Le songe d’une nuit d’octobre – Roger Zelazny

Le songe d’une nuit d’octobre
Roger Zelazny

Hélios

Couverture roman Le songe d'une nuit d'octobre Roger Zelazny Hélios

Quand la conjonction des astres s’y prête, la nuit du 31 octobre au 1er novembre peut être l’occasion d’activer un portail entre les mondes, permettant ainsi aux Grands Anciens de déferler sur Terre, avec pour conséquences le chaos, la mort et la destruction.
Alors, y a des gens, pas très nets, qui crèvent d’envie de voir débouler Cthulhu, Shub-Niggurath, Nyarlathotep, toute la bande d’entités tentaculaires, et sont prêts à leur ouvrir le passage. Mais d’autres, pas beaucoup plus nets, veillent au grain pour préserver l’humanité, qui sait très bien se débrouiller elle-même en matière de chaos, de mort et de destruction sans qu’on vienne depuis une autre dimension lui expliquer comment s’y prendre.
Le mois d’octobre en son entier est consacré au Jeu, la préparation de la cérémonie rituelle. Tous les coups sont permis jusqu’à la fin (où, c’est bien connu, il ne peut en rester qu’un).

Zelazny s’est fait plaisir avec l’écriture de ce texte et ça se sent. Tout n’y est que références, du titre aux personnages en passant par l’intrigue. Allusion d’entrée à Edgar Allan Poe pour la VO (A Night in the Lonesome October, extrait du poème Ulalume), référence qui devient shakespearienne en VF (Le songe d’une nuit d’été), ce qui fait sens quand même, puisqu’il y des allusions à l’œuvre de Willy dans le corps du texte. Un peu de mythe de Cthulhu pour le but de l’opération Portail dans ta face, pas très exploité au demeurant, le bestiaire lovecraftien, qui sert surtout d’épouvantail mentionné une paire de fois et puis s’en va. Davantage que les bestioles tentaculaires, c’est surtout au niveau des Contrées du Rêve que le pont avec HPL se bâtit à travers un épisode de voyage onirique.
Les personnages fournissent le gros du corpus, issus pour l’essentiel de la période victorienne. Peu d’entre eux sont nommés en tant que tel, mais on les reconnaît sans peine : Raspoutine (Rastov), Sherlock Holmes et Watson (le Grand Détective et son acolyte), Dracula (le Comte), Frankenstein (le Bon Docteur, avec son sbire et sa créature), l’Éventreur (Jack, as du couteau). Comme un genre de Ligue des gentlemen extraordinaires avant l’heure – le roman de Zelazny date de 1993, le comics d’Alan Moore et Kevin O’Neill de 1999. Viennent s’y ajouter des figures du folklore (sorcière, druide), un personnage de cinéma (Larry Talbot, nom du personnage principal du film Le loup-garou de 1941) et deux hybrides (Morris et MacCab, qui semblent être un mélange entre deux duos : William Burke et William Hare croisés avec Abbott et Costello). Et parce que ça ne suffisait pas, il faut encore ajouter une couche de références avec les familiers de tout ce petit monde, avec clins d’œil onomastiques (la chatte Graymalk renvoie à Macbeth) ou comportementaux (les serpents ont vraiment un talent fou depuis la Bible pour fourguer des fruits), quand il ne s’agit pas d’un renvoi direct aux œuvres originales dont ils sont issus (la chauve-souris du Comte sort tout droit de Dracula).

