Un horizon de cendres
Jean-Pierre Andrevon
Pocket Science-Fiction
Quatrième de couverture :
Premier jour : Au loin, il y a votre voisin. Vous lui faites un signe avant de poursuivre votre route. Jusqu’au moment où vous réalisez que le voisin en question est décédé depuis des semaines…
Troisième jour : Vous ne décollez plus de la télé, qui enchaîne les émissions spéciales : partout dans le monde les morts se réveillent. Apathiques, ils errent au royaume des vivants…
Cinquième jour : Paralysé de trouille et de dégoût, vous regardez votre femme serrer dans ses bras, au beau milieu de votre salon, une chose qui, un jour, fut sa mère…
Huitième jour : Votre femme vous a quitté après que vous avez réduit en cendres l’ignominie qu’elle appelait « maman ».
Neuvième jour : La télé diffuse un reportage au cours duquel on voit une de ces choses dévorer un chat vivant…
Ils sont désormais des millions et vous ne vous posez qu’une question : mon monde n’est-il pas désormais le leur ?
Pour le lecteur, la quatrième de couv’ est une abomination qui spoile à outrance en résumant la moitié du bouquin. Pour le chroniqueur, par contre, elle est parfaite : quoi que je raconte du contenu, j’en dévoilerai toujours moins qu’elle.
Horizon de cendres propose un roman de zombies (très) classique découpé en deux parties déséquilibrées pour un résultat qui laisse mitigé.
Grand un, “Dehors”, on suit Kemper, personnage principal et narrateur dont j’ai oublié le prénom alors que j’ai fini le bouquin hier, c’est dire si le gars est marquant. Bon alors, il est conçu pour incarner Monsieur Tout-le-monde, donc logique qu’il ne brille pas par ses traits distinctifs. Ni héros ni antihéros, on peine à s’identifier à lui malgré sa banalité, censée représenter vous, moi, n’importe qui. Le mec paraît tellement détaché de tout…
Le premier chapitre voit sa première rencontre avec un macchabée sur pattes, sur le moment, il est tout chamboulé, OK, mais au final pas longtemps et pas plus que ça. Les morts reviennent à la vie un peu partout sur le globe, lui, il intègre l’info, et voilà. Sa femme et sa fille se barrent, il passe deux, trois coups de fil à des gens chez qui elles sont susceptibles d’avoir atterri, pas de réponse… Et c’est tout. Aucune panique, aucune frénésie de recherche, aucune remise en question de son comportement récent – il vient quand même de cramer sa belle-mère zombie dans le garage – ou plus ancien – une certaine rudesse dans les rapports familiaux qui mord à l’occasion la ligne des violences domestiques. Il constate leur départ et passe à autre chose, comme ça, pouf. On a donc un peu de mal à se sentir en phase avec lui, qui n’est en phase avec rien ni personne. Quitte à mettre en scène un personnage détaché, accentuer le cynisme et l’ironie de ses réflexions – sous-jacents mais sous-exploités – aurait permis quelques punchlines et un regard décalé sur la situation sans être trop parodique non plus.
Kemper vit au fin fond de la campagne française, une bonne idée en termes d’écriture pour éviter la énième histoire de zombies située dans une mégalopole américaine. Pour le reste, on se situe dans les clous de Romero avec des morts-vivants plutôt mous du genou, loin des infectés cabriolants de 28 jours plus tard, on assistera donc à tous les passages obligé du genre ou à peu près, qui étaient déjà des poncifs et clichés à l’époque (2004). La première vague zombie des années 80 suite au succès de La nuit des morts-vivants était déjà passée par là – et la seconde initiée au début des années 2000 n’a in fine pas renouvelé grand-chose…
En dépit de ces défauts, la première partie du roman tient quand même à peu près debout. La mise en place et l’évolution du retour des morts, l’incrédulité au début, le “nan mais vous inquiétez pas, ça va aller” dans un second temps, le battage médiatique incessant, le défilé d’experts autoproclamés en tout et n’importe quoi sur les plateaux télé, les gouvernements infoutus de réagir face à la crise qui finissent par se réveiller quand il est trop tard et que la situation a vrillé au-delà de toute mesure… Autant d’éléments du roman qui rappelleront les grandes heures du Covid entre l’hiver 2019 et le printemps 2020.
On verra donc les premiers morts émerger, puis d’autres, et personne ne sait quoi faire d’eux, puisqu’ils se contentent de zoner comme deux ronds de flanc, inoffensifs. Les “non-vivants” en viennent vite à gêner quand même, parce qu’ils sont partout. Eh ouais, avec une estimation de 100 milliards de morts depuis l’apparition de l’humanité, ça fait du populo. Et quand d’un coup les morts commencent à attaquer les vivants pour leur bouffer le ciboulot, c’est le carnage.
Andrevon a eu ici deux idées de génie.
