Rouge armé – Maxime Gillio

Depuis notre interview d’hier, Maxime Gillio attend le verdict au fond de son cachot. Le monsieur est accusé d’avoir pondu un nouveau roman. Un K à part, jamais à court de ressources, est parvenu à se procurer un courrier de son avocate Me Huncout-Danton.

Rouge armé
Maxime Gillio
Flammarion Ombres noires

Couverture Rouge armé Maxime Gillio Flammarion Ombres noires
Sortie officielle le 2 novembre.

Cher Maxime,

Tu peux cesser de trembler dans ton slip, coco : la cour a vu dans Rouge armé un sacré bon bouquin.

Pas évident à caser dans ta biblio… Je dirais dans la lignée de Batignolles Rhapsody, pour la construction qui alterne les points de vue et pour l’ambiance, un cocktail de mélancolie, regrets et nostalgie. Saupoudré de Dunkerque Baie des Anges pour le côté sombre (dark, comme on dit de nos jours). Une pincée de La Fracture de Coxyde et d’Anvers et Damnation dans la façon de donner vie à un cadre étranger au quotidien du lecteur.
Surtout, un roman ambitieux à la fois dans le background, le propos et le schéma narratif.
Le juge a estimé que ton mélange tenait la route. De l’Histoire, du terrorisme, des vieux qui meurent, une touche de sexe, des scènes très dures, un soupçon de poésie, des personnages crédibles avec autant de force que de fragilité… Une recette complexe qu’il a très bien digérée. Pour te dire, il en a même suçoté son marteau de contentement…

La sobriété de ton style – à l’inverse de tes chemises – a beaucoup plu à la cour. Très épuré, sans phrases à rallonge, très direct.
Le procureur n’a rien trouvé à redire sur les dialogues. Il a même osé une comparaison avec Concerto pour 4 mains de Colize. Des phrases normales, de longueur et de construction normales, que des gens normaux pourraient prononcer. Pas des monologues de 253 pieds de long bourrés de passés simples et de tournures inusitées à l’oral.

Détournement Rouge armé beaujolais par Un K à part
La cuvée Rouge armé.

Comme l’a souligné un témoin, tu fais un excellent usage de l’Histoire au service de ton histoire.
Le problème de beaucoup de romans où le contexte historique occupe une place majeure, c’est de se perdre en digressions érudites. L’auteur oublie qu’il est romancier et pas historien, te bombarde de détails qui ne servent ni l’intrigue ni la construction des personnages. Ou, pire, se lance dans un exposé de trois pages au style universitaire plus ampoulé qu’EDF. Pareil pour les notes de bas de page, il serait tentant d’en abuser pour les apartés historiques… au risque de déconnecter le lecteur. Le procureur a loué ton sens de la mesure.
Jamais tu ne fais d’Histoire, tu l’utilises.
N’ayons pas peur des mots, tu as bluffé les jurés. Ils ont applaudi le recours aux dialogues pour contextualiser le récit. Caser les faits et personnages historiques en version courte et dans des phrases naturelles, ça leur parle.
Je ne te cache pas que j’ai eu les chocottes à deux-trois reprises où on devine l’artifice d’auteur. Mais tu as su te montrer adroit : le lecteur sait que le dialogue s’adresse à lui, sans que le propos ait l’air trop forcé, puant le trucage et les grosses ficelles. Un vrai tour d’illusionniste : il y a un truc, on en est bien conscient, mais ça n’empêche pas de profiter du spectacle, tout en fluidité. Je ne te raconte pas ma formidable plaidoirie articulée autour de la suspension d’incrédulité, de la complicité auteur-lecteur, tout ça, tout ça.
Tu apprendras que certaines charges ont été abandonnées. Dixit le juge, “quel plaisir de lire quelqu’un qui ne se contente pas de pomper Wikipedia et qui sait aligner des faits historiques sans les pourrir d’erreurs”.
Plaisir aussi de lire quelque chose sur la RDA qui ne soit pas un énième roman d’espions bourré d’agents doubles avec des accents russes à couper au couteau et qui contienne autre chose que des clichés sur le Bloc de l’Est. Et puis les Sudètes et autres expulsés à coups de pompe dans l’oignon, ça change des nazis. Dans le genre oubliés de l’Histoire, les Heimatvertriebene remportent la médaille d’or aux Jeux Historiques de 1945. Un cas d’école. Enfin, c’en serait un si on en parlait à l’école… Question sabordée plutôt qu’abordée. Un rêve, une chimère comme on en croise beaucoup dans l’Histoire des “grands” Etats. Faut dire que les crimes contre l’humanité commis par les Alliés (punition collective d’une nation, déplacements forcés de population…), bonjour la tâche sur le CV. Tu défriches avec ta Gretchen !

