Le mystère de la chambre jaune
Gaston Leroux
Le Livre de Poche
Genre de Tintin avant l’heure, Joseph Joséphin, dit Rouletabille, est un jeune journaliste qui passe plus de temps à mener des enquêtes qu’à écrire des articles. Mais bon, on lui pardonne, parce qu’il dame toujours le pion à la police vu que c’est un super enquêteur (paraît-il, j’ai pas été convaincu, perso). La preuve, il a un nom à la mords-moi-le-nœud et un surnom encore pire, gage de qualité ultime du limier de génie, cf. les Sherlock, Hercule, Imogène et autre Martin Mystère, que t’as quand même un peu de mal à prendre au sérieux dès lors qu’ils ont énoncé leur improbable patronyme de l’espace.
Or donc, le Jojo a décidé de se lancer dans la résolution du “mystère de la chambre jaune”, une énigme assez formidable pour que l’auteur répète au moins soixante-douze mille fois à quel point l’affaire est extraordinaire. Cette affaire, la voici : Mathilde Stangerson, fille d’un éminent savant et savante elle-même, s’est fait savater la gueule dans sa piaule en pleine nuit. Des bruits de bagarre, deux coups de feu, des cris et une demoiselle dans le cirage, tout ça dans une chambre fermée de l’intérieur, avec un agresseur envolé comme par miracle. Va falloir trouver qui et comment…
Le mystère de la chambre jaune est devenu depuis sa parution au tout début du siècle dernier un classique du roman policier. Fait partie de ces bouquins à lire parce que classique du genre. Mais le texte a vieilli, et pas très bien. D’autant que le bouquin n’est pas avare de défauts.
Le style passera aujourd’hui pour archi-littéraire. On est loin du polar plein d’argot. Ici, les gens parlent comme dans des bouquins. Genre ils utilisent le passé simple à l’oral, et même du subjonctif imparfait. Que le style soit vieux n’a rien de choquant pour un vieux roman, mais autant cette forme d’un autre âge passe dans la narration, autant dans les dialogues on ne croit jamais à ce que racontent les personnages tant leurs propos sonnent comme du littéraire pur jus, à mille années-lumière du parler d’aujourd’hui… et même de celui de l’époque.
Pour l’intrigue, Leroux a voulu dépasser Poe et Conan Doyle. Ambitieux. Bon, il a au moins réussi sur la longueur, qui elle ne réussit pas au roman. Trop long pour ce que l’histoire a à raconter, le texte est bourré de redites sans doute dues au format feuilleton, d’éléments qui arrivent là grâce à une heureuse coïncidence, par facilité d’écriture ou pour remettre dix balles dans la machine à scénar, d’explications étalées sur trois pages quand elles auraient pu tenir en un paragraphe… Le mystère de la chambre jaune aurait pu être une excellente novella, il sera un roman longuet par moments. Et j’ai plus d’une fois soupiré devant certains procédés d’écriture, comme les phrases codées que Rouletabille entend juste au bon moment, parce qu’il passe là, à cet instant, “comme par hasard”, et qu’il ressort sans trop savoir ce qu’elles signifient à la bonne personne pile quand il faut. Oh ben mince alors, ça c’est un sacré coup de bol ! Bon, une fois, ça passe. Deux, mouais. À la troisième, l’astuce sent le réchauffé et la paresse.
