Attention, on ressort les vieux tromblons, moitié parce qu’on s’embarque vers les années 20 pour le contexte et moitié parce qu’on va parler de bouquins antiques des années 80-90.
En route pour les incunables de L’Appel de Cthulhu, jeu de rôle inspiré de l’œuvre de Lovecraft…
L’Appel de Cthulhu
Sandy Petersen
Chaosium / Descartes éditeur
J’avais déjà évoqué le JdR dans un autre article dédié à des livres en marge du mythe de Cthulhu. Système de jeu simple et efficace, ambiance mêlant horreur, fantastique et SF, période plus originale que l’éternel med-fan, tout un corpus littéraire à lire à côté, le jeu avait tout pour séduire et c’est ce qu’il a fait.
J’ai pratiqué un peu la 4e et surtout, à partir de 1993, la 5e édition. Dans une version pas très canon en vérité. Mon groupe de joueurs n’avait rien lu de Lovecraft et s’en battait plus ou moins les flancs, autant dire que pour les intéresser à un jeu qui ne repose que sur cette œuvre et pas autre chose, il fallait leur proposer… ben, autre chose quand même, justement. Et le jeu se prête très bien à l’horreur tout court, sans nécessité qu’elle soit lovecraftienne. On jouait plutôt années 30 qu’Années Folles, dans une ambiance plus portée sur l’aventure à la Indiana Jones que l’horreur indicible. Entre deux lovecrafteries classiques, c’était festival gothique (Dracula, Frankenstein, maison hantée), monstres classiques de l’âge d’or la Hammer (loup-garou, créature du marais, momie, vampire), chasse aux trésors mythiques à la Indy, rencontre avec les ancêtres de tout un tas de bogeymen appelés à devenir des célébrités plus tard quand le cinéma serait parlant et en couleur (Freddy Krueger dans les Contrées du Rêve, un tueur masqué avec un couteau pendant Halloween, un cannibale avec une tronçonneuse…), siège contre une horde de zombies dans une ferme fortifiée avec les moyens du bord (La nuit des morts-vivants), chasse aux fantômes à la Ghostbusters ou à la Scooby-Doo, créatures hybrides créées par des savants fous nazis… À l’époque, mes parents avaient Canal+ qui proposait un paquet de films d’horreur et, dans le Cinéma de Quartier de Jean-Pierre Dionnet, du fantastique à foison, chefs-d’œuvre oubliés, séries B et gros nanars en mousse, soit une mine d’idées inépuisable.
C’était pas très Lovecraft, mais qu’est-ce qu’on a pu se marrer !
(Ce jeu de rôle a été récompensé par un K d’Or.)
Le manuel de l’investigateur
Keith Herber
Chaosium / Descartes éditeur
J’avais acheté Le manuel de l’investigateur, parce que je n’étais pas fan de la couverture de la 5e édition du jeu de base, préférant de très loin celle de la 4e, reprise sur ce supplément. Coup de bol, le contenu est intéressant, limite indispensable. L’ensemble est découpé en deux grandes parties compilant le diptyque d’Investigator’s Companions de l’édition américaine.
Grand un, du contexte. Faut reconnaître que l’entre-deux-guerres, tout le monde ne connaît pas sur le bout des doigts. Et rappelons qu’à l’époque, on n’avait pas Internet pour pêcher des infos. On a donc ici tout un tas de petits paragraphes sur une tonne de sujets (limités aux Années Folles et aux USA, rien sur l’Europe ni les années 30). Survol très rapide, qu’on complètera de nos jours avec du Wikipedia, mais qui permettait en ces temps jadis de la fin du siècle dernier de mieux capter l’ambiance générale. Viennent s’ajouter des chapitres d’ordre pratique sur la documentation et les transports. Comme les personnages passent beaucoup de temps en recherches à la bibliothèque et à courir les routes, la vie quotidienne de l’investigateur moyen y gagne en consistance. Cette partie se clôt sur l’éternel arsenal, avec des armes encore et encore. La présence de certaines laisse perplexe (l’efficacité du nunchaku contre un Grand Ancien, voilà quoi…).
Dans le grand deux, on s’attache aux investigateurs, leur vie, leur œuvre, avec pas loin de 150 professions. De quoi permettre à chaque joueur et joueuse de trouver chaussure à son pied et changer des sempiternels médecins, détectives privés, professeurs d’université, journalistes…
Gros avantage de ce supplément : comme il contient peu de règles mais surtout des éléments contextuels, il fonctionne avec n’importe quelle édition.
La Malédiction des Chthoniens
Bill Barton, William Hamblin & David Hargrave
Chaosium / Jeux Descartes
Une antiquité qui remonte à 1984 (l’année, pas le bouquin d’Orwell). Il m’est tombé entre les pognes quelques années plus tard, il me semble que je l’avais eu gratos lors d’une commande chez Jeux Descartes qui offrait des vieux machins à partir d’un certain montant d’achat.
