Les guerriers du silence – Pierre Bordage

T.1 Les guerriers du silence
T.2 Terra Mater
T.3 La citadelle Hyponéros
Pierre Bordage

J’ai Lu

Maousse monument de Pierre Bordage, la trilogie Les guerriers du silence relève du space opera, c’est-à-dire la forme intergalactique de l’épopée (et pas du tout des gens qui chantent au milieu des étoiles comme le terme opéra pourrait le laisser penser).
En fait, c’est Star Wars mais en mieux.

Les guerriers du silence Terra Mater La citadelle Hyponéros Pierre Bordage J'ai Lu

Les trois tomes sont sortis à raison d’un par an entre 1993 et 1995 (époque de ma première lecture, ça ne nous rajeunit pas). Et les dates sont importantes, parce qu’à l’époque Star Wars, c’était juste ce qu’on appelle aujourd’hui “les trois seuls films qui tiennent debout” ou encore “la trilogie originale”. La prélogie poussive n’est pas encore sortie et la postlogie dispensable encore moins.
Et le gag, c’est que dans Les guerriers du silence, on trouve quand même les éléments majeurs de la prélogie. En carrément mieux. Vous allez me dire, une prélogie réussie, c’est de la science-fiction. Ça tombe bien, c’en est, de la SF !

Or donc, la trilogie bordagienne se passe dans un futur genre lointain de chez lointain, avec tout un tas de machins spatiaux, de bidules galactiques et de planètes habitées dans tous les sens. Tout ce bazar est régi sous la forme d’une confédération, colosse aux pieds d’argile qui doit faire face à la corruption, aux magouilles politiques et à un adversaire venu du fin fond des tréfonds de l’univers : les Scaythes (sans lien de parenté avec les planches à roulettes).
Pour se défendre, la Confération déploie les chevaliers absourates, un ordre mystique Jedi de moines-soldats-yodleurs qui s’est ramolli avec le temps et éloigné de ses préceptes originels. Bref, une coquille vide avec autant de puissance que Superman après un lavement à la kryptonite. Les Scaythes n’en font qu’une bouchée, parce qu’ils sont encore plus multiclassés space-marines-yogi-ninjas-vampires-Terminator avec en prime le pouvoir du Côté obscur de la Force.
Déboule dans le game Aphykit, quelque part entre Lara Croft, James Bond et Leia, et fille d’un des derniers maîtres Jedi, qui cherche à retrouver le Yoda local et embarque dans ses aventures Tixu Oty, un pékin qui n’avait rien demandé, pas bon à grand-chose, encore plus aux fraises que Luke Skywalker à ses débuts, c’est dire si le mec est un boulet de première bourre. Bref, archétype classique du personnage sorti de nulle part, pas du tout prédisposé à, mais qui va quand même se retrouver en tête de liste pour occuper le poste de sauveur de la galaxie au terme d’un parcours initiatique, tout ça, machin, truc, bidule. Comme trajectoire de héros, on peut pas faire plus conventionnel, mais sous la plume inventive et élégante de Bordage, ça fonctionne. Et bien.
Là où chez d’autres, on s’ennuierait ferme à lire ce qu’un milliard de romans et autant de films ont déjà mis en scène, dans cette trilogie, on s’intéresse à Tixu, parce qu’il y a un copieux travail d’écriture sur son évolution. Pas juste le personnage rencontre un obstacle, paf péripétie, bim il en vient à bout, pouf il en ressort meilleur, où tout ne relève que de la pure mécanique narrative. Moins une progression du personnage lui-même que de sa fiche de perso, où tout ce qu’on voit, c’est que le gars a gagné trois points dans telle compétence et gratté assez d’XP pour monter d’un niveau. Chez Bordage, autre chanson, l’évolution du personnage est fluide et si on la voit, les rouages narratifs restent, eux, invisibles.
Au-delà du cas de Tixu en particulier et des personnages en général, la totalité des Guerriers du silence est marqué par un très haut niveau d’écriture, tant sur les composantes narratives que sur la forme. Jamais tu ne te dis “qu’est-ce que c’est lourd et moche” (défaut récurrent chez beaucoup d’auteurs de littérature de genre…). Et jamais non plus tu te dis “OK, c’est joli, mais ça raconte rien” (défaut récurrent de la littérature qui se définit avec un grand L et un melon dans les mêmes proportions…). Un poème épique, littéralement (ou plutôt une épopée poétique si on veut être précis).
Enfin, cerise sur le gâteau, là où Star Wars propose un divertissement familial qui fait son taf sans aller plus loin, Les guerriers du silence affichent un niveau de maturité quelques crans au-dessus. Je pense entre autres au versant Dune spirit autour du mysticisme, de la philosophie et de la spiritualité, qui ouvre pas mal de réflexions côté lecteur. On citera aussi les thèmes de la religion et de la politique, propices à se creuser la soupière sur le poids de l’une, de l’autre et de leur douteux mariage (aka théocratie). Et toujours en restant à échelle humaine, sans se lancer dans des grandes théories fumeuses d’auteur qui s’écoute parler, sans donner des leçons du haut de son piédestal juché au sommet de sa tour d’ivoire d’écrivain érigée sur des chevilles XXL. Bordage reste toujours au niveau de ses personnages (et de son lectorat), dans une ambiance humaine et humaniste – remarque qui vaut pour la totalité de ses bouquins.

Un sans-faute sur toute la ligne, qui me fait dire que c’est à Bordage (en deux mots, il est écrivain, pas pirate des Caraïbes) qu’il aurait fallu confier la scénarisation des épisodes I à III de La guerre des étoiles. J’emploie rarement le terme chef-d’œuvre pour qualifier un bouquin, mais là c’en est un. Incontournable de la SF.

(Ce roman a été récompensé par un K d’Or.)

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