Côté personnages, le principal problème vient du héros lui-même. Le narrateur, son pote, passe son temps à nous vanter ses mérites sur le ton de l’hagiographie au point que c’en est too much. Trop parfait pour être crédible. En plus, entouré de parfaits débiles aux raisonnements plus absurdes les uns que les autres, il n’a pas trop de mal à passer pour intelligent. Au royaume des aveugles, les borgnes sont rois… L’écriture du personnage laisse pas mal à désirer dans ses contradictions internes. Il est présenté comme toujours de bonne humeur, mais passe les trois quarts du bouquin hagard, perdu dans ses pensées, en colère, déprimé à se sentir plus bas que tout de ne pas trouver la solution de l’énigme… Une drôle de bonne humeur… Il s’adresse au juge en plein tribunal avec une certaine familiarité en l’appelant “m’sieur” comme un petit jeune du peuple… mais parle à son copain Sinclair en utilisant l’imparfait du subjonctif dans une discussion informelle entre potes. Drôle de gestion des registres de langue, toujours à côté de la situation… Passons sur les trois mille répétitions de sa méthode de réflexion basée sur “le bon bout de la raison”. Méthode pas super convaincante au demeurant, qui se base sur l’abstraction pure, en estimant que les “traces sensibles” (aka “indices” en langage moderne) doivent rentrer dans la théorie élaborée au préalable sur la base du pifomètre. C’est vrai ça, pourquoi s’enquiquiner à utiliser les indices pour bâtir des hypothèses quand on peut juste les intégrer s’ils collent à ce qu’on pense ou sinon les écarter ? Crédible et réaliste (ou pas) comme façon d’enquêter. Pas à une contradiction près, Rouletabille va passer la moitié du roman à collecter des indices. Et l’autre moitié à jouer les voyeurs en espionnant tout le monde, ou les manipulateurs en s’arrangeant pour que chacun soit à sa botte. Charmant. Propres, les méthodes. Quant à son comportement, je l’ai trouvé imbuvable les trois quarts du temps, prétentieux, méprisant…
L’unique protagoniste susceptible de faire de l’ombre à Roulemachin, c’est Frédéric Larsan, le super-flic de la Sûreté. Sauf que voilà, les dés sont pipés dans son cas (que je ne développerai pas ici sous peine de spoiler le dénouement de l’histoire). Le seul à avoir un cerveau et à s’en servir comptant pour du beurre, il ne reste donc personne en face de Rouletabille, qui n’a de ce fait pas trop de mal à briller. Comme je disais, borgnes, aveugles, tout ça, tout ça.
Le dénouement m’a fait marrer, faut au moins lui reconnaître cette qualité. Il est logique. Très logique même. Trop. Le problème de la logique, quand on en arrive à sa quintessence, c’est qu’elle devient absurde. Que chaque élément du mystère de la chambre jaune ait une explication logique ne veut pas dire que l’explication globale impliquant lesdits éléments mis bout à bout aura du sens. En fiction, on peut se permettre de tordre la réalité, de tirer d’un côté ou de l’autre, d’aligner une moyenne de coïncidences un chouïa plus élevée que dans le monde réel. Le procédé fonctionne tant qu’on ne charge pas trop la barque et tant que ces manipulations restent indépendantes les unes des autres, une ici, l’autre là. Dans la résolution, les bidouillages fictionnels de chaque point de l’énigme vont s’additionner les uns aux autres, rendant l’édifice de plus en plus capillotracté pour qu’on en arrive à la conclusion que c’est quand même un peu gros. Un peu beaucoup. D’autant plus qu’il y a deux failles dans le mystère, la blessure par balle de l’assassin guérie du jour au lendemain et celle de Mathilde Stangerson qui n’a pas laissé de sang à un endroit où elle aurait dû. Si ces éléments avaient été corrects, Le mystère de la chambre jaune tenait en deux chapitres.
Quant à la révélation de l’identité de l’agresseur, elle repousse les limites du rocambolesque et du nawak. Autant sur le crime, on peut se montrer indulgent sur les libertés que prend Leroux avec le réalisme, mais sur l’assassin, non, quoi. Le coup de théâtre est trop… théâtral, justement. Coupable très sensationnel, sûr. Par contre, niveau crédibilité, zéro. Le procédé a trop l’air de ce qu’il est : une astuce littéraire pour scotcher le lecteur, peu importe que le résultat soit délirant, sorti de nulle part et dénué de sens.
Bilan… Bah, c’est arrivé aux derniers chapitres révélant le pot-aux-roses que je me suis rendu compte que je l’avais déjà lu quand j’étais gamin. C’est dire si le plus gros du bouquin m’avait marqué pour ne pas m’être souvenu ni du contenu ni même de l’avoir lu. Par contre, une fois rendu au dénouement, je me suis bien rappelé qu’il m’avait paru WTF à l’époque. Ça n’a pas changé…
Reste quand même un roman à lire qui, à défaut de se montrer convaincant dans ses raisonnements, l’est dans sa façon de planter son mystère – dommage que ce soit pour se planter tout court derrière, mais la chose est courante dans la littérature policière sur le thème du crime en chambre close, la parfaite fausse bonne idée dont aucun auteur n’arrive à se dépêtrer.