fées
Jess Kaan

Le Héron d’Argent

Couverture roman Le tueur des contes de fées Jess Kaan Le héron d'argent

Un bail que je ne lis pour ainsi dire plus de thrillers contemporains, à force de me taper le même bouquin avec le même contenu écrit de la même façon. Y a pas que dans Star Wars que l’attaque des clones me barbe au plus haut point…
Tueur en série surpuissant doté d’un QI de 3000, d’une omniscience qui lui permet de devancer la police en accédant au scénario et à des informations qu’il n’est pas censé connaître, d’un bac +100, trois doctorats, huit diplômes d’ingénieur dans des branches différentes et de moyens de milliardaire pour mettre en place des machineries diaboliques. Meurtres dont les rituels sont plus alambiqués et grandioses qu’un couronnement royal en Angleterre et dont la mise en scène tapageuse et tonitruante ferait passer Michael Bay pour un réalisateur tout en pudeur et retenue. Du sang, bien sûr, beaucoup de sang lors de ces assassinats auquel on assiste toujours du point de vue du tueur, avec tous les détails de torture et violence, pas tant pour des raisons de tension narrative que des motivations putassières pour bien flatter les bas instincts du lectorat et l’attirance glauque des auteurs pour leurs personnages de méchants – sans doute parce que d’un côté comme de l’autre du stylo, on a affaire à des gens qui se prennent pour Dieu. Pour contrer l’assassin, les preux chevaliers des temps modernes. Un duo, histoire de pas s’encombrer avec trop de personnages (trop de boulot et puis, quand l’auteur part du principe que le lecteur est un peu con, il va pas le noyer sous les protagonistes). Soit un flic, assorti d’un loustic mi-rigolo mi-imbuvable, parfait électron libre exerçant une profession random la plus en décalage possible avec son binôme. Soit deux flics : une jeune inspectrice – portant toujours ce titre, plus trop d’actualité depuis trente ans – fougueuse, à fond dans la modernité et les nouvelles technologies, qui doit faire ses preuves, et le vieux briscard à deux jours de la retraite, trop vieux pour ces conneries, revenu de tout, usé, dépressif, alcoolique, divorcé, qui s’engueule avec sa fille ado dans les chapitres de remplissage entre deux avancées de l’enquête. Autour, un décor de cahier des charges avec le ciel gris, la pluie, la nuit, et puis le chômage et le misérabilisme qui, fut un temps, permettaient de glisser des éléments de critique sociale mais ne sont plus aujourd’hui que des clichés posés là parce que c’est le genre qui veut ça. Et toujours les mêmes rebondissements, fausses pistes, intrigues secondaires, tartines familiales sur la vie foirée du vieux flic en dehors de son taf… Et pis c’est long, parce que le machin est étiré sur 400, 500, 600 pages quand un petit 300 aurait au moins le mérite de rendre la purge rapide à avaler, voire d’être presque punchy une fois débarrassée de ses scories.
Le genre est usé jusqu’à la corde à force de ressasser la même rengaine et c’est pas près de changer quand tu vois que la majeure partie de ceux qui y œuvrent, plutôt que chercher à le renouveler, se contentent de cacher la misère en surenchérissant dans le glauque, le sanguinolent et le nombre de pages. La saga Saw format papier : chaque film est un peu plus crade que le précédent, et beaucoup moins bon. Après, même si le thriller tourne en rond, il se vend en l’état, alors pourquoi s’emmerder à vouloir faire mieux ?…

Le tueur des contes de fées, c’est pas du tout ça, Kaan a choisi un angle d’approche différent. Ce qui en fait un bouquin intéressant. Déjà, rien que sur ce point, bravo et merci.
Le roman est court et montre qu’en 300 pages on peut raconter une histoire complète et percutante qui va à l’essentiel sans se perdre en route ni s’écouter parler.
Pour résumer à grands traits, on a un tueur en série qui fume des gens et met en scène les corps en se basant sur les contes de fées (d’où son surnom de “tueur des contes de fées”, personne n’en sera étonné). On n’est pas dans les godasses à l’assassin à le voir dépecer et démembrer des quidams. Au revoir les descriptions sur des pages et des pages de torture et d’hémoglobine, l’auteur ne se complaît pas là-dedans. Faudra faire sans le côté malsain à jouer les voyeurs de la souffrance gratuite et si vous trouvez qu’il manque quelque chose en lisant ce roman, consultez un psychiatre ou au moins interrogez-vous sur vos goûts de lecture… Pareil sur les découvertes de corps et mises en scène, pas de tartines pour souligner à quel point le tueur est sadique, inventif, barjot, on le comprend en quelques mots. Peut-être un peu trop rapide parfois, à ne pas davantage insister sur le rapport aux contes de fées, seul point critiquable du récit avec la dernière ligne droite qui à mon sens part en vrille à multiplier les twists, feux d’artifice, mises en scène fofolles, fantaisies pas toujours crédibles (l’hypnose, sérieux ? je croyais que ça s’utilisait plus comme astuce d’écriture depuis la fin des années 70), quand l’auteur avait jusqu’ici évité les travers que je dénonçais plus haut.

Point de vue principal, celui du père Arthur Mavounzy, prêtre français d’origine congolaise catapulté à Bruxelles, un vrai tour du monde à lui tout seul. “C’est pas toi qui gueulais sur les métiers WTF des enquêteurs autoproclamés ?” vous entends-je objecter d’ici. Nan mais là, ce choix professionnel inattendu de prime abord a du sens, pas juste un métier décalé parce que pourquoi pas. Dès les premières lignes du premier chapitre, Mavounzy est agressé par le tueur en série, donc le gars, il est directement concerné et impliqué, déjà. Pis derrière, son taf de curé, on peut pas plus ton sur ton dans cette histoire centrée sur la foi, la religion et le fanatisme.
Des extrémistes catholiques, cette idée-là aussi, elle change des tueurs en série qui ont un compte à régler avec les femmes et/ou leur père, ainsi que des fous de Dieu musulmans qui sont devenus des méchants de facilité, ceux que tu cases quand t’es à sec d’idées et que tu sais pas trop qui mettre dans ton bouquin… ou que tu veux ratisser large pour vendre un max d’exemplaires, parce que la barbe et le commerce vont toujours bien ensemble, c’est pas le père Noël qui dira le contraire. Ici, retour aux sources, parce que bon, on dit les intégristes musulmans, mais les chrétiens sont pas les derniers quand il s’agit de dégommer son prochain. Ils ont quand même inventé l’Inquisition, lancé neuf croisades en deux siècles (1095-1291) et ravagé toute l’Europe aux XVIe-XVIIe siècles pendant les Guerres de Religion. Des gens charmants…

Si l’ambiance religieuse ne vous rebute pas et si vous cherchez un thriller avec du tueur en série dedans qui ne soit pas une énième photocopie ratée du Silence des agneaux ou de Se7en, Le tueur des contes des fées mérite le détour pour proposer une approche différente, moins frontale, bourrine et racoleuse que les trois quarts du genre.

À noter que je fais une brève apparition dans le bouquin – eh oui, les amis, c’est ça, la gloire : blogueur le jour, personnage de roman la nuit ! – mais même sans moi, le bouquin serait bien quand même.
Merci à mister Kaan pour le clin d’œil !

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