Terreur Terminus – Chris Anthem

Terreur Terminus
Chris Anthem (Marc Falvo)
L’Atelier Mosésu

Terreur Terminus, voilà un bouquin qu’il sent bon. D’accord, il parle de trains, sujet qui me rend méfiant, très méfiant. Mais bon, c’est un Slash et j’adore cette collection (cf. Bloody Glove). Chris Anthem et son style fleuri itou (Cavaliers de l’Orage). Couverture de Bertrand Binois par-dessus le marché ! Enfin, pour compléter le grand chelem, Marc Falvo apparaît au générique avec la casquette de traducteur (façon de parler, hein, il n’y a pas de couvre-chef à visière dessiné au-dessus de son nom).
Avant même de l’ouvrir, ce book vend du rêve – pour la modique somme de 10 € sur laquelle je ne touche aucune commission.

Couverture Terreur Terminus Chris Anthem L'atelier Mosésu collection Slash

Mon expérience des trains se limite à deux pays : le Japon et la France. Ce qui revient à comparer un resto gastronomique douze étoiles et une assiette de caca.
J’ai subi peu de péripéties ferroviaires au Japon, un comble pour un pays sujet aux tremblements de terre, balayé par les typhons et constellé de volcans actifs.
En France, on m’aura tout fait, ça tient de la malédiction ou de l’acharnement. Moteur kaputt… train annulé à la seconde où j’entre dans la gare pour le prendre… quai noyé sous un mètre de flotte… conducteur coincé chez lui par la neige, le sommeil ou une cuite… rails rendus impraticables par la neige (encore), le gel, la chaleur… arbre déraciné en travers de la voie… traversée d’un troupeau de moutons… accident de la route pile sur un passage à niveau… collision avec une vache… suicide… arrêt en pleine cambrousse (“notre train est arrêté”, sans blague ?!?, “veuillez ne pas descendre” sauf à vouloir marcher cinquante bornes jusqu’au patelin le plus proche). Et bien sûr les grèves. Ne manquent à mon palmarès que le bombardement par les Allemands et l’attaque du convoi en mode western.
SNCF, à nous de vous faire préférer l’avion (sous réserve qu’Air France ne soit pas aussi en grève).

Un bras coincé dans les toilettes du train
Quand je dis que je suis maudit… J’ai failli monter dans ce train (et donc rester bloqué 3 heures). Par chance (sic), le train qui devait m’amener à Amiens a été annulé… pour cause de grève.

Direction la voie numéro 13 pour embarquer à bord du TGV 666. Des chiffres éloquents qui ressemblent à une mauvaise blague. Le genre de clins d’œils récurrents dans le roman. Qu’on ne s’y trompe pas, Terreur Terminus est un roman d’horreur sérieuse, pas une comédie horrifique. Mais le récit ne se prend pas pour autant au sérieux. Parodie ? Non plus. Plutôt un retour aux sources du roman de gare. Appellation très appropriée pour le coup.
Entre La quatrième dimension et Les contes de la crypte, le prologue ne laisse aucun doute. De l’horreur, du gore, mais aussi du divertissement. Terreur Terminus ne prétend pas te délivrer de grands messages sur la Vie et l’Humanité. Il te propose un moment d’angoisse pour de faux où on joue à se faire peur.
Ce bouquin réussit son double pari, tant dans son propos que ses intentions. Une ambiance lourde avec de l’horreur qui tache d’un côté et de l’autre une certaine légèreté, un recul (comment veux-tu) sur le genre. Le mariage fonctionne sans jamais donner l’impression d’un roman bancal qui hésite sur le ton à adopter.

