Champollion l’Égyptien
Christian Jacq
Le Rocher
“Il faut savoir faire résonner l’histoire, la légende.” Tel était le conseil que donnait Arthur de Bretagne au seigneur Perceval pour rendre plus palpitant le récit de ses aventures auprès des autres chevaliers de la Table ronde. Une bonne histoire n’a pas pour vocation à “raconter le temps qu’il fait ou ce que vous avez bouffé le midi, faut que ça pète” (Kaamelott, La Poétique). Fort de ses considérations météorologiques et de ses menus détaillés, Champollion l’Égyptien n’est pas une bonne histoire.
On qualifiera poliment Champollion l’Égyptien de roman chiant à crever, qui donne envie de se pendre d’ennui.
Première question qui se pose : pourquoi Champollion ? Le personnage historique a effectué un séjour en Égypte entre juillet 1828 et décembre 1829, le personnage du roman aussi et c’est à peu près leur seul point commun. Dès la première page, la couleur est annoncée d’entrée : “le but du roman n’est pas d’être fidèle à la vérité historique”. Si c’est pour faire ça, pourquoi écrire un roman historique qui ne le soit pas vraiment ? Autant se lancer dans la pure fiction ou l’uchronie. Ou alors faut rester dans les clous de l’histoire. Là, on a juste un gloubiboulgas indigeste qui mélange des éléments tirés des écrits de Champollion, des trucs qui lui sont arrivés pendant sa virée égyptienne, d’autres forgés de toutes pièces, le tout enjolivé, déformé, romancé au-delà de ce qu’un roman historique peut se permettre.
Qu’on accorde au romancier une latitude sur les faits que l’historien n’a pas, oui, ça fait partie de la démarche. C’est un roman, on peut broder, en rajouter un peu, voire inventer quand la trame historique est trouée faute d’informations et de sources. Pas de problème. Par contre, faut rester dans les limites du matériau. Au moins si on veut pouvoir se targuer du label “historique”. Sinon, ça s’appelle de l’imaginaire. Ce qui est très bien aussi, hein, mais faut tout mélanger. Tu peux pas faire l’un en le baptisant du nom de l’autre, ça n’a pas de sens.
Deuxième question : pourquoi ce voyage ? Le gars Champo est connu pour le déchiffrement des hiéroglyphes de la pierre de Rosette. Pas sûr qu’un mec assis dans sa chambre à se creuser le citron en comparant des hiéroglyphes, du démotique et du grec représente le summum d’une intrigue palpitante, m’enfin j’ai pas eu l’impression que ses glandouillages touristiques en Égypte l’étaient beaucoup plus, trépidants, simples prétextes à de longues et interminables descriptions aussi barbantes que celles de Théophile Gautier dans Le roman de la momie.
De là, on arrive à la dernière question : pourquoi nous avoir infligé ça ? Qu’est-ce qu’on a fait de mal ?
Le périple ne propose rien de bien intéressant, desservi en prime par une écriture sans relief qui se contente d’aligner des mots. En termes de style, rien à dire, vu qu’il n’y a aucun style. Quant au résultat, on ne peut même pas le qualifier d’efficace vu le manque de tonus général, entre phrases plates et longueurs soporifiques.
Champollion boit du thé, mange des dattes et des figues. Super… Niveau bouffe, on est servi, on croirait le seigneur Dagonet en train de raconter sa vadrouille en Judée. Christian Jacq, même combat, qui oublie de “mettre un peu de côté la langue, la bouffe, les coutumes, la musique et le panorama” (Kaamelott, De retour de Judée) pour se concentrer sur son personnage principal. Alors oui, il en parle mais ne creuse in fine rien du tout. Il boit du thé. Mange des dattes. Et s’auto-cite à l’occasion. Pour n’être à l’arrivée qu’une figure héroïque parfaite et lisse entourée de savants fous et confontée à de fourbes Égyptiens. Distribution de clichés à foison pour les protagonistes, tous taillés à la machette, unidimmensionnels et caricaturaux. Pas un pour rattraper l’autre.
Bilan des courses, entre un casting foiré et une narration molle du genou, médiocre sur le fond comme sur la forme, ce roman historique-mais-pas-trop aux vagues airs de thriller bancal propose une espèce de Mort sur le Nil du pauvre qui ne mérite pas de perdre son temps. Lisez plutôt Agatha Christie.