La Gretchen qu'on aime ma culotte sur les barbelés par Un K à part
J’avais proposé cette couverture à l’éditeur qui ne l’a pas retenue. Pffff…

Autre point apprécié du jury, tu ne sors pas de ton propos. Par exemple, chaque fois qu’il est question des Sudètes, tu restes sur tes personnages, dans le contexte de ton récit, sans t’embarquer dans des remarques générales de vieux sage oriental. Adieu veau, vache, cochon, blabla sur les questions d’ethnicité et de nationalité, les tiraillements entre deux cultures, l’intégration, les réfugiés, les déplacements de population. Tu as bien fait, l’exercice tourne trop souvent aux évidences de JT (la guerre tue) ou à la philo de comptoir en mode miss France (la guerre, bouh, triste, vilain).
En l’état, ton texte suffit à susciter des questionnements chez le lecteur sans avoir besoin de lui mettre le nez dessus.
Exemple quand Inge parle du cinéma français, avec son inénarrable description de De Funès. A la barre, un témoin a remarqué qu’à l’Ouest, au fond, quelle différence ? Quand il était gamin, à la récré, tout le monde voulait incarner les Américains, parce qu’à la télé et au ciné, ils étaient super forts… dans les films d’Hollywood. Pour paraphraser Inge, pas de risque pour nous non plus qu’on prenne les armes, même métaphoriques, contre le modèle imposé par l’Oncle Sam. L’Américain, c’était de la balle, lui qui gagnait contre les Indiens, les Mexicains, les Vietnamiens, les Coréens, les Iraniens, les Allemands, les Italiens, les Japonais, les Russes… avec moult sic. Quand certains s’étonnent qu’une portion incongrue de notre génération vote FN, je me demande plutôt comment on n’est pas tous devenus xénophobes ! ‘Fin bref, les questions et les réflexions viennent sans avoir à surcharger le texte, bien joué.

J’ai hâte de lire les critiques, surtout les fameux “un bouquin plein de questions toujours d’actualité” ©®™. Sans blague ? L’histoire de ton bouquin trouve racine dans la Seconde Guerre mondiale, le Mur et le Rideau de Fer figurent parmi les symboles de la guerre froide, y a un putain de dénominateur commun ! Un indice, le mot guerre.
La première bataille documentée de l’Histoire, Qadesh, remonte à 1274 avant l’acrobate. Voilà 3290 ans que l’humanité se fritte non-stop de toutes les façons possibles et pour tous les prétextes imaginables. Alors oui, tu m’étonnes que la guerre soit d’actualité, elle l’a toujours été.
Enfin ça, on verra après ta libération.

Quant à la construction, chapeau bas, elle a laissé les experts médico-playmo sur le cul. J’ai argumenté sur les romans déconstruits, qui jouent de plusieurs trames narratives et s’offrent des aller-retour dans la chronologie. Embrayé avec les changements de points de vue ou de narrateur. Convoqué des références prisées des pépiniéristes, celles qui dépotent : Ça de King, les bouquins de Colize, des films comme Memento ou Usual Suspects. Bouclé la boucle sur ton Batignolles Rhapsody.
Et vas-y que tu esquives l’écueil évident du foutoir sans nom ! Quand on voit comment certains patinent dans la semoule avec un seul narrateur sur une chronologie linéaire… Un Rouge armé touffu mais pas confus. Dense, mais en même temps, l’ambition dépasse celle d’un Club des Cinq. “On s’y retrouve très bien”, ont conclu les jurés.