Eh oui, dans la grande tradition de la sorcellerie, chaque participant au Jeu a, à son service, une bestiole. C’est même d’ailleurs à travers elles qu’on suivra le déroulement du mois d’octobre. À commencer par le narrateur, Snuff, un chien dont le nom est tout un programme.
Le bon toutou passe une bonne partie de son temps à papoter avec les autres bestiaux du coin. Palabrer est une composante essentielle du Jeu et Snuff s’y entend à merveille. Comme dans un roman policier d’Agatha Christie, Snuff applique la méthode consacrée par miss Marple et Hercule Poirot : blablabla, blablabla, blablabla et à la fin, en mettant bout à bout ce qu’ont dégoisé les uns et les autres, tu sais.
Le gros de l’activité de Snuff, c’est donc bavasser pour aller à la pêche aux infos. Savoir qui participe au Jeu, dans quel camp (Ouvreurs ? Fermeurs ?), avec quels ingrédients et objets magiques… Et puis quand commencent les coups fourrés, tentatives de meurtre, assassinats en règle, il s’agit de savoir qui est derrière. Ami ou ennemi ? Parfois en ignorant dans quel camp se trouvait la victime. Cette chasse aux indices donne lieu à des dialogues savoureux. Tout le sel du texte repose sur ces échanges lafontainiens entre nos amies les bêtes.
Le mélange global prend bien entre la grosse base d’éléments fantastiques et ce développement orienté polar et pas mal teinté d’espionnage. Les conciliabules de familiers ressemblent à un nid d’espions de tous bords qui s’échangent des infos en espérant être celui qui tirera les marrons du feu.

Tous ces éléments feraient un excellent jeu de plateau, quelque part entre Cluedo pour la chasse aux indices et Talisman pour la quête d’artefacts et ingrédients. On imaginerait très bien les joueurs incarner, selon leur nombre, un ou plusieurs participants au Jeu ainsi que les familiers correspondants, coopérer ou se tirer dans les pattes, glaner des infos pour connaître les Ouvreurs et les Fermeurs, tirer d’un paquet des cartes de matos (telle relique utile au rituel du portail) ou d’action plus ou moins reluisante (incendier la planque d’un concurrent).
J’ai bien vu ça et là sur le Net de la customisation maison de petits jeux sur la base du livre mais rien pas de produit fini, propre et officiel. Dommage.
En tous les cas, que tout dans Le songe d’une nuit d’octobre me fasse penser à un jeu de plateau est un bon indicateur de l’aspect ludique de l’écriture de Zelazny.

Sous ses airs de petit bouquin qui ne se prend pas au sérieux, c’est quand même fait avec vachement de sérieux. En témoignent les innombrables références dont l’identification est un des plaisirs de lecture (même si la préface en grille pas mal et aurait gagné à être scindée en deux : intro avec présentation de Zelazny et postface centrée sur le contenu de l’œuvre). L’ambiance mi-gothique mi-Scooby Doo est un régal et rend compte d’un haut degré de maîtrise de la tonalité pour fonctionner sans tourner au gloubiboulga qui ne sait pas sur quel pied danser. La structure simple, sur la base un chapitre, une nuit, aurait pu devenir répétitive. Elle n’en a pas le temps : les chapitres sont courts et la masse de protagonistes humains et animaux permet de toujours avoir quelque chose de différent à raconter. Plein de légèreté et d’humour, le texte creuse aussi en profondeur la relation d’amitié qui se noue entre Snuff et Graymalk, un chien et une chatte censés incarner par leur nature d’irréductibles ennemis héréditaires.
Pour un bouquin “mineur”, ça va, quoi. On en connaît dont les best-sellers ne contiennent pas la moitié du quart des qualités de ce rêve nocturne automnal. Et c’est sûr que si on compare au mastodonte du Cycle des Princes d’Ambre, tous les autres livres de Zelazny passent pour de petits opuscules sans prétention (un de ses petits machins a pourtant inspiré Mad Max, c’est quand même pas rien).
Le songe d’une nuit d’octobre offre une comédie à la fois divertissante, maligne et bien écrite – trois qualités qui manquent à la plupart des comédies. Un appendice on ne peut plus fun au mythe de Cthulhu, loin du canon ampoulé et guindé d’Howard Phillips “Why so serious?” Lovecraft. J’y ai trouvé mon plaisir de lecture, donc dans mon cas mission accomplie. Après que l’œuvre soit majeure ou anecdotique dans l’histoire de la littérature, je pense qu’on s’en bat les noix dès lors qu’on y a trouvé son compte en tant que lecteur. Ce qui fait la valeur d’une œuvre, c’est sa réception par le public, pas le classement hiérarchique établi par des universitaires qui, lui, n’en a aucune.

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