Le titre original du film ne l’est pas vraiment : 괴물 (Gwoemul) signifie monstre. Pour un film de monstre, on a vu plus imaginatif, mais au moins le choix du nom atteint une pertinence inégalable.
The Host, c’est l’histoire de la famille Hee-bong : le père (Park), les enfants (Gang-du, l’aîné immature ; Nam-joo, championne de tir à l’arc ; Nam-il, le cadet chômeur) et la petite-fille Hyun-seo… qui se fait enlever par une bestiole tentaculaire surgie du fleuve. Le reste de la bande n’aura de cesse de la sauver, telle une improbable Agence Tous Risques familiale.
Au cinéma, les monstres sont soit des aliens, soit un vieux truc marin qui se réveille (réminiscence biblique du Léviathan), soit le résultat d’une mutation volontaire (expérience scientifique) ou accidentelle (expérience scientifique (bis) foireuse, pollution). Chez les Américains, paranos comme personne, le monstre vient plutôt du ciel (menace extérieure) ou de manipulations foireuses par une organisation secrète slash militaire slash gouvernementale (théorie du complot). En Asie, la mutation est à l’honneur. Au Japon, on comprend pourquoi, le thème est lié au nucléaire et au traumatisme des bombardements atomiques. Les autres vecteurs courants étant la pollution chimique industrielle. Notez que dans tous les cas, le problème est lié aux Occidentaux, que ce soit en tant que personnes, ou par le biais de leur culture, de leur technologie et de leur économie qui bousillent tout sur leur passage. The Host n’y échappe pas : le responsable de la genèse du monstre est un Blanc.
Fil conducteur du propos, la critique de la présence militaire américaine en Corée. Le film s’ouvre sur l’image du responsable (américain) de la catastrophe et se termine sur un flash info du gouvernement (américain) ; entre les deux, d’autres Américains sèment le bazar.
Pour bien profiter de The Host, il faut en premier lieu oublier les codes cinématographiques yankees et le voir comme un film asiatique avant de le voir en film de monstre. Sinon, on a tous les clichés et codes hollywoodiens en tête, lesquels sont très différents. Par exemple, pas de héros solitaire (du moins solitaire entre le début où tous ses potes se font tuer un par un et la fin où il va se taper la potiche de service), le “héros” est ici une famille ordinaire, valeur centrale en Asie où le groupe fonctionne en tant que groupe, avec une synergie interne, pas juste comme un agrégat d’individus incapable de former une entité plus globale.
Autre exemple de point commun qui n’en est pas un : l’humour. Ballot, potache et ras du front dans la plupart des productions horrifiques américaines, dépourvu de sens, en plus : il est dans le film parce qu’il était dans le cahier des charges, sans s’occuper de savoir s’il apporte quelque chose en termes d’ambiance et de rythme. The Host, lui, abonde en plans comiques qui créent un décalage et renvoient clairement à un esprit narratif hérité du manga.
À l’opposé d’un Transformers, le film ne se contente pas de reposer sur les effets spéciaux dont la débauche finit par donner le tournis au spectateur pour lui faire oublier l’absence de scénario. On suit avec intérêt la cavale et la croisade de ces pieds nickelés, tour à tour traumatisés, magouilleurs, touchants, drôles, paumés… C’est pas juste des gens lambda archétypaux (le quarter bourrin, la blonde débile, le Noir rigolo, toute la clique habituelle du slasher, quoi) The Host raconte ses personnages.
Le versant action et grand spectacle est bien dosé. On a l’occasion de voir régulièrement la créature en action, ce qui est plutôt une bonne chose vu qu’elle est cœur du sujet (pas comme Cloverfield et son Leviathan invisible 95% du temps). Le réalisateur sait quand suggérer et quand montrer pour de bon, ce qui m’a rappelé le même niveau de maîtrise que dans le premier Alien. Qui plus est, il ne recourt pas à l’artifice habituel de la peur du noir : la créature sort en plein jour et se révèle de fait plus impressionnante que le traditionnel croquemitaine nocturne. Forcément, si on se croit en sécurité la journée et que les monstres se pavanent quand même au soleil, on n’ose pas imaginer le massacre à la nuit tombée.
Quand on a soupé de codes hollywoodiens vus, revus et incapables de se renouveler au point d’aboutir à des moisissures comme Cloverfield (dont l’intérêt ne réside que dans son marketing de lancement), The Host apporte une autre façon de voir et de faire. Salutaire dans un genre formaté et pétrifié dans ses codes au point de tourner en rond par chez nous. Le dernier vrai grand bon film de monstre made in Occident, il remonte à quand ? à combien de décennies ?