Le donjon de Naheulbeuk
John Lang
J’ai lu
Parodie de jeu de rôle très orientée vers les adeptes de Warhammer et AD&D, Le donjon de Naheulbeuk a connu un joli succès en tant que saga MP3 pour ses deux premières saisons.
Le passage de l’audio à l’écrit… Ben, ça s’improvise pas et c’est pourtant l’impression générale qui en ressort. Média différent, avec ses propres codes narratifs, le roman ne peut se limiter à mettre noir sur blanc les dialogues d’aventuriers biclassés bras cassés et ensuite ajouter des descriptions entre deux. Or, c’est plus ou moins ce que propose la série de romans.
T.1 À l’aventure, compagnons !
Quatrième tome à être sorti mais, dans la chronologie de l’histoire, il vient au tout début puisqu’il s’agit de l’adaptation les deux premières saisons audio. Retour aux origines et à la rencontre entre les bras cassés bien connus (si vous n’en avez jamais entendu parler, cherchez sur le Net, faites le tour de la table à cloche-pied avec un doigt dans l’oreille ou répondez à cette question : où étiez-vous ces vingt dernières années ?).
J’en attendais beaucoup.
J’ai été déçu dans les mêmes proportions.
J’avais adoré la version audio et là, je ne sais pas, je suis resté de marbre. J’ai eu l’impression que le bouquin avait été sorti à la va-vite à cause de certaines maladresses, par exemple des répétitions qui n’auraient jamais dû passer la correction. Dans la structure même du récit, pas mal de chapitres centrés sur les pensées de tel ou tel personnage sonnent creux ou hors-sujet. Peut-être qu’au bout du quatrième opus à fonctionner sur les mêmes mécanismes, l’absence de renouvellement narratif commence à se faire sentir. On savait déjà par Yoda que la peur mène au côté obscur après divers détours par la colère, la haine, la souffrance et la coulrophobie, on en dira autant des schémas répétitifs qui conduisent à l’essoufflement. Sans compter que je connaissais par cœur le contenu du bouquin avant de le commencer – combien de fois ai-je pu écouter Naheulbeuk ?…
Le résultat est creux, poussif et pas très drôle. Ceux qui se lancent là-dedans pour découvrir Naheulbeuk risquent de ne pas aller plus loin. Surtout qu’à moins d’être rôlistes, ils ne vont rien biter à l’univers très empreint de Warhammer et Donjons & Dragons, aucun des mécanismes le régissant n’étant expliqué. Le fonctionnement du monde de Naheulbeuk à la manière d’un JdR – les aventuriers, les donjons, l’expérience, la bureaucratie qui gère tout ça – est décrit dans les tomes suivants. Ils ont été écrits avant celui-ci, donc sur le papier, ne pas avoir repris ces éléments soit par flemme, soit pour éviter les redites, fait sens. Sauf que voilà, ce tome-ci vient avant dans la chronologie de l’histoire, c’est par lui qu’on commence et il faut donner les clés à ceux qui ne connaissent rien en jeu de rôle. Sans “livre de règles” et avec en prime une histoire où le rythme est loin d’être haletant et les gags pas des plus hilarants, les néophytes resteront à la porte et passeront à côté du reste qui est de bien meilleure tenue. Avant de poursuivre l’aventure en sortant de nouvelles saisons, il aurait fallu commencer par adapter les anciennes, correctement tant qu’à faire, pour poser des bases solides sur lesquelles bâtir la suite. Là, c’est juste ni fait ni à faire.
T.2 La Couette de l’Oubli
Second tome dans la chronologie, La Couette de l’Oubli est le premier à être sorti sur papier. Et ça se sent par rapport à celui qui lui a ravi cette place de tête, le très moyen À l’aventure, compagnons, lequel semble partir à tort du principe que l’univers de Naheulbeuk est connu et assimilé en oubliant qu’un tome d’ouverture, même écrit après coup, doit exposer et installer un certain nombre d’éléments.
La Couette de l’Oubli le fait et plutôt bien. À travers la bureaucratie de la Caisse des donjons, le fonctionnement de l’univers rôlistique de Naheulbeuk est décrit, avec ses règles sur les aventuriers, les antres de sorciers à explorer, les niveaux d’expérience… Ces bases sont amenées aux bons moments et assez bien intégrées dans le récit pour ne pas avoir l’air de worldbuiding gratuit, posé là parce qu’il le faut bien.
L’humour d’ensemble fonctionne bien, même si certaines vannes potaches me font moins marrer maintenant (la maturité, faut croire, “c’est l’âge aussi qui vient peut-être, le traître”, comme disait Céline). Les passages autour des informateurs, qui vendent cinquante fois la même info exclusive, et des cultistes, qui passent plus de temps à s’écharper qu’à atteindre leurs objectifs, sont les plus réussis (et pas si éloignés de la réalité que ça…).
