Anicroches – Jacques Saussey

Je n’avais pas donné de nouvelles depuis un moment, en voici en voilà avec un recueil de vingt textes sous la plume de Jacques Saussey, ses “premières histoires noires” écrites entre 1988 et 2007.

[Anicroches]
Jacques Saussey
L’Atelier Mosésu

Couverture Anicroches Jacques Saussey

On dit souvent que la nouvelle est une forme méprisée en France. Exemple à l’appui le XXe siècle au cours duquel le genre s’abîmerait dans le néant. En un sens, c’est vrai : à partir des années 90, il n’y a presque plus de nouvelles éditées. Pas davantage aujourd’hui, au motif que “la nouvelle ne se vend pas”. Peut-être que le fait de ne pas en éditer joue sur cette absence de ventes, je dis ça, je dis rien…
D’un autre côté, l’histoire littéraire se plante bien comme il faut. Elle oublie la floraison de nouvelles dans les années 60-80, en SF principalement. Note que cette amnésie est tout aussi révélatrice du snobisme à la française : les “mauvais genres” (science-fiction, fantasy, fantastique, polar…) ne comptent pas.
Cocasse, quand on voit le nombre de concours de nouvelles organisés dans ce pays… avec rien derrière.
Desservie par ses origines populaires (contes, fables), tondue pour sa collaboration avec la sous-littérature, balancée aux orties par la nouvelle vague du roman bourgeois parigot, la nouvelle, c’est nul ! Hors le roman, point de salut. Si tu ponds de la nouvelle, c’est que tu manques de talent sur la distance ou d’ambition. Au mieux, on la considère comme un brouillon, un galop d’essai, un exercice de style inoffensif.
Nos grands auteurs du XIXe seront heureux de l’apprendre. RIP les bras cassés comme Balzac, Flaubert, Maupassant… Je me demande même pourquoi on nous vante encore Baudelaire qui a perdu son temps à traduire cette baltringue de Poe… Encore que ce dernier soit étazunien. Lui encore ça passe. Outre-Atlantique, tu peux écrire des nouvelles sans être étiqueté comme un foireux. Des gens un peu connus l’ont fait et ça a plutôt pas mal marché pour eux, soit de leur vivant, soit à travers la postérité. Robert E. Howard, H. P. Lovecraft, Richard Matheson, Philip K. Dick, Stephen King, Isaac Asimov, Patricia Highsmith, Ray Bradburry… Hors Etazunis, Jorge Luis Borges et Anton Tchekhov ont écrit “quelques” textes courts qui ont eu leur petit succès.
Le résultat de cet ostracisme, on le voit en France sur le niveau moyen des romans actuels. Tous ces wannabe écrivains qui se lancent dans des trilogies diarrhéiques, chantiers qui les dépassent parce qu’ils sont infoutus de pondre vingt pages qui se tiennent.
On n’a pas encore inventé de meilleure école d’écriture. Commencez par marcher cent mètres avant de courir un marathon.

La preuve avec ce recueil de Saussey. Ses premières histoires lui ont permis de se faire la main sur l’écriture, d’apprendre, de développer une approche à lui (ambiance + thèmes + style).
Format court oblige, le lecteur n’a pas le temps de s’endormir, parce que l’auteur n’a pas la place pour étaler du rien. Enfin, certains y arrivent quand même… Mais Saussey est percutant, LE point indispensable dans le cadre des nouvelles à chute.
Les plus rodés à la lecture et à l’écriture de nouvelles ne seront pas surpris par leur final. Forcément, on connaît les mécanismes… Mais ça n’empêche pas les textes de conserver tout leur intérêt. Observer la méthode de l’auteur pour aller de A à B apporte autant – sinon davantage – que le récit lui-même.
Saussey maîtrise aussi la sémantique et la richesse de la langue – encore une qualité qui se perd de nos jours… Le bonhomme est capable de te décrire une scène qui à l’arrivée n’a aucun rapport avec ce que tu imaginais (L’exécution, La Pucelle).
Pour des textes de jeunesse, ça va, le gars n’a pas à rougir du résultat. La seule à m’avoir laissé dubitatif est Le scoop, excellente dans son développement mais WTF sur son final.
Dernière qualité du recueil, une cohérence d’ensemble à travers le noir et l’ironie du sort, associée à une grande variété de décors. On bouge beaucoup entre les prisons italiennes, la France occupée et les forêts pleines de pièges mortels. On croise des journalistes, des petites vieilles, des pirates, des Indiens et des artistes de cirque. Anicroches te fera voir du pays et rencontrer des gens. Sauf que le plan ne se déroulera pas sans accroc. Désolé, Hannibal.

Hannibal Smith j'adore quand un plan se déroule sans accroc

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