Les scénarios proposés sont vraiment d’une autre époque, très dirigistes, et comme tels pourraient être proposés à des joueurs débutants pas très à l’aise avec toutes les libertés de choix qu’offre le jeu de rôle. Sauf que la difficulté est plutôt balèze, avec une hécatombe à prévoir parmi les personnages, donc plutôt destinés à des joueurs rodés, habitués à perdre leur perso et à retirer un nouveau. On ne sait donc pas trop sur quel pied danser… Vu qu’on part sur des trames assez conventionnelles, mieux vaut baisser le niveau de difficulté et s’adresser à deux joueurs pas trop chevronnés qui n’ont pas encore tout vu, tout fait.
On démarre avec La Foire des Ténèbres, qui peut être converti sans peine à de l’horreur classique (suffit de virer les Chthoniens) : une fête foraine est le théâtre de mystérieuses disparitions et les joueurs vont bien sûr enquêter sur la question. Scénar classique dans un endroit qui l’est beaucoup moins. Les lieux et la galerie de personnages sont bien décrits – si on veut encore les étoffer, je conseille Joyland de Stephen King – et peuvent resservir pour d’autres jeux.
La Malédiction de Chaugnar Faugn met aux prises les joueurs avec le susnommé, un dieu éléphant sorti de la nouvelle L’horreur venue des collines de Frank Belknap Long, ce scénar en étant plus ou moins l’adaptation.
La Dague de Toth emmène les personnages en Égypte, destination classique dans ce jeu, par le biais d’une antiquité – ressort tout aussi classique – qui les conduira, je vous le donne en mille, au fin fond d’un vieux temple perdu dans le désert. Classique de bout en bout. Si les joueurs n’en sont pas déjà leur énième visite de la patrie des pharaons, ce sera l’occasion de la leur faire découvrir.
La Cité Sans Nom fait suite à La Dague de Toth et prolonge les festivités dans un jeu de piste à travers le Moyen-Orient pour finir dans les ruines d’une vieille cité paumée au fin fond du désert (ouais, c’est un peu beaucoup la même trame que le précédent).
Bon, c’est pas le supplément du siècle pour ce jeu, en tout cas en l’état. La Foire des Ténèbres est une enquête classique qui finira en tir aux pigeons et c’est surtout à travers ce que le maître de jeu improvisera à partir du contexte de fête foraine que le scénar offrira des moments qui sortent des sentiers battus. La Malédiction de Chaugnar Faugn est intéressant, même si très, très linéaire et costaud. Le diptyque final demandera pas mal de taf pour éviter les redites entre ses deux épisodes mais peut fournir une mini-campagne fun et exotique.
L’évasion d’Innsmouth
Keith Herber
Chaosium / Descartes éditeur
Le titre est un peu mensonger : Innsmouth, on ne s’en évade pas, on y crève.
En son temps (1994), ce supplément a été à la fois un des meilleurs et un des moins jouables, en tout cas un des plus difficiles à utiliser.
Un des meilleurs, parce que la ville d’Innsmouth est décrite par le menu, presque maison par maison. Soixante pages de descriptions, détails, bâtiments, habitants, historique, mystères… Il y a TOUT et c’est excellent. Mais difficile à jouer, on va y revenir. En tout cas, si vous voulez bâtir votre propre petite ville au passé louche et aux monstres tapis dans l’ombre, vous avez là le parfait canevas, réutilisable pour d’autres patelins de L’Appel de Cthulhu, ou n’importe quel jeu de rôle, ou l’écriture d’un roman (du genre Salem ou Bazaar de Stephen King).
Par contre, dur à jouer en l’état. Innsmouth est tout entière corrompue. Autant dire qu’y mettre un pied équivaut à une condamnation à mort à brève échéance. On parle pas d’un bled avec plein de trucs louches sur lesquels enquêter (style la série Haven) mais bien d’une ville où tout le monde est mouillé et où chacun cherchera à vous faire la peau. Donc dur de mener la moindre enquête quand pas un habitant n’est prêt à filer le moindre début d’info et tente au contraire de vous poignarder dans le dos – au sens littéral – à la première occasion.
Deux scénarios sont fournis, réservés à des joueurs qui ont de la bouteille, et demandent à être maniés avec autant de précautions que du TNT. Innsmouth, faut le voir sur du long terme et préparer le terrain via des allusions que vous glisserez ici et là dans certains de vos scénars. Là-dessus, vous les amènerez un beau jour sur le scénario éponyme, L’évasion d’Innsmouth donc, où vos joueurs doivent retrouver un gugusse disparu et surtout sortir de la ville en vie au terme de leur enquête. C’est tout le problème de ce supplément : passé cette mise en bouche, vos joueurs et leurs persos seront grillés à Innsmouth jusqu’à la fin des temps et hors de question d’y remettre les pieds sous peine de se faire dégommer à vue. Le supplément à usage unique, comme les amis de Tyler Durden dans Fight Club. Ensuite, il faudra pourtant continuer à les titiller avec Innsmouth, de loin, au gré d’autres scénarios, pour les amener au dernier morceau de ce supplément : Raid sur Innsmouth, qui va plus ou moins consister à cramer la ville (et là pour le coup, plus question d’y revenir, puisque plus de ville).
Donc très bon dans sa conception et son contenu mais limité dans son utilisation.