Cinq semaines en ballon – Jules Verne

Cinq semaines en ballon
Jules Verne

Éditions Famot

Cinq semaines en ballon Jules Verne éditions Famot

Premier roman de Jules Verne, direct un succès de librairie, tant mieux pour l’auteur et son éditeur. Un peu moins une aubaine pour les lecteurs, puisque ledit succès amènera Verne à pas mal réutiliser sa recette initiale, avec pour conséquence une certaine répétitivité du schéma dans son œuvre.
Explorer et cartographier l’Afrique, du moins une partie, tel est l’objectif du docteur Ferguson. Comme beaucoup à son époque, il fantasme sur les sources du Nil, objet de plusieurs expéditions dans les années qui précèdent l’écriture de ce livre dont il est le héros. Rappelons qu’en 1863, quand paraît Cinq semaines en ballon, l’Afrique est encore un continent très vague pour les Européens, qui ne sont pas encore lancés dans sa colonisation tous azimuts. C’est sur la période qui court des années 1880 à l’aube de la Grande Guerre que les puissances européennes se lâcheront à fond les ballons, pour rester dans le thème.

Colonisation Afrique puissances européennes

Ferguson se lance à l’aventure en compagnie d’un larbin et d’un aventurier, le même genre de trio qu’on retrouvera dans Voyage au centre de la Terre. Un chef d’expédition savant qui n’a que la science à la bouche, un sous-fifre qui sert de faire-valoir en s’émerveillant d’un peu tout comme un benêt, un guide/pisteur/chasseur en phase avec les réalités de ce monde. La tête et les jambes, avec un ventre mou au milieu. Verne usera et abusera de ce schéma, parfois amputé du troisième larron pour ne mettre en scène qu’un oisif pété de tune et son fidèle cireur de pompes (i.e. dans Le tour du monde en 80 jours et Les tribulations d’un Chinois en Chine).
Le bon docteur a choisi une solution inventive pour se faciliter la tâche. Les autres expéditions ont galéré à traverser à deux à l’heure des territoires pas super praticables vu qu’on n’a pas encore inventé l’autoroute. Qu’à cela ne tienne, Fergie la Malice fera fi des difficultés de la géographie en passant par-dessus les obstacles du relief, grâce à un ballon à hydrogène.
Comme pour l’Afrique vers laquelle l’Europe commence à tourner ses yeux gourmands, Verne suit la mode. Les montgolfières avaient fait le buzz à la fin du XVIIIe siècle, mais leurs limites les avaient condamnées à être surtout des objets de curiosité pendant la première moitié du XIXe. La révolution industrielle et ses avancées techniques relancent l’idée de voler, soit par le biais de l’aérostation pour les plus sages, soit en imaginant des aéroplanes pour les plus allumés. Le thème est dans l’air du temps, au propre comme au figuré.

À partir de là, le roman sera une suite d’aventures échevelées tout du long, émaillées de considérations scientifiques (exploration, aérostation, géographie, botanique…). L’essentiel de la biblio vernienne se coulera par la suite dans cette recette mi-action, mi-vulgarisation.
De ce côté-là, on n’est pas déçu, on en a pour son argent. Toutes les péripéties possibles et imaginables, le trio y sera confronté. Le catalogue complet, il n’en manque pas une, on se demande même comment les trois gugusses n’ont crevé cinquante fois en cours de route (merci la suspension consentie d’incrédulité). Cinq semaines en ballon est un excellent roman d’aventures, peut-être un des meilleurs de Verne. Parce que le premier, avec la fraîcheur d’un canevas qui n’est pas encore en pilote automatique et usé jusqu’à la trame par son auteur.

Par contre, l’Afrique vu par un Français du XIXe… Enfin, l’Afrique, c’est pas le problème. C’est plutôt les Africains vus par un Français. En plus, pas n’importe lequel, Verne : monarchiste et antisémite, il sera quelques années plus tard anti-dreyfusard avant de changer d’avis, et à la fin de sa vie, militariste, colonialiste et impérialiste. On n’en est pas encore là dans Cinq semaines en ballon, mais ça pose le bonhomme.
C’est quoi un Africain vu par Verne ? Un “nègre” – le terme est employé dans le roman – arriéré et violent, comparé à un singe (“De loin, la différence n’est pas grande”, dit l’un, “Ni même de près”, lui répond un autre), ignorant tout de la science et de la lumière divine. Cent soixante ans plus tard, Dany et son éditeur Dupuis accoucheront de Spirou et la gorgone bleue, qui en est toujours au même stade de représentation, ça donne une idée de tout le chemin qu’on n’a pas parcouru en matière d’antiracisme. Par manque de temps, sans doute, 1863-2023, c’est vrai que le délai de réflexion est un petit peu court…
Si l’Afrique est vue comme pure et demande à être préservée, c’est bien du paysage dont il est question, parce que concernant ses habitants, on perçoit plutôt un tiraillement entre l’anti-colonialisme que Verne défend encore et l’envie de les élever de leur condition en leur apportant le package civilisateur par le biais de l’évangélisation. Et là, on ne sait pas si Julot est naïf ou hypocrite sur le sujet de la colonisation, mais l’évangélisation seule, ça n’existe pas, les deux vont toujours de pair depuis l’expansion européenne qui démarre avec l’ère des Grandes découvertes aux XVe-XVIe.
Même les quelques nuances qui émaillent le texte çà et là ne relèvent pas le niveau. Deux tribus s’affrontent, un personnage remarque que les autochtones sont des sacrés bourrins, un autre lui objecte – à juste titre – qu’en Europe on n’est pas les derniers quand il s’agit de se foutre sur la tronche. Les deux tombent d’accord sur le fait que c’est partout pareil au fond… Mais. Pas tout à fait pareil quand même. Parce que du début à la fin, la supériorité du Blanc reste le postulat, jamais remis en question.

Un très bon roman d’aventures puant de racisme, ça résume bien les qualités et défauts de Cinq semaines en ballon.

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