La parodie de jeu de rôle est excellente et donne un univers aussi original que marrant, assez dans l’esprit d’un Disque-Monde, toutes proportions gardées. L’humour de Pratchett est beaucoup plus fin et surtout, il sert un propos critique. Dans Naheulbeuk, on est là pour rigoler, point. Réfléchir n’est pas du tout le but de l’opération. Contrat rempli pour le divertissement, dommage quand même que ça n’aille pas plus loin qu’une blague gentillette.
T.3 L’Orbe de Xaraz
On aurait pu croire à leurs titres respectifs que La Couette de l’Oubli serait soporifique et L’Orbe de Xaraz tonitruant. Perdu. C’est l’inverse.
On démarre avec une interminable série de poursuites qui s’étale sur cent quarante pages ! Ça dure, et ça dure, et ça dure… Et c’est long, et c’est ennuyeux… Les aventuriers n’arrêtent pas de courir et en même temps l’histoire n’avance pas, parce que ce pensum dont on ne voit pas le bout ne raconte rien. Même pas très drôle en plus. Le groupe d’aventuriers passe son temps à se chamailler, vanner, insulter. Bon, OK, c’est leur mode de fonctionnement. Mais c’est comme ça à chaque dialogue, et des dialogues, il y en a beaucoup. Donc au bout d’un moment, les échanges deviennent répétitifs, parce qu’ils disent toujours la même chose, les personnages ayant des répliques très limitées (par exemple, pour le nain tout est “pourri” – le terme revient des dizaines de fois – et pour le barbare, sorti de “baston”, “j’ai faim/soif”, “c’est chiant”, on a fait le tour du sujet).
Enfin, le groupe arrive à la grande cité de Waldorg, passage qui occupe cinquante pages, pour n’avoir in fine pas grand-chose à raconter au-delà de la description de ville… qui n’a par ailleurs rien de particulier et ressemble à n’importe quelle capitale med-fan. Ben ça valait le coup…
Faut donc arriver à la moitié du bouquin pour qu’il soit enfin question de l’orbe de Xaraz… avant d’enchaîner sur un complot fumeux et un voyage (encore un déplacement, pour une fois pas une fuite mais quand même), ce dernier étant l’occasion de… ben, rien du tout. L’univers n’est pas davantage étoffé hors Waldorg, les personnages ne sont pas plus creusés, les interactions sont les mêmes, les actions aussi (le barbare court, le nain râle, la magicienne lit…).
Bilan à ce stade : deux cent cinquante pages barbantes quand tout aurait pu tenir en une cinquantaine de pages péchues. Encore un drame de la logorrhée…
Quand enfin on arrive à la seule idée intéressante du bouquin, à savoir un donjon en cours d’aménagement, c’est pour constater qu’elle est mal exploitée. Segment trop long aussi. C’était casse-gueule de vouloir caser une aventure dans un environnement quasi-vide. Faisable mais pas évident de bâtir quelque chose à partir de rien. Avec un matériau à trous, fallait faire court. Ici la sauce est rallongée en tirant à la ligne, donc on s’ennuie – ce qui au moins le mérite de la cohérence avec tout ce qui précède depuis qu’on a ouvert le bouquin.
L’arrière-plan sportif censé servir de contexte à l’intrigue autour d’un match de brute-balle (sport de bourrin à la Bloodbowl) est sous-exploité aussi, comme un genre d’Allez les mages ! (Terry Pratchett) du pauvre.
Avec son invocation du gros monstre et l’affrontement épique à la clé, à défaut d’inventivité, le dernier segment rattrape un peu le niveau par son action. C’est bien le seul point qui empêche L’Orbe de Xaraz d’être un échec critique. Mais on est loin du compte au terme de cette lecture plus poussive qu’autre chose…
T.4 Le Conseil de Suak
Les barbares attaquent la Caisse des donjons, les elfes noirs se fritent avec leurs cousins sylvains, les nains savatent les hobbits… Bref, tout le monde commence à se foutre sur la tronche sans qu’on comprenne bien pourquoi et la Terre de Fangh menace de s’embraser. Pour éviter un conflit généralisé, une réunion au sommet est prévu dans une vieille ruine, la tour de Suak, qui donne son nom à ce conseil de la dernière chance.
Pendant ce temps, l’équipe d’aventuriers biclassés bras cassés accompagne l’Elfe vers sa forêt natale afin qu’elle puisse monter sur le trône, puisqu’elle est devenue reine.