Primo, les morts reviennent en remontant à la surface. Peu importe ce qu’il y ait entre eux et ladite surface. Si une dalle de béton leur barre la route, elle se contentera de perdre en substance le temps que Bibi le zombie passe à travers et se reconstitue à l’air libre. On fera comme si on n’avait pas vu le côté “ta gueule, c’est magique” – parce qu’autant la résurrection est dotée d’une explication “scientifique” dans le bouquin, autant ce pouvoir de passe-murailles, non. Il y avait matière à exploiter cette faculté : AUCUN endroit ne peut être sûr, jusqu’à la forteresse avec triple muraille, champs de mines tout autour et cinq mille défenseurs armés jusqu’aux dents dedans. L’ennemi peut surgir de l’intérieur. Autant dire un boulevard pour monter une ambiance parano où la moindre ombre peut être le signe précurseur que le ver est dans le fruit. Ce ne sera jamais exploité. Ballot…
Secundo, Andrevon a poussé la logique du retour des morts à l’extrême. Dans les univers classiques, un zombie, tu lui colles un balle dans la tête, tu le passes au lance-flammes, tu le décapites, et si t’es équipé lourd, tu peux même le cartonner à la bombe nucléaire, et t’es débarrassé. Ce qui fait qu’à terme, l’humanité vaincra, c’est juste une question de munitions et de tirs bien placés. Là, les morts reviennent, ce qui fait que quand on tue un zombie, il redevient mort, donc il re-revient, et ainsi de suite ad infinitum. Ça change tout en termes de tonalité. Le combat des vivants est sans issue victorieuse possible. Kemper s’en fait la remarque à plusieurs reprises, mais jamais on ne perçoit dans ses propos le poids de cette fatalité, du désespoir le plus absolu, de la fin inéluctable. Au mieux, on aura une référence à Je suis une légende… qui ne sera jamais qu’une référence de plus, noyée parmi d’autres (Blair Witch, Dawn of the Dead, Mad Max, Le trésor de Rackham le Rouge…).
‘Fin bon, cette première partie se laissait quand même lire au travers de l’évolution de la situation et du basculement du monde dans le hors normes. On n’en dira pas autant de la seconde, “Dedans”. C’est ennuyeux… Chiant, même, n’ayons pas peur des mo(r)ts.
Kemper quitte sa baraque pour rejoindre la ville voisine et atterrit dans un camp retranché plein de réfugiés et miliciens, personnages qui se résument à des silhouettes caricaturales ou inconsistantes. Il ne se passe rien dans cette forteresse. Kemper le dit lui-même. À plusieurs reprises. Les occupants fument des joints et baisent. Je sais pas si c’est trop le sujet du moment en pleine invasion de morts-vivants… À côté de ça, les plus bourrins montent des expéditions en 4×4 bricolés à la Mad Max pour savater du zombie. Dans un camp censé être chapeauté par des officiers de gendarmerie, donc des gens censés avoir reçu une formation militaire, j’avoue que le concept de ces sorties laisse perplexe. Dézinguer des morts-vivants qui vont de toute façon revenir, quel intérêt ? Surtout qu’à chaque fois, la bande de cow-boys perd plusieurs véhicules et combattants. C’est quoi cette stratégie consistant à gâcher des troupes, des munitions, du carburant, du matériel, pour RIEN ? Encore, l’objectif serait pour chercher d’autres survivants, du ravitaillement, un moyen de quitter la ville vers un endroit moins saturé de mobs, ces raids auraient du sens. Là, c’est juste débile, justifié par rien, ni la logique la plus élémentaire, ni même des arguments foireux mais très humains dans leur absurdité. Ce genre de décision irrationnelle, j’aurais pu comprendre une fois, parce que sous le coup de la panique, les gens font des choix dans l’urgence, pas bien malins le plus souvent. Une fois. Dans le feu de l’action. Pas à répétition, dans un océan d’absence de sens. Jusqu’aux participants qui ne semblent pas convaincus de ce qu’ils font. Mais qui le font, parce que c’est dans le scénario. Et c’est dans le scénario, parce que l’auteur l’y a mis. Pourquoi ? Pour montrer quoi ? Les routines vides de sens du quotidien ? l’appétit de violence gratuite des humains ? Y avait d’autres moyens mille fois meilleurs.
Grand mélange de rien et de n’importe quoi pendant ses trois premiers quarts, cette seconde partie tentera de se réveiller sur la fin. En vain, puisqu’elle ne proposera qu’une scène brouillonne tout en fusillade et explosions comme on en a déjà vu dix mille au cinéma.
Là-dessus, on terminera sur un dénouement prévisible, annoncé quarante fois depuis le début par le narrateur qui a eu la main lourde dans son journal des événements sur les effets d’annonce de ce qui allait se produire.
Bilan décevant pour un roman qui aurait pu être bien meilleur en ne se contentant pas de sortir du réchauffé et en creusant sa propre voie avec ses propres idées, esquissées mais pas exploitées. Si le texte ne manque pas de sources d’inspiration au vu du nombre d’œuvres auxquelles il fait référence, il manque d’inspiration tout court. Faut avouer que le genre zombie, surchargé de codes comme pas permis, on en a vite fait le tour et pas évident de proposer du neuf avec tout ce qui existait déjà à l’époque (et encore, on n’était qu’au début de la seconde vague…). La même année qu’Un horizon de cendres sortait au cinéma L’armée des morts, remake du film de Romero. La mode était à refaire ce qui avait déjà été fait mais en moins bien… Alors je sais pas si Horizon de cendres était un ouvrage de commande de l’éditeur pour coller à cette sortie cinéma ou si l’auteur s’est dit qu’il serait de bon ton de surfer sur le renouveau du zombie initié avec 28 jours plus tard, toujours est-il qu’on n’a jamais rien pondu de bon dans l’une ou l’autre optique. Suffit de voir de quoi Stephen King a accouché dans la même veine avec Cellulaire, autre hommage appuyé à Romero… Arrêtez d’écrire juste pour suivre le vent de la mode, ça ne vous mènera nulle part.