Une enquête policière dans un univers uchronique, ça partait d’une bonne idée.
Comme quoi les bonnes idées ne suffisent pas à faire les bons films…
Dans la vraie vie de l’IRL, l’assassinat de Hirobumi Itō en gare de Harbin en 1909 déclencha l’annexion de la Corée par le Japon.
Ce film pose comme postulat l’échec de cet attentat. À partir de là, l’Histoire part en vrille comme le scénario de ce film. La Corée devient territoire japonais, ce qui n’a rien d’uchronique, puisque c’est arrivé pour de vrai. On voit donc assez mal l’intérêt d’avoir choisi de modifier cet événement de 1909 si ses conséquences, elles, ne changent pas. Bref. L’Histoire suit son cours alternatif, le Japon s’allie aux États-Unis pour lutter dès 1936 contre l’Allemagne nazie (même dans le cadre d’une uchronie, cette alliance et cette date n’ont aucun sens). En 1945, la bombe atomique tombe sur Berlin au lieu d’Hiroshima et Nagasaki. On se demande comment les USA ont mis plus de temps que dans la réalité à battre l’Allemagne sans avoir de front à gérer dans le Pacifique, mais bon… Là-dessus, nous arrivons en 2009 grâce à la magie de l’ellipse. Le JBI, version nippone du FBI, fait la chasse aux indépendantistes coréens considérés comme des terroristes. Ses agents vont se trouver confronter à deux lignes temporelles, la leur et la nôtre.
Voilà grosso modo pour le résumé du machin. Le reste, c’est Commando au pays de Stargate sur le rythme de L’homme qui valait 3 milliards en train de courir (au ralenti donc…).
Dès le résumé uchronique en début de film, ça sentait le sapin. Une uchronie, on n’invente pas comme ça des trucs sortis de nulle part. Faut qu’il y ait une logique, alternative certes, mais cohérente dans le cadre de l’univers bis. Pas le cas ici, le scénariste a balancé des idées qui ne tiennent pas debout.
Passé le premier quart d’heure, j’ai commencé à regarder combien de temps il restait avant la fin, mauvais signe. Surtout pour moi puisqu’il restait encore deux heures de supplice.
M’attendant à un vrai récit de science-fiction, j’ai été déçu de me retrouver devant une bête succession de fusillades dans une réalité alternative. Pour autant, Lost Memories tire son épingle du jeu vis-à-vis de ses concurrents américains dans la catégorie blockbuster d’action pan-pan : il y a un scénario. Reste que l’uchronie n’est pas assez exploitée et passe au second plan pour devenir très vite un simple prétexte à se lancer dans un énième discours nationaliste et antijaponais. Dans un film indien, tout le monde se croit obligé de pousser la chansonnette en trémoussant du popotin. En Corée, le sport national du cinéma, c’est de toujours comporter un message de lutte pour l’indépendance du pays, pourtant effective depuis quelques décennies mais toujours pas assimilée semble-t-il. Ça tourne à la rengaine et c’est relou.
Le film se veut “d’action”, mais paradoxalement pèche beaucoup de ce côté. Oh de la castagne, il y en a à gogo. On en profiterait peut-être davantage en vitesse normale plutôt que hachée en mode ralenti-flou-saccadé. Trop d’effet tue l’effet. Avec en prime la musique pompeuse autant que pompante pour bien appuyer et en rajouter une couche dans le tapageur.
Le réalisme ? Un gadget des plus superflus. Deux flics avec chacun un petit pistolet attaquent vingt terroristes armés de fusil d’assaut et d’un lance-roquettes… une fusillade d’intro certes impressionnante mais avec la vraisemblance de Commando… dix flics dans un couloir cartonnent un fuyard cinq mètres devant eux sans parvenir à le toucher… L’impétueux torrent d’incohérences et invraisemblances ne cesse jamais de couler. Même avec la suspension consentie d’incrédulité, la marge qu’on accorde au grand spectacle, y a quand même des limites aux fantaisies qu’on peut s’autoriser.
Lost Memories souffre de deux défauts : trop américain, trop coréen.
Pays divisé, la Corée joue beaucoup sur le sentiment national dans son cinéma (partition en deux États, présence américaine plus ou moins bien supportée, vieux griefs vis-à-vis des voisins chinois et japonais). Ici, ce sentiment se cristallise autour du sentiment anti-japonais, un peu comme si la France continuait à produire des films anti-allemands en mémoire de 1870, 1914 et 1939. J’ai déjà du mal avec le patriotisme “pour” un pays, alors quand il prend place dans un discours “contre” un autre, là je peux pas.
On retrouve ce même côté nationaliste démago pour le versant trop américain (j’ai pensé à Independance Day, c’est pour dire…) et parfois limite (vu la place de la violence comme solution à tout). Ensuite, le cinéma coréen “grand spectacle” lorgne beaucoup sur ce qui se fait aux USA. Sur le principe de l’émulation, ça peut donner de bonnes choses, car les réalisateurs mettent la gomme de même que les producteurs pour débloquer des budgets conséquents. Le bât blesse lorsque l’américanisation tourne au même délire de mise en scène (abus des effets de manche, mise en scène clipesque illisible…). À trop en faire, ça ne ressemble plus à grand-chose.
Bref, ce film fait penser à du Michael “Gros bourrin” Bay mettant en scène un patriotisme forcé, démago et tendancieux dans une débauche d’effets aussi tape-à-l’oeil que redondants. Commercial, grandiloquent, bourrin, le pari est réussi pour ressembler au grand frère américain, idem pour ce qui est de tuer les bonnes idées.