Un gros tiers du bouquin juste pour annoncer un conseil et narrer un voyage sans histoires. C’est trop long. Beaucoup trop long. Parce qu’il ne se passe pas grand-chose dans cette mise en bouche interminable qui aurait pu tenir en cinquante pages au lieu du triple.
Les enjeux maousses autour d’une guerre totale ne parviennent pas à créer de tension, celle-ci désamorcée par l’ambiance parodique. Quant à l’aspect comique, faute de situations ou de répliques marrantes, faudra faire sans et se contenter de babioles déjà pas super drôles en soi et plus du tout après les avoir exploités jusqu’à la corde depuis trois tomes et quatre saisons (les pieds qui puent du barbare, les gros seins de l’Elfe, les râleries du nain…). Autre défaut récurrent, on retrouve les bulletins cérébraux où tel personnage raconte un de ses rêves sous acide, passages qui n’apportent rien au récit et ne servent qu’à claquer des références gratuites de pop culture juste histoire de les mettre.
Un démarrage ni bon ni mauvais, juste plat à crever, qu’on lit comme on regarde certains films : d’un œil morne avec l’esprit ailleurs en attendant que ça démarre pour de bon.
La suite est plus animée, avec de bonnes idées, la volonté de raconter autre chose et autrement, et c’est bien vu d’avoir voulu renouveler l’ambiance en injectant une dose de sérieux et de dramatisation, mais… L’éternel “mais” qui fâche. Tout est trop étiré, chaque passage (conseil, bagarre, fuite, emprisonnement, évasion, etc.) aurait pu tenir en moitié moins de pages et en raconter autant une fois débarrassé des scories inutiles (redites de tomes précédents, digressions qui n’apportent rien, vannes déjà lues mille fois, énumérations interminables…). Les situations sont censées être tendues, le tirage à la ligne les rend juste longues. On ne s’ennuie pas, mais on ne palpite pas non plus.
Arrivé à la fin du bouquin, il faudra lire Chaos sous la montagne pour avoir le dénouement de cette histoire. Il est là, le cœur du problème : une histoire étalée sur un diptyque en délayant à mort pour remplir deux volumes alors qu’un seul tome aurait pu tout raconter en plus condensé et punchy. On dirait le drame récurrent des adaptations de séries TV au cinéma : un scénar valable pour un épisode de 40 minutes, étiré pour atteindre une durée d’1h40 en le meublant avec les moyens du bord ou en faisant durer chaque scène juste pour gagner du temps, ne fait pas un bon film.
T.5 Chaos sous la montage
C’est la guerre contre le grand méchant Gzor, qui ne restera qu’un nom de super-vilain très lointain, parce que pas plus exploité que ça. On retrouve le défaut habituel de la série, à savoir développer des éléments dont on n’a pas grand-chose à faire, en laisser de côté d’autres qui auraient permis de densifier le récit. Des longueurs, encore, avec une interminable mise en place : faut dans les cent cinquante pages pour mettre en place la mission des aventuriers après une interminable bataille d’ouverture qui n’en méritait pas tant, plus de deux cents avant qu’ils n’arrivent en vue de la fameuse montagne du titre. À l’inverse, le dénouement sera expédié et la série se clôture sur un final à petit budget narratif, trop rapide par rapport aux longueurs qu’il a fallu s’enfiler au cours de ces cinq tomes.
Mieux vaut tard que jamais, même si beaucoup trop tardif, le groupe et les personnages évoluent. Un peu. Pas tous. Le rôdeur, surtout, qui perd une part de sa couardise et se décide enfin à se mêler à l’action pendant les combats. Avec la magicienne, ils auront même quelques discussions à peu près constructives sur la gestion du groupe. La prêtresse, beaucoup moins débile que les autres, apporte un semblant de tenue dans certaines interactions. La bande de bras cassés parviendra même à mener un combat dans les règles de la stratégie. Mais voilà, ça n’arrive qu’au dernier tome, ce qui fait que ce semblant de début d’embryon de vraie dynamique de groupe et d’évolution des personnages et de leurs relations n’ira pas plus loin, et on le sait, donc on est plus frustré qu’autre chose. C’est quelque chose qu’il aurait fallu mettre en place soit dans La Couette de l’Oubli si on suit la chronologie de la saga, soit dans L’Orbe de Xaraz si on suit l’ordre de rédaction, pour pouvoir nourrir cette évolution dans les volumes ultérieurs. Mauvais choix que d’avoir amorcé sur un tome de fin une évolution qui marque plutôt le début d’autre chose… Donc c’est bien vu sur le principe, mais l’idée reste un coup d’épée dans l’eau pour cause de mauvais timing.