Les chiffres, tiens, ils sentent le cliché à plein pif. Là-dessus, le récit joue sur l’hénaurme. Et pourquoi pas ? Le lecteur sait ce qu’il est venu chercher : la Bête, de l’hémoglobine, des tentacules, du gluant, des psychopathes masqués avec des grands couteaux, des sbires en robe de bure qui psalmodient des machins incompréhensibles, liste non exhaustive (Austin), bref de l’horreur. Autant lui en donner pour son argent.
Mais le procédé ne résume pas à un lâcher de clichés en mode grosse feignasse. Le roman jongle avec les codes du genre, tant en littérature qu’au cinéma. Quelque chose que j’avais beaucoup apprécié dans un film comme La cabane dans les bois. Ici, dans le même esprit mais avec un traitement différent, l’auteur s’amuse, entre clichés, classiques et codes, avec du recul toujours et de l’humour à l’occasion. Il flirte avec la parodie sans jamais donner dans le pur comique. Exercice délicat dont il se sort très bien. Terreur Terminus a quelque chose de très stephenkingien dans cette façon de glisser des bouffées cocasses entre deux scènes d’épouvante.
On retrouve les références classiques par rapport à la drogue, au sexe, aux armes, à la séparation du groupe… Sans te sortir pour autant la mise en abyme galvaudée des personnages qui disent que dans un film/roman d’horreur, on ne doit pas faire ceci ou cela.
Derrière, une intelligence œuvre. Ces codes ne sont pas là jusque parce qu’il faut les mettre. Ils sont souvent détournés et, chose rare, toujours justifiés. Qu’il se conforme aux canons de l’horreur ou qu’il ne les respecte pas, tu sens que l’auteur sait ce qu’il fait, qu’il ne se contente pas de suivre un cahier des charges formaté. Chaque élément est là pour une bonne raison.
Là-dessus, sans rentrer dans les détails et les spoils (au nez), le meilleur exemple en est la notion de groupe (et par contrecoup de personnages isolés). Pour une fois, quand quelqu’un quitte la bande, ce n’est pas forcément pour une raison débiloïde. Le groupe forme un vrai groupe, avec une dynamique, pas juste un réservoir de victimes crétines qui se disent l’une après l’autre “tiens si je m’aventurais tout seul et sans armes dans ce coin sombre où il y a peut-être un monstre sanguinaire”.

Le groupe, tiens, quelle équipe. Pas de pom-pom girls, membres de la fraternité sigma-delta-zézette et autres quarterbacks ramollis du bulbe, la brochette de jeunes glandus en vacances pointe aux abonnés absents. Pas d’étudiants, normal, ils sont tous morts dans des films d’horreur. On croit toujours que les soldats, les policiers, les pompiers exercent les professions les plus risquées du monde. C’est faux. Le plus fort taux de mortalité se trouve chez les étudiants, à hauteur de 900‰ (étude statistique réalisée sur un échantillon représentatif de 1001 films d’horreur).
Ici, une poignée de gens “choisis au hasard” ou peut-être pas. En tout cas, pas grand-chose en commun, des gens variés comme on en croise dans le récit catastrophe qu’il soit horrifique (Brume de Stephen King) ou non (la série Lost, qui tient surtout du catastrophique). On ne s’étonnera donc pas de la présence d’un père et de son fils, un classique du genre.
J’ai cité King à deux reprises (trois maintenant), pas par hasard, tu t’en doutes. L’auteur de Terreur Terminus n’a rien à envier à mister Langoliers. Les deux aiment bien placer des personnages d’écrivain dans leurs histoires. Il y en a un ici, écho à ses confrères de Le Cri et D’occase (ce qui confirme mes soupçons comme quoi Falvo ne se contente pas de traduire, je suis sûr que ce garnement modifie le texte pour caser des trucs à lui).
Je citerai enfin un vieux, comme dans les histoires de Perceval. Il y a toujours au début des films d’horreur un vieux qui donne l’impression de savoir des choses – et qui se tient voûté, sans doute à cause de l’italique qui transpire du personnage et de ses propos. Un ancêtre ou alors un pompiste crasseux, l’idiot du village, le paria difforme du coin, bref le gars qui sait. Mais que personne n’écoute quand il dit que s’aventurer sur l’Île de la Mort, la Montagne Maudite ou les Terres Interdites de la Désolation qui Tue est une idée à la con. Donc ici, un vieux, un peu différent de l’archétype, sinon ce serait trop facile.
Les autres, je vous laisse les découvrir dans le bouquin. A l’arrivée, ce groupe de bric et de broc fonctionne en mêlant les stéréotypes à l’inattendu. Chris Anthem s’écarte du déjà-vu en étoffant ses personnages et en les faisant évoluer. C’est assez marrant d’ailleurs (enfin “marrant”, bien fichu surtout), l’idée qu’on se fait d’eux à leur entrée en scène tient vraiment de la “première impression”, du jugement rapide sur les apparences et deux-trois lignes de dialogue. Puis on se rend compte de la profondeur de chacun, d’une personnalité pas si conforme à l’image renvoyée en société. La confrontation à l’horreur sert de révélateur du cœur des hommes (et des femmes). Elle façonne des héros… Enfin des héros humains qui n’ont pas comme leurs homologues antiques l’appui de Zeus ni comme leurs super-confrères modernes des tonnes de gadgets et de super-pouvoirs.

L’évolution des personnages est symptomatique du dynamisme du roman et de sa faculté à jouer sur deux tableaux.
Codes connus et inventivité, comme j’ai dit. Pas de grand message mais une galerie de réactions face à l’adversité qui en fait office. Une histoire en huis-clos (un train en marche, t’es un peu – beaucoup même – coincé dedans) qui ne s’enlise pas dans les blablas statiques. Même dans cet espace restreint, il y a une progression, le lecteur suit le mouvement avec la bande de pieds nickelés.
Aucun risque de s’ennuyer, d’autant que le roman entre très vite dans le vif du sujet. Non, je ne te dirai pas quelle page ni quel chapitre, sache juste que la situation part très vite en vrille et que tu ne t’endormiras pas à cause d’une exposition qui s’étiiiiiiiiiiiiiiiire ou parce que les personnages mettent vingt-cinq chapitres à comprendre ce qui saute aux yeux. Rapide – un train d’enfer, dirais-je si j’étais du style à caser du calmebour plein mes chroniques  – mais pas trop non plus. L’auteur ne confond pas rythme et précipitation, il trouve tout le long le juste milieu.
On en dira autant de ce qui se cache derrière ce fameux TGV 666. Assez de révélations pour contenter le lecteur, sans chercher non plus à tout dire. Ce serait contre-productif, moitié parce qu’à vouloir tout expliquer on tue l’inconnu donc une partie de la peur, et moitié parce qu’à vouloir rationaliser l’irrationnel on tombe dans le capillotracté et le branlant. A côté de ce qu’on apprend, il reste des zones d’ombre, une part de mystère livrée à l’imagination du lecteur. La part des ténèbres… Ah ben non, c’est déjà pris. King, encore toi ! Bon bref, on n’en sort ni frustré ni assommé de copieuses révélations cosmiques foireuses. Pile la bonne dose.

Terreur Terminus, roman équilibriste à l’image de ces improbables tortillards qui serpentent à flanc de montagne. Toujours il louvoie (1641-1691) et balade son lecteur, tout en le scotchant à son fauteuil, bonjour l’exploit !
Très bon récit horrifique et pas prétentieux avec ça, une bonne lecture à prévoir pour ceux qui partiront début juillet et seront coincés en gare pour cause de grève “surprise” (vu qu’il éclate une grève à chaque début de vacances, quelle surprise, mes amis !). À noter qu’il a été réédité aux éditions Faute de Frappe depuis la fermeture de l’éditeur originel Mosésu.
Grâce à ce bouquin, je comprends mieux mes péripéties ferroviaires. Je l’ai échappé belle. Pas près de remonter dans un TGV (ou un Oui-Oui de son nouveau nom).

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *