Contre les élections – David Van Reybrouck

Contre les élections
David Van Reybrouck
Babel

Couverture Contre les élections David Van Reybrouck Babel

Derrière ce titre qui laisse présager une restauration monarchique ou une marche vers la dictature, Van Reybrouck propose tout le contraire : (re)mettre de la démocratie dans la démocratie.
Des fois que tu craignes l’essai de philosophie politique pontifiant et ennuyeux, sois rassuré. L’ouvrage est rigoureux, documenté, annoté… et clair, agréable à lire, pas jargonnant. Très mesuré aussi. On sent à la lecture le gars passionné mais pas illuminé pour autant.
Evidemment, son propos est orienté. Van Reybrouck n’a pas juste pour objectif d’exposer mais de convaincre. Il le fait avec raison et modération, pas en tapant sur la table et en criant très très fort comme si l’agitation tenait de l’argumentation en soi.

Le gars David part d’un constat : l’adhésion massive à la démocratie sur le principe s’accompagne aujourd’hui d’une méfiance tout aussi importante dans sa pratique. Défiance envers les gouvernements, parlements et partis, taux d’abstention tels que la représentativité du système en prend un coup, classe politique perçue comme une bande de corrompus slash glandeurs slash incompétents slash aristocrates modernes en cheville avec les élites et déconnectés de la masse des citoyens. Une démocratie hors sol, en roue libre, malade. Van Reybrouck pose en diagnostic un “syndrome de fatigue démocratique”.
Quand tu additionnes crise de légitimité et perte d’efficacité, que tu mets par-dessus une couche d’hystérie médiatique, tu obtiens une campagne électorale permanente, où il n’est plus question de chercher la concorde mais de se balancer des antagonismes à la poire. Chaos et brouhaha. Autant de clous dans le cercueil de la démocratie.

Les deux premières parties du bouquin s’attachent à détailler ces symptômes et passer en revue quelques solutions proposées (populisme, technocratie, antiparlementarisme). Conclusion, le fond du problème se situe dans la démocratie représentative élective. “Nous avons réduit la démocratie à une démocratie représentative et la démocratie représentative à des élections.”
Van Reybrouck va jusqu’à parler de “fondamentalisme électoral” pour souligner à quel point démocratie et élections sont devenues synonymes… et problématiques, puisque toucher aux secondes reviendrait dans beaucoup d’esprits à remettre en question la première.
On arrive ici au cœur de sa démonstration qui couvre la fin de la seconde partie et toute la troisième du bouquin. Aussi stimulante que salutaire. Les élections forment-elles vraiment l’essence de la démocratie ?
Vu le titre de l’ouvrage, t’annoncer que la réponse est non ne relève pas du spoiler. A cela plusieurs raisons. D’une, nombre de penseurs politiques estiment que les élections relèvent d’une forme d’oligarchie ou d’aristocratie. Pas des moindres, on parle de gens comme Aristote ou Montesquieu. De deux, le processus électoral dans les expériences démocratiques passées (Athènes, Venise, Florence) tenait une place mineure, preuve que la chose est possible. De trois, la mise en place du système électoral après les révolutions américaine et française procédait du barrage nécessaire au peuple.
Une démocratie ? Vous n’y pensez pas, malheureux ? Filer le pouvoir à tous ces gens, des ignorants, des pauvres, et nombreux en plus. On va plutôt leur dire que le vrai pouvoir, c’est de le refiler à d’autres. Tiens, nous, par exemple.
Chez les révolutionnaires, “les références au peuple ne manquent pas. (…) Mais en définitive, ils concevaient ce même peuple de façon plutôt élitiste.” Analyse intéressante des discours révolutionnaires, à mettre en parallèle avec la lenteur de mise en place d’un suffrage universel qui le soit vraiment.

Quelle solution apporter au mal électoral ? Retour aux sources athéniennes avec le tirage au sort. Je ne vais pas m’étaler sur les avantages et inconvénients, les difficultés pratiques, le travail à faire sur les mentalités, Van Reybrouck raconte tout ça mieux que moi.
Une idée farfelue ? Elle fonctionne pour les jurys d’assise et personne n’irait remettre le procédé en question.
Le but n’est pas de passer du jour au lendemain du tout électoral au tout tirage au sort. Van Reybrouck ne s’abandonne pas à un idéalisme délirant. Ça ne marcherait pas, trop brutal, trop hasardeux. En tout cas, un système bi-représentatif, avec des élus et des citoyens tirés au sort, paraît envisageable.
Il décortique quelques exemples de tentatives pour réintroduire des citoyens dans le processus décisionnel (Canada, Islande, Irlande, Pays-Bas). Pas toutes couronnées de succès – tout champ expérimental a ses ratés – mais avec dans l’ensemble un bon taux de réussite. Dès lors qu’on les implique, les citoyens lambda tirés au sort peuvent se montrer aussi capables que des politiciens de carrière.
“Si l’on traite le citoyen autonome comme du bétail électoral, il se comportera comme tel, mais si on le traite en adulte, il se comportera en adulte.” Après, bien sûr, le traiter en adulte implique de partager le pouvoir avec lui. On ne sera donc pas étonné si les deux instances à freiner des quatre fers ont pour nom partis politiques et médias, qui perdraient le contrôle de la situation au profit de ceux qu’ils manipulent…

Loin des pavés assommants, ce Contre les élections parvient en 200 pages dynamiques à poser le problème et proposer un remède. Un ouvrage très complet, sans facilités ni raccourcis, honnête aussi dans sa présentation de la démocratie participative, pas acquise, pas évidente, pas parfaite.
Pas de solution miracle, mais une somme de réflexions, constructives et sereines. Voilà qui nous change des grands débats monologues de sourds politico-médiatiques.

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