La fin, bien. J’approuve le choix de ne pas s’arrêter sur [rature] [rature] [grosse tache d’encre]. Au cinéma, on imaginerait très bien la scène, filmée en mode poncif. La caméra qui prend de l’altitude dans un mouvement de spirale pour finir sur un panorama avec les protagonistes en contrebas. Du vu et revu mille fois, le Parquet n’en aurait rien eu à cirer… Non, toi tu termines sur une note aussi tragique que bon enfant, hybride et monstrueuse, pas bancale pour autant.

Détournement Cassoulet Rouge armé William Saurin par Un K à part
Et pour aller avec le pinard, le cassoulet Rouge armé.

Gillio qui fait du Gillio tout en se renouvelant. Verdict de la cour, ton meilleur bouquin !
Tu es libre, Max ! Cristiani va en pleurer de joie.
En terme de style et de justesse dans le ton, Rouge armé se situe au niveau de tes meilleurs titres (Les Disparus de l’A16, La Fracture de Coxyde, Batignolles Rhapsody, chacun dans un genre très différent). Sérieux, propre, carré, efficace. Noir sans forcer le trait comme un furieux. Donc sombre en fait, le plus difficile. Le noir, suffit d’en rajouter. Le sombre, faut savoir où s’arrêter sans laisser de traces de frein qui dégueulassent tout.
Niveau construction et schéma narratif, tu te situes un cran au-dessus de tes productions. Complexe mais clair, maîtrisé. Entre nous, le juge pensait deux ou trois crans mais a préféré minorer la sentence, craignant un gonflement tes chevilles au point de ne plus rentrer dans tes godasses. Pense à le remercier de t’avoir évité perpète en espadrilles.
Rouge armé est de loin ton bouquin le plus ambitieux. Une tranche d’Histoire énorme que tu restitues à merveille en l’entourant de roman noir. Ni trop détaillée ni superficielle. Et surtout juste. Les faits, certes, mais aussi la façon dont ton texte les rend. C’est de l’Histoire faite littérature. Et niveaux enjeux, tu abordes des événements fondamentaux pour l’Europe d’après-guerre, des événements qui n’auraient jamais dû se produire après le nazisme et tous les beaux discours sur la liberté… et qu’on n’a jamais tant vus que depuis 1945.
Sudètes, déplacement des populations germaniques, Mur de Berlin, Rideau de Fer, familles éclatées à l’Est et à l’Ouest, Fraction Armée Rouge, Réunification, Ostalgie… cinquante ans d’Histoire défilent, qui permettent de comprendre l’Allemagne et les Allemands.
On ne peut qu’applaudir ce choix si rare de présenter Anna, une pauvre sudète plutôt qu’Ilsa, la louve SS, ou Inge qui nous change des caricatures de méchants communistes. Des femmes à la fois fortes sans la surenchère laracroftienne, et brisées sans verser dans le mélo-pathos-Kleenex… Merci de nous épargner les sempiternels nazis über alles, les mangeurs de choucroute en costume tyrolien et les blondes à gros seins de la fête de la bière (encore que, sur ce dernier point, les avis soient partagés). Mine de rien, présenter autre chose que des Teutons clichés n’est pas si courant. Les montrer en victimes, ce qu’ils sont à travers tes personnages et certains faits réels… alors là, couillu, mon ami. A se demander comment tu arrives encore à fermer ton falzar…

Une sacrée leçon d’Histoire ! De celle qui permettent de comprendre la différence entre enseigner et apprendre. L’Histoire enseigne beaucoup, l’Humanité apprend peu.
(Celle-là, pas la peine de la chercher dans ton dico de citation de Lao Tseu, elle vient de bibi.)

Une réflexion sur « Rouge armé – Maxime Gillio »

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