Verdict
La série avait tout pour me plaire avec son ton parodique, son équipe de bras cassés, son univers roliste… Au final, ça se laisse lire, mais c’est loin d’être fou. C’est même souvent longuet. La faute à la logorrhée de l’auteur : scènes répétitives (des donjons, des fuites, des fuites dans des donjons) et étirées au possible, redites d’un tome à l’autre voire au sein d’un même tome, divers délires dont on aurait pu faire l’économie. La parodie juste pour la déconne atteint vite ses limites. Sur un one-shot, ce serait marrant. Sur une série, on tourne vite en rond à ressasser le même schéma et les mêmes vannes faute d’avoir autre chose à dire. Si le Disque-Monde a marché sur la durée, c’est parce que Pratchett a compris, lui, que l’humour n’était qu’un emballage, pas une fin en soi, et qu’il fallait raconter quelque chose. Ici, la blague dure sur plus de 2000 pages ; sans surprise, elle cesse très vite d’amuser.
Plus gros défaut, les personnages : ils n’évoluent pas, leurs relations non plus. Même point à la fin qu’au début, raison pour laquelle on s’ennuie souvent tout du long. Que le groupe soit hétérogène et pas du tout soudé au démarrage, no problem. Mais à la fin ?… Les personnages gagnent de l’expérience sans être plus expérimentés, ils prennent des niveaux mais n’apprennent rien. Le barbare est un bourrin taciturne et bête au début, il le restera, monolithique et figé dans l’ambre de son archétype. Après cinq tomes en compagnie du groupe, le nain sera toujours aussi égoïste et individualiste, sans que le contact prolongé avec le reste de la bande ait amené le moindre changement dans son caractère ou son comportement. Et cetera, et cetera. Dans ce type de récit, l’évolution des personnages est pourtant centrale, tant sur le contenu du texte que sur les mécanismes d’écriture. Y en a pas. D’où un grand vide. Pour une série qui s’inspire du monde du jeu de rôle où la progression fait partie des piliers du hobby, c’est dommage. Au-delà de l’XP, des niveaux, du stuff et des pouvoirs gagnés avec le temps, le JdR, c’est aussi l’orientation que le joueur va donner à son perso au gré des aventures. Quand on crée son avatar, on a toujours plein d’idées, d’ambitions, d’objectifs, et puis d’un scénar à l’autre, tout ça change, s’affine, prend parfois une direction qui n’était pas forcément prévue au programme ou au contraire garde la trajectoire initiale avec tout de même un changement de taille, à savoir qu’elle n’est plus abstraite mais affirmée à travers ce que le personnage a vécu. Dans Le donjon de Naheulbeuk, non. Arrivés à la dernière page, les personnages sont toujours au même point qu’à la première, leur groupe aussi.
La dynamique de groupe se borne à un festival de vannes dont on fait vite le tour et qui gave assez vite, parce que toujours les mêmes sur cinq tomes. L’essentiel des rapports entre les protagonistes repose sur le fait qu’aucun d’eux n’en a rien à foutre des autres ni n’écoute ce qu’ils disent. Autant dire qu’avec une dynamique pareille, il est impossible de développer quoi que ce soit, ou alors sur un seul tome, pas cinq. Le nain et le barbare auraient pu avoir des affinités puisqu’ils sont guerriers tous les deux, sauf que le premier n’est centré que sur lui-même et le second trop con pour s’intéresser à quoi que ce soit voire tout simplement dialoguer. L’elfe, la magicienne et la prêtresse auraient pu faire front commun en tant que femmes entourées de mâles qui passent leur temps à les reluquer. Le rôdeur et la magicienne sont les moins débiles de la bande et essaient d’apporter un semblant d’organisation dans le groupe et les aventures (attribution des rôles, stratégie, cartographie des donjons), sans que ce point commun ne les rapproche en rien, hormis quelques vagues velléités constructives dans le dernier tome. En fait, chaque personnage vit dans son petit univers individuel comme si les autres n’existaient pas. Ces mini-mondes restent cloisonnés, tels des ensembles mathématiques juxtaposés sans la moindre intersection qui les relieraient. Juste des œufs posés côte à côte dans une boîte. À partir de là, il ne peut y avoir de vraies interactions – autres que des volées stériles de vannes. Sans interactions, impossible de bâtir une quelconque synergie de groupe. Sans synergie, pas moyen d’amener le groupe à évoluer. A contrario, on citera l’excellent exemple de Kaamelott, qui a su apporter au gré des saisons des changements tant dans ses personnages que dans leur relationnel.
Donc Naheulbeuk, c’est sympa mais on se demande si plus de 2000 pages étaient nécessaires pour se retrouver à la fin au même point qu’au début sans rien de nouveau entre les deux. Tout